François Fillon s’amuse à rappeler son rôle dans les errements de la gauche molle

En visite à Las Vegas, M. François Fillon a déclaré « J’ai ouvert les télécommunications à la concurrence. Vous pensez qu’il y aurait de l’Internet en France si on avait toujours France Télécom avec des fonctionnaires? »

Évidemment les 53.000 fonctionnaires appartenant toujours aux effectifs d’Orange (ils représentent encore environ la moitié des effectifs français, dont la majorité des techniciens) sont particulièrement choqués par cette nouvelle sortie contre les fonctionnaires, que M. Fillon entend faire disparaître à vitesse grand V s’il accède aux fonctions présidentielles.

Il est peut-être plus utile de lui rappeler ce que l’entreprise publique et les fonctionnaires de France Télécom ont su réaliser ! Mais peut-être pas qu’à lui !

Libéralisation et privatisation : l’œuvre de Monsieur Fillon (mais pas que lui ! La gauche aussi)

En 1990, France Télécom était la première entreprise de France en termes de bénéfice, et le 4e opérateur de télécommunications mondial, par son chiffre d’affaires et son trafic international. C’était l’œuvre des fonctionnaires du ministère des PTE (ex PTT). Ils avaient fait de leur entreprise une référence mondiale : le réseau de télécommunications français était à l’époque reconnu comme le plus moderne et le plus performant au monde.

26 ans plus tard, Orange (ex-France Telecom) a disparu de la liste des 10 premiers opérateurs mondiaux. La libéralisation du marché n’a donc pas produit la création du « champion national » espérée lors de la libéralisation du marché.

Dans l’intervalle, M. Fillon, alors Ministre des Télécommunications, avait préparé l’ouverture à la concurrence demandée par la Commission européenne, et fait voter la privatisation de France Télécom en fin 1996.

C’est aussi lui qui nomma Michel Bon à la tête de l’entreprise en 1995.

C’est en avril 1997 que l’opération d’entrée en bourse et de vente des actions avait été prévue… mais, patatras, Chirac décidait de dissoudre l’assemblée.

Dès octobre 1997, la gauche plurielle met en œuvre le projet de François Fillon

Un peu d’histoire:

En avril 1997, le président Chirac dissout l’assemblée. L’ouverture du capital de France Telecom, qui devait avoir lieu ce même mois, est différée.

Une campagne électorale s’engage, et tous les partis de gauche, des radicaux aux communistes en passant par les socialistes et les écologistes promettent la main sur le cœur et l’écrivent dans leurs circulaires électorales: « si on gagne les élections, on abroge la loi Fillon ! »

Les réseaux socialistes de l’entreprise se remuent; les cellules communistes encore nombreuses, se démènent aussi ! Une espérance est née ! Tout le monde y croit ! Des tracts de toutes tendance sont distribués dans les services: « Pour être sauvés, votez pour la gauche plurielle ! »

La gauche plurielle gagne les élections, et Lionel Jospin devient premier ministre. Le gouvernement est large, bien à gauche, car il comporte quelques ministres communistes.

Et …

Première alerte: le gouvernement de la « gauche plurielle » conserve sa confiance au PDG Michel Bon, mis en place par le gouvernement Juppé-Fillon. Lui qui avait porté le projet de loi de privatisation restes au commandes (en gardant ses idées, et son pouvoir de nuisance)

En juin la CGT des PTT appelle à la grève pour peser sur le débat, et faire en sorte que les nouveaux élus n’oublient pas leurs promesses; nationalement la fédération Sud soutient la grève, mais en province une partie de ses syndicats flottent; en Haute Normandie, l’un de ses fiefs, le « conseil régional de Sud PTT » se désolidarise de la grève, et appelle à donner du temps au gouvernement pour qu’il mette en œuvre sa politique. FO ne s’associe pas à) la grève; la CFDT combat la grève. En définitive, la grève est faible. Mais les salariés de France Telecom ont encore l’illusion que tout est possible ! Ils ont voté « gauche plurielle »!

L’été se passe, et l’on arrive dans la période de la préparation de la fête de l’Humanité…

Patatras ! Fin de partie !

Le gouvernement tranche pour la poursuite du processus de privatisation engagé par le précédent gouvernement. L’ouverture du capital de France Télécom est officiellement annoncée le 8 septembre 1997 par le ministre de l’Économie, Dominique Strauss-Kahn, et le secrétaire d’État à l’Industrie, Christian Pierret. Dès le vendredi précédent, Matignon avait jugé «convaincantes» les orientations préconisées par le rapport de l’ancien ministre Michel Delebarre, lequel suggérait la mise sur le marché du tiers du capital de l’opérateur (voir Libération des 6, 7 et 8 septembre 1997).

A la fête de l’Huma Robert Hue, alors secrétaire général, soutient fermement le gouvernement le gouvernement de « gauche plurielle », et justifie mordicus les annonces de privatisation d’Air France et de France Telecom, même si dans ce dernier cas, il déclarait: « La crainte me paraît légitime qu’une mise sur le marché de 20% du capital de cette entreprise puisse conduire à une privatisation partielle pouvant ouvrir la voie à une mainmise des marchés financiers et de leurs exigences de rentabilité au détriment du service public et des personnels« .

Il fut hué par une partie de la foule, tant sur Air France que sur France Telecom. Dans la semaine précédente dans l’Humanité, Paul Lespagnol, au nom du Bureau Politique, avait minimisé les risques de l’entrée de capital privé au seine des entreprises publiques, en développant l’idée que, le « socialisme réel » ayant échoué (Chute du mur de Berlin et fin des pays socialistes en 1990), il ne restait que « l’économie mixte » comme perspective de changement. Ouvrir une partie du Capital de l’entreprise, c’était en fait faire de « l’économie mixte »; cela pouvait ne pas être mauvais et même servir d’exemple pour le progrès. On a vu ce qu’on a vu !

Mise en vente de l’action France Telecom

Le 20 octobre 1997 ce fut donc la mise en Bourse de 25 % du capital de l’entreprise. C’est un gros succès ! Le cours se mettre à grimper, de plus en plus vite ! Puis commença une folle course aux « acquisitions » à l’étranger, encouragées par le ministre des affaires étrangères Fabius: en Italie, aux Pays bas, au Danemark, au Portugal, au Mexique, en Argentine, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Pologne, en Moldavie, au Vietnam.

Seulement à France Telecom? Pas du tout ! C’était, à l’époque, une politique qui touchait l’ensemble des secteurs de l’économie, de l’électricité, à l’eau, en passant par l’industrie électrique et mécanique (ex: en Pologne par exemple), la Chimie, la Banque, mais aussi les routes, le rail, les services public, les ports (ex: en Afrique notamment), etc.. Car après la chute du mur de Berlin tout était à vendre, partout !

Le gouvernement français, de « gauche plurielle » poursuivit la politique des gouvernements précédents, et soutint et encouragea de tous les secteurs privés et para-publics à faire de folles acquisitions partout dans le monde.

La bulle internet !

Folles? Oui ! Le premier à craquer fut le secteur des télécoms en 2001, avec le krach boursier appelé « bulle internet« . Mais en fait le Krach boursier fut plus profond et plus long. Il couvrit la période de 2001-2002. Il est qualifié aujourd’hui de « krach boursier rampant ». Il fut marqué par les faillites ou sauvetages in extremis de grandes sociétés comme l’américain Enron (Électricité), Worldcom, Vivendi (aujourd’hui Véolia) ou France Télécom (aujourd’hui Orange). Au delà de l’éclatement de la bulle Internet, le krach a touché les entreprises qui étaient soupçonnés de pratiques comptables opaques et de surendettement, et ce, dans tous les secteurs économiques.

En fait la mécanique fut simple: cela s’appelle de « la cavalerie » ! Comment ? Votre action monte ! Vous pouvez donc emprunter plus auprès des banques, car c’est sur la valeur de l’entreprise que sont garantis les prêts, et la valeur est un multiple de la valeur de l’action ! Votre action voit sa valeur multipliée par 10 ? C’est le Jack-Pot ! Problème, à un moment il faut commencer à rembourser les premiers emprunts, et… on n’a pas assez d’argent pour le faire; donc on vend, et alors la valeur de l’action baisse ! Mais ça ne suffit pas ! On ne peut plus emprunter, et il faut rembourser d’autres emprunts; on se sépare alors d’actifs récemment achetés (ex: on quitte l’Argentine, qui est dans une crise aiguë); et la mécanique devient incontrôlable ! C’est la chute ! Relire Zola ! En fait toutes les crises boursières se sont passées comme cela depuis la première crise du capitalisme naissant, celle des tulipes hollandaises en 1637 !

L’action France Telecom, qui avait vu son cour initial multiplié par plus de 10, va donc s’effondrer à 50% en dessous de son pris d’entrée en Bourse. Alors que deux ans et demi auparavant ils prétendaient qu’en achetant des actions France Telecom, « on ne pouvait pas perdre ! », « c’était un placement de père de famille ». Et ils ont été des millions de petits actionnaires à perdre !

En 2002, lorsque le PDG Michel Bon fut contraint de démissionner, France Télécom avait accumulé la dette d’entreprise la plus faramineuse de l’époque, 68 milliards d’euros.

Cela entraina la vente de l’essentiel du parc immobilier de France Telecom, et l’accélération des restructurations internes. L’entreprise accéléra sa cure drastique d’amaigrissement des effectifs, qui passèrent de 160 000 en 1977 à 90 000 en 2008. Un dispositif de préretraites permet un départ à 55 ans en Congés de fin de carrière (CFC), avec 75% du salaire; en fait un plan social qui ne disait pas son nom ! Cela satisfaisait les salariés plus anciens, mais reportait la charge de travail sur les moins âgés, mais majoritairement plus de 45 ans en 1997 (car la moyenne d’âge était élevée, car les embauches avaient quasiment été stoppées depuis 1992).

La conséquence? Ce fut la dégradation rapide des conditions de travail des personnels restant, des restructurations à tiroirs, les premières conduisant à de nouvelles, au fur et à mesure de la compression des effectifs. Et ce processus atteint son paroxysme avec la vague de suicide qui fit les Unes de la presse à la fin des années 2000.

Voilà donc ce que Fillon vise, lorsqu’il provoque en disant: J’ai ouvert les télécommunications à la concurrence. Vous pensez qu’il y aurait de l’Internet en France si on avait toujours France Télécom avec des fonctionnaires ?

Une libéralisation du marché particulièrement néfaste pour l’emploi en France !

La libéralisation du marché des télécommunications s’est donc faite au prix d’une casse humaine sans précédent, et dans cette affaire, tout le monde est mouillé : depuis 1998, France Telecom a détruit plus de 80 000 emplois directs, entrainant aussi l’effondrement des emplois et la fermeture des usines de son partenaire historique: Alcatel.

Ce n’est pas fini : chez Orange, la direction annonce 10 000 suppressions d’emplois supplémentaires pour les 3 années qui viennent, à la faveur des départs en retraite qui ne seront pas remplacés. On annonce la fermeture d’une vague de boutiques, pendant que les services techniques ne peuvent plus faire face aux besoins.

L’arrivée de Free Mobile en 2012, dont M. Fillon se félicite également d’avoir été un acteur clef, n’a fait qu’accélérer le mouvement : les prévisions de certains économistes, au lancement du 4ème opérateur mobile, qui prévoyait une destruction nette de 55 000 emplois en deux ans sur l’ensemble de la filière, se sont malheureusement réalisée.

Les réseaux de distribution indépendants, tels The Phone House (groupe Auchan), ont mis la clef sous la porte en supprimant 2000 emplois.

Dans les centres d’appels, la pression sur les prix a accéléré les délocalisations vers le Magreb. Les pertes d’emplois dans les centres d’appels français se chiffrent entre 4 et 7000 selon les sources.

Pourtant dans France Telecom entreprise publique puis privée, la performance des fonctionnaires est démontrée.

Les fonctionnaires de France Télécom ont, notamment grâce aux travaux du CNET, lancé Transpac en 1978 (entreprise gérant l’architecture de transport du numérique), le Minitel et Radiocom2000 (premier téléphone mobile) dans les années 80, et l’ADSL en 1990 (c’est à dire Internet).

Ils se sont également douloureusement mais remarquablement adaptés à la libéralisation des marchés : Orange est aujourd’hui l’opérateur historique européen qui résiste le mieux. Sur son marché domestique, et en parallèle de son développement international, Orange reste l’opérateur leader en parts de marché (ce que certains lui reprochent d’ailleurs), sur la téléphonie fixe, Internet – dont la fibre – comme sur le mobile.

Téléphonie fixe numérique, mobile 2, 3 et 4G, internet, ADSL et fibre : en moins de 40 ans, les fonctionnaires ont donc parfaitement piloté ce qu’on peut qualifier de révolution technologique.

La France à la traine, car « on ne touche pas au grisbi » !

Vu de l’État, France Télécom-Orange est un contributeur non négligeable au budget de la nation : ces 10 dernières années, l’entreprise a versé à l’État près de 8 milliards d’euros de dividendes, en plus des impôts et taxes qu’elle paie au même titre que tous les autres opérateurs. Car l’État est actionnaire, comme tous les actionnaires, ne s’intéresse qu’aux dividendes, et pas à la marche de l’entreprise, ni à son développement industriel, ni donc à ce qui reste du Service public qui était une présence sur tout le territoire, une proximité avec les clients, une écoute. Le gouvernement ne fait plus une politique au service du citoyen ! Il fait une politique comptable, qui a des effets désastreux sur la présence des services publics sur le territoire.

Et c’est ainsi que pendant 20 ans le développement de la Fibre Optique jusque chez l’abonné (FTTH) a pris un retard considérable en France, par rapport à d’autres pays. En 2015, la France n’était qu’à la 28e place dans le classement mondial, derrière Taïwan, la Corée du sud, Hong-kong, la Suède, Singapour, etc..

Car « l’État service » n’a pas dit à « l’État actionnaire »: « On lève le pied sur les dividendes et l’on met l’argent dans le développement ». Non l’État « service » s’est tourné vers les opérateurs de télécoms qui on dit: « ah non ! On ne peut pas faire, sinon on baisse les dividendes, et ça on ne peut pas ! Trouvez un autre moyen pour nous aider à faire, et on fera »,…

Et ce fut le plan Très haut débit (THD), lancé au printemps 2013, visant à couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit, d’ici à 2022. Mais ce sont les contribuables qui en financent le déploiement dans les zones rurales et périurbaines par le biais de subventions de l’État (donc les impôts), et l’intervention des collectivités locales (donc les impôts locaux).

Finalement le cop médiatique de Fillon est une opération politicienne à plusieurs détentes !

Et oui, aussi surprenant qu’elle soit, la sortie de François Fillon aux USA n’est donc pas si bête qu’elle en a l’air.

C’est une opération de politique politicienne à double ou triple détente:

  • 1- Il s’attaque frontalement et haineusement aux fonctionnaires qu’il met en pâture à ses électeurs traditionnaires,
  • 2- Il donne discrètement un coup dans la fourmilière de la gauche molle, celle de l’ex-gauche plurielle, en lui rappelant que si c’est lui qui a eu l’idée en premier, c’est elle qui a mis en œuvre son idée.
  • 3- Il envoie le message que, finalement, il n’y aurait pas d’alternative, puisque tout le monde est d’accord.