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Numéro 1

Quand les Paquebots du Havre sillonnaient les mers

par Albert Perrot

Aujourd’hui, on a de la peine à imaginer ce qu’était l’activité maritime du Havre, à l’époque des paquebots. D’ailleurs, il faut être havrais pour comprendre la déchirure qu’a représenté le disparition de cette activité économique, industrielle et commerciale, pour la ville et sa population.

A une époque où le “France” revient au Havre, après 17 ans d’absence, sous le nom de “Norway”, Albert Perrot fait un rapide panorama historique de cette activité qui a tant représenté notre département.

Quand on parle du Havre, on parle du Port du Havre.

Ville maritime par excellence, arc-boutée à la mer, fouettée par les embruns, respirant à pleins poumons les senteurs du large, c’est une ville mariée avec la mer, et toute son histoire est jalonnée d'événements maritimes.

En effet, toute son activité sera à dominante maritime: activité militaire, commerciale, industrielle, touristique.

Le Havre, base de départ des grandes expéditions.

Décidé par François 1er en 1517, Le Havre sera créé de toutes pièces, conquis sur des marécages, pour être un Port Royal et un Port Militaire, avec ses fortifications, sa “Tour François-1er”, son arsenal. Il le sera pendant 3 siècles.

Dès ses débuts, Le Havre sera un port d’aventures, de découvertes, déjà “Porte Océane” ouverte sur le grand large. En janvier 1524, Jean Verazzano part en reconnaissance, avec 4 vaisseaux, sur les côtes d’Amérique du Nord; en 1525, c’est l’expédition Villegagnon

sur les côtes du Brésil, et la fondation de Rio de Janeiro; En 1562, Jean Ribaud et René de Landonnière s’en vont coloniser les côtes de Floride. Le 7 mars 1604, c’est le départ de l’expédition de Champlain au Canada.

Dès le début de son histoire, Le Havre part à la conquête des mers, à la découverte du monde, d’autres pays, d’autres cultures?

Aux 17ème et 18ème siècles, Le Havre, tout en restant fidèle à sa vocation militaire, élargira considérablement son activité commerciale, mais dans un secteur bien particulier: il deviendra, avec Nantes et Bordeaux, un grand port colonial. 399 navires seront armés pour effectuer la traite des Noirs selon le rite du commerce triangulaire. Cette traite des Noirs se fera dans des conditions abominables et effroyables; c’est en 1848 que ce commerce honteux connaître son abolition définitive.

Les débuts de la vocation trans-atlantique du Havre.

Mais c’est au 19ème et 20ème siècle que le Port du Havre va prendre son véritable essor maritime: à la fois grand port de commerce, mais aussi grand port de trafic des passagers et son activité industrielle sera liée pour une large part, à cette vocation maritime: industries de construction et réparation navale. Le trafic de passagers concernera pour l’essentiel le transport des migrants qui, par milliers, partent pour les Amériques dans l’espoir de faire fortune sur les terres du Nouveau Monde.

Pour faire face à l’accroissement de ce trafic de migrants, il va falloir construire des navires de plus en plus grands, mais dotés de confort, pour satisfaire les exigences de la clientèle.

Deux compagnies maritimes havraises, la “Compagnie Générale Transatlantique”, créée en 1861, et la “Compagnie des Chargeurs Réunis”, créée en 1872, assureront des liaisons régulières avec l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Commence alors l’ère des grands paquebots:

1864: le “Washington”, “le La Fayette

1865: “l’Europe

1866: “Le Napoléon III”, “Le Ville du Havre”, “Ville de Paris

1883: “La Normandie

1886: “La Champagne

1891: “La Lorraine

1899: “L’Aquitaine

L’époque des grands paquebots

C’est au début du XXème siècle que l’ère des grands paquebots va connaître véritablement son essor et son âge d’or. La clientèle de luxe va augmenter, et les traversées, d'héroïques qu’elles étaient autrefois, vont se transformer en croisières de rêve, avec le maximum de confort, mais aussi de sécurité. Il faut rentabiliser ces navires en augmentant leur vitesse, leur capacité d’hébergement, en faire de véritables “villes flottantes”.

Le Havre va vivre désormais au rythme des départs et des arrivées de Paquebots aux noms prestigieux, véritables seigneurs des mers, ambassadeurs du goût et de la culture française.

1900: départ du “Lorraine

1901: départ du “La Savoie

1906: départ du “La Provence

1907 départ du “La Guadeloupe

1912: départ du “France

1921: départ du “Le Paris

1924: départ du “De Grâce

Un des plus connus, et des plus prestigieux fut le “Normandie”, en 1935. Construit aux chantiers de Penhoët, c’était le plus grand et le plus luxueux: 313 m 75 de long, 2200 passagers, 1300 hommes d’équipage, sa carrière fut, hélas de courte durée: en 1942, il fut incendié dans le port de New-York.

La destruction du port du Havre en septembre 1944 aura des conséquences catastrophiques. Tout est rasé. Il faut tout reconstruire. En quelques années, le port renaît de ses cendres et retrouve son activité.

D’anciens et de nouveaux paquebots vont à nouveau sillonner les mers à partir du Havre: le “Liberté”, paquebot ex-allemand, le “De Grasse”, “l’Ile de France”, “le Flandre”, “les Antilles”.

Le Paquebot “France

Dernier de ces Seigneurs de la Mer, le “France” arrive au Havre pour la première fois le 23 novembre 1961, sous les acclamations d’une foule nombreuse, venue l'accueillir. Construit aux chantiers de Penhoët, c’est le plus grand paquebot du monde. Il pouvait transporter plus de 2000 passagers. Fleuron de la Compagnie Générale Transatlantique, il assurera la liaison Le Havre-New-York pendant 14 ans, jusqu’à son désarmement en 1974.

C’était le 3ème paquebot appelé “France”. Le premier “France” fut mis en service en 1865 sur la ligne de New-York. “France II” fut le premier paquebot à quatre hélices (219m de long, 600 hommes d’équipage, et 1950 passagers).

Le dernier “France” comptait au départ plus de 1000 membres d’équipage.

Ce survol rapide de l’histoire des paquebots du Havre souligne, de manière éclatante, l’importance de cette activité de trafic de passagers pour le port.

Déjà plus de 1000 membres d’équipage, cela représente le nombre de salariés d’une grosse usine. A cela s’ajoutent tous ceux qui

sont associés à l’organisation, la préparation des voyages; l’entretien ou la réparation du navire; l’animation pendant le voyage...

Autour des paquebots se greffait toute une activité touristique de visite des paquebots. Des milliers et des milliers de visiteurs se pressent pour visiter, admirer ces superbes salons, décorations, rêver de voyages imaginaires, de découvertes de pays. Les jours de visite, il y a autant de visiteurs à bord des paquebots qu’au Mont St Michel et à la Tour Eiffel.

C’est dire l’engouement et l’attirance de toute une population pour ces prestigieux bateaux.

Une grande vitrine de l’économie française

Il ne faut pas oublier que la plupart de ces paquebots ont été construits, réalisés par des chantiers français et notamment par les chantiers de Penhoët à St Nazaire, en Loire Atlantique. Ce sont des milliers de travailleurs qui ont conçu, façonné, modelé, réalisé ces navires. Ils pouvaient être fiers de leur travail. Quand ces paquebots sillonnaient les mers, c’était un peu et même beaucoup d’eux-mêmes qui voyageaient aussi.

Ces paquebots étaient aussi de véritables ambassadeurs du Havre et de France. Ils portaient haut et loin le génie français, le savoir-faire des travailleurs, la culture française avec ses décorations, les peintures, les fresques, la modes. Art et technique s’unissent pour faire de ces paquebots de véritables palais flottants.

La déchirure

Aussi leur disparition avec le désarmement du France en 1974, a eu des conséquences graves et dramatiques pour le personnel licencié, pour le port et la ville du Havre, pour la France.

Les Havrais ne s’y sont pas trompés quand ils ont manifesté leur solidarité dans la lutte, et participé à l’action pour le maintien du France.

Lors du départ du “France”, le 18 août 1979, les Havrais sont venus en masse saluer une dernière fois ce seigneur des mers, le dernier survivant des grands et superbes paquebots du Havre.

Pendant que les sirènes mugissent, que les cloches sonnent, les Havrais, gorge nouée et poings serrés, les yeux embués de larmes regardent partir ce géant des mers, dans un silence total et impressionnant qui crie leur colère, leur révolte, leur souffrance face à ce départ qui signifie la fin de toute une histoire maritime vieille de plusieurs siècles, de toute une activité commerciale et touristique qui faisait honneur au Havre et à sa population.

Aveuglement des uns, rapacité des autres, une logique de rentabilité à tout crin a mis fin à l’ère des paquebots, et le quai Joannès Couvert est maintenant orphelin.

A son tour il est devenu le “quai de l’oubli”.

site de l'IHS CGT 76e