André Glucksmann est mort.
Après avoir soutenu le démantèlement de la Yougoslavie, l’intervention en Bosnie, puis au Kosovo, en 2003 il soutint l’intervention américaine en Irak. A l’époque Goupil, Glucksmann et Bruckner voyaient « Bagdad danser ».
En 2011 ils militèrent pour la guerre en Libye.
En 2001, le Cercle de l’Oratoire, dont Glucksmann faisait partie, publiait un manifeste dans Le Monde soutenant la guerre en Afghanistan : « Cette guerre est légitime car il s’agit pour les États-Unis d’un acte d’autodéfense à la suite d’une agression sur leur propre sol qui a coûté la vie à des milliers d’innocents de toutes religions et de toutes nationalités. […] Entre les démocraties et le terrorisme, on ne doit pas rester neutre contrairement à ce que prétendent un certain nombre d’intellectuels proches du PCF et de la Ligue communiste révolutionnaire dans un récent appel intitulé » Cette guerre n’est pas la nôtre » (Le Monde daté 21-22 octobre) ou encore le philosophe gauchiste Toni Negri qui, interviewé récemment dans ces colonnes (4 octobre), refuse de choisir entre » les talibans du dollar et les talibans du pétrole « . Près de quinze ans après, c’est le fiasco.
Voir Bagdad danser
En 2003, ils dénonçaient la France « soviétique » incapable de s’aligner sur les États-Unis pour aller combattre en Irak aux côtés des « boys » de George W. Bush. A l’époque Goupil, Glucksmann et Bruckner voyaient « Bagdad danser« . Retour sur la joute intellectuelle initiée par ces gauchistes convertis au bushisme alors que l’Irak sombre dans un chaos peu dansant, puis au Sarkosysme favorable à la guerre en Libye, etc.
« Que Saddam parte, de gré ou de force ! Les Irakiens, Kurdes, chiites mais aussi bien sunnites respireront plus librement et les peuples de la région en seront soulagés » clamaient dans les pages du Monde, les André Glucksmann et Pascal Bruckner ainsi que le réalisateur Romain Goupil dans une tribune sobrement intitulée « La faute ».
Sûrs de leurs certitudes, en avril 2003, nos trois soixante-huitards enchaînaient les prises de parole pour soutenir l’intervention américaine en Irak et n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer « l’antiaméricanisme français ». L’argumentaire des copains de barricade, condamnés à expier ad vitam leur « égarement » de jeunesse, virait même au délire quand on relit leur tribune onze ans plus tard. En plus de « protéger Saddam » — pas moins ! —, la France était devenue rouge, d’un rouge soviétique, car le gouvernement Chirac refusait de s’associer à Bush. Et l’histoire, cruelle, n’oublierait pas cet aveuglement idéologique des pseudos intellectuels français : « Il faudra raconter un jour l’hystérie, l’intoxication collective qui ont frappé l’Hexagone depuis des mois, l’angoisse de l’Apocalypse qui a saisi nos meilleurs esprits, l’ambiance quasi soviétique qui a soudé 90 % de la population dans le triomphe d’une pensée monolithique, allergique à la moindre contestation », écrivait Glucksmann, Goupil et Bruckner. Ce discours a provoqué plus de 500 000 morts.
Bizarrement, à l’époque, l’interventionniste BHL n’avait pas rejoint la troupe. C’est plus tard que le philosophe deviendra un inébranlable va-t-en guerre. A l’époque, Bernard-Henri se tâte encore, changeant de discours en fonction du public comme le relèveront les auteurs du livre Le nouveau B.A.BA du BHL. En France, BHL est donc contre la guerre en Irak, même s’il la trouve « plutôt juste du point de vue de la morale ». Lorsque le philosophe s’exprime aux Etats-Unis, son propos est beaucoup plus nuancé : « J’étais opposé à l’administration Bush quand elle a décidé d’entrer en guerre contre l’Irak. Mais aujourd’hui, nous y sommes, nous devons désormais finir le travail »
Mais revenons à nos « moutons » atlantistes. Pour eux, la France s’était donc « mise hors jeu », « ridiculisée » quand Tony Blair s’était révélé un « véritable chef d’État ». La plupart des partis politiques français avaient succombé à un « nationalisme des imbéciles ». Selon eux, Marianne et, évidement l’Humanité avaient d’ailleurs tout faux. Alors que Bagdad goûtait « ses premières heures de délivrance », Mariane titrait, en effet, « La catastrophe ». Inadmissible pour nos valeureux combattants accablés devant le constat qu’il existe encore dans nos démocraties « une portion importante de citoyens que la chute d’une dictature désespère », basculant dans un lyrisme euphorique qui parait glaçant aujourd’hui: « Quand Bagdad danse, Paris fait grise mine ». .
Le meilleur du pire des mondes
En fait, nos trois tristes lurons de l’ « Axe du Bien » se posaient ni plus ni moins en tant que résistants à une pensée obligatoire. Quelques années plus tard rejoints par Stéphane Courtois, auteur du Livre noir du Communisme, Alexandre Adler, Pierre André Taguieff et bien d’autres, tous nos bushistes convertis, convaincus de la nécessité de poursuivre leur combat se retrouveront même pour créer une revue « Le Meilleur des mondes », atlantiste et néo-conservatrice, avec les membres du Cercle de l’Oratoire.
Cette revue développera une vision binaire du monde partagé entre « amis » et « ennemis » de l’Amérique, « pro-Américains » et « anti-Américains ». En 2008, certains feront néanmoins volte-face, consacrant un édito dans la revue au… fiasco irakien : « Nous nous sommes en effet retrouvés piégés par le caractère très idéologique du débat franco-français. Nous n’avons pas assez prêté l’oreille à ceux d’entre nous qui, au milieu du vacarme antiaméricain, s’inquiétaient de l’absence de vrais projets politiques pour l’après-guerre. Hantés par le passé, nous avons vu l’Amérique de 2003 avec les lunettes de 1944. Or, George Bush n’est pas Franklin D. Roosevelt. Aveuglé par le 11 Septembre, ignorant des réalités du monde, le président américain a conduit son pays et le peuple irakien au désastre ». 500 000 morts après : c’était un peu tard !
Depuis il y a eu la Libye
Le 16 mars 2011, les mêmes André Glucksmann, Bernard Kouchner, Claude Lanzmann, Bernard-Henry Lévy Pascal Bruckner, rejoints par Daniel Cohn-Bendit, Frédéric Encel, Raphaël Enthoven, etc. signaient un appel dans le Monde intitulé « Oui, il faut intervenir en Libye et vite ! ». « Le tyran, décidé à noyer son pays dans « des rivières de sang », mitraille les populations civiles, « purge » les villes des opposants et fait régner la terreur. Partout, à Tripoli et dans les régions reprises à la rébellion, les hommes sont enlevés en nombre pour être conduits dans les salles de torture et assassinés ». Tout cela en prophétisant : « On ne sait quel rôle joueront les islamistes dans les pays de la région. Mais une chose est sûre : que la démocratie vienne ou non, que cela prenne six mois ou vingt ans, la jeunesse arabe aspire à la liberté. » Ce fut BHL qui se mit en avant et resta dans les mémoires en se ridiculisant, et en y allant respirer les odeurs de poudre. Une coalition bombarda le pays, tua encore et encore, et même le président Kadhafi. Pour quel résultat ? Au moins 50 000 morts. Et surtout le chaos ! La démocratie n’est pas venue, et la jeunesse arabe remplit les nouveaux boat-peoples.
En 2014, la progression de l’EIIL (l’Etat islamique en Irak et au levant), révèle les failles de l’Etat irakien laissé en place par la faillite Américaine, à leur départ. La guerre a accouché d’un monstre. Mais l’ennemi c’était Saddam qu’il fallait abattre, et qui fut abattu. Quelle importance après tout. Privée de son ennemi communiste, voulant illusoirement « faire la guerre au terrorisme », l’Amérique a fait venir à elle tous les « idiots inutiles » susceptibles de porter sa bonne parole pour alimenter le propagande à l’aide d’une paranoïa apocalyptique. Même si, sur le terrain, tout a échoué.
Mais après la Bosnie, le Darfour, l’intervention en Libye dans laquelle ils ont joué un rôle si déterminant, l’appel à intervenir en Syrie, c’est désormais la guerre contre la Russie et son allié syrien qui les mobilise. Pour toujours plus de morts innocentes.