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Numéro 1

1979: Les Batailles du “France”

 Par Serge Laloyer

Le paquebot “France”, aujourd’hui “Norway” revient une ou deux fois par an visiter le port du Havre. C’est l’occasion pour les médias de rappeler l’histoire de ce géant des mers qui fût le dernier fleuron de la Compagnie Générale Transatlantique.

C’est pour nous l’occasion de rappeler les divers événements qui ont marqué l’existence de ce navire depuis son lancement en 1965.

Le “France” a fait l’objet de nombreux combats syndicaux pour défendre l’emploi et s’opposer au démantèlement de la marine marchande, plus particulièrement en 1974, année où le gouvernement et la direction de la “Transat” décident le désarmement du navire.

Cette année là a lieu une importante lutte marquée par l’occupation du navire à l’entrée du port et le soutien de la population à l’appel d’un large comité de soutien présidé par André Duroméa, député-maire du havre.

Mais cette puissant mobilisation ne permit pas de briser la volonté du pouvoir, le”France” était désarmé et amarré au fond du port du Havre, près de 900 marins, officiers et personnel hôtelier étaient privés d’emploi et cet abandon au quai de l’oubli devait durer jusqu’en 1979, en attente d’un acheteur éventuel.

L’année 1979 est marquée par une accentuation des fermetures d’entreprises et de licenciements dans la sidérurgie, dans la marine marchande, dans la construction et la réparation navale.

Au mois d’août, le pouvoir giscardien trouve un acheteur pour le “France”, un armateur norvégien qui se propose de le transformer en bateau de croisière et casino flottant. Le nombre d’heures de travail nécessaires à sa transformation est évaluée à 1 700 000 pour les salariés de la réparation navale.

La Bataille pour l’emploi dans la réparation navale

Les métallos de la réparation navale subissent depuis des mois le chômage qui, parfois, dure plusieurs semaines. Répondant à l’appel de la CGT, les métallos havrais engagent la lutte pour obtenir les transformations du navire, et si possible trouver une solution française pour le maintenir sous pavillon national.

Dans le même mouvement, ils réaffirment la nécessaire acquisition, pour le port du Havre, de nouveaux moyens pour assurer la réparation des navires-pétroliers, porte-conteneurs, etc.

Le gouvernement et le nouvel armateur du “France” répondent négativement aux propositions. Ils n’ont qu’un seul objectif: sortir le “France du Havre et le diriger vers un port étranger.

Le 13 août 1979, les travailleurs de la réparation navale décident, avec la CGT, d’occuper l’écluse François 1er, passage obligé pour quitter le port.

Cette occupation, jours et nuits, de l’écluse a un retentissement médiatique national et international. Elle vient rompre la traditionnelle trêve du mois d’août.

On verra le 15 août, des familles venir de Seine-Maritime, mais aussi de la région parisienne soutenir les grévistes. Rien n’y fait, le pouvoir est décidé à livrer le navire. Dans la nuit du 16 août, près de 600 C.R.S. et gardes mobiles montent à l'assaut des grévistes.

Dans la matinée du 18 août, des milliers de Havrais assistent au départ de ce qui fut le “France” et était déjà “Norway”. Tiré par un remorqueur, il gagnait le port de Bremerhaven pour y subir les transformations prévues.

Malgré plusieurs démarches effectuées par la CGT auprès de l’I.G-Métal, syndicat des métallos allemands pour leur proposer de partager le million et demi d’heures de travail, ce fut sans succès. Pour les syndicalistes d’I.G-Métal, la lutte commune n’était pas encore à l’ordre du jour.

La lutte n’était pas terminée.

Le départ du navire était un coup sévère pour les métallos havrais, mais les revendications pour l’emploi, pour les moyens techniques pour faire face aux nouveaux besoins de réparation navale restaient.

Dans la navale, comme dans les autres branches industrielles en Seine-Maritime, des revendications pour de meilleures conditions de vie et de travail faisaient l’objet de nombreuses luttes revendicatives depuis des mois.

Il fut donc décidé, à l'appel de l’UD-CGT, de faire entendre la voix des travailleurs, là où se trouvait une partie des responsables de cette politique. Et traditionnellement les possesseurs des richesses sont à Deauville, au mois d’août.

Le 17 août, près d’un millier de travailleurs occupaient le casino de Deauville et de ses abords, à la grande surprise des gens fortunés, peu habitués à voir de si près des ouvriers, et surtout dans leur casino.

Ils furent tellement ébranlés que certains ont mis la main à la poche pour mettre une pièce dans un casque de chantier pour la collecte organisée par les grévistes.

Quelques mois plus tard, la construction d’un dock flottant permettant au port du Havre d’assurer la réparation de grands navires était acquise.

site de l'IHS CGT 76e