Ecrire au fil rouge

Document

1912: l’année des congrès au Havre

Le Havre, les 16 au 21 Septembre 1912, le 12ème Congrès de la Confédération Générale du Travail

 « Le Congrès fondateur des Unions Départementales »  

 Par Albert Perrot

C’est au Havre que s’est tenu le 12ème Congrès de la CGT, congrès important à plusieurs titres et notamment sur l’organisation interne de la CGT.

Il faut noter que la CGT depuis sa création au Congrès Constitutif de Limoges en 1895, tient ses congrès dans les principales villes ouvrières de France :

C’est Le Havre qui est choisi en 1912, en raison de l’affaire DURAND, ce secrétaire du syndicat des charbonniers, condamné à mort le 25 novembre 1910 alors qu’il était totalement innocent.

Ce jugement inique souleva une vague de protestations, et d’actions de solidarité au niveau national et international et devint l’affaire « Dreyfus » de la CGT.

L’année 1912 fut pour Le Havre une année de Congrès pour de nombreuses organisations :

Le 25 mai : Congrès national de la Ligue française pour la défense des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le 9 septembre : Congrès de la Fédération des Ports et Docks de France.

Le 12 septembre : Congrès de la Fédération des transports en commun et de la Fédération des syndicats maritimes.

Et du 16 au 21 septembre 1912 eut lieu le 12ème Congrès corporatif de la CGT.

Il s’est tenu dans la grande salle du Cercle Franklin, mise à disposition par la Municipalité du Havre.

L’Union des syndicats du Havre attendait une forte participation comme l’atteste son journal « VERITES » du 1er septembre 1912 :

« Il nous faut compter sur 600 délégués représentant près de 2000 syndicats. Toutes les opinions, toutes les méthodes, toutes les tactiques des organisations ouvrières seront représentées et donneront aux débats toute l’ampleur désirable pour que, dans la discussion des questions posées à l’ordre du jour, toutes les manières de voir puissent se manifester librement ».

La participation au Congrès fut effectivement très importante : 340 délégués représentant 1202 syndicats.

Pendant toute la durée du Congrès, le journal « VERITES » a paru chaque jour, donnant un compte rendu des séances de la veille, permettant ainsi à chaque Congressiste d’être pleinement informé des questions traitées, des débats, des résolutions et décisions prises.

Les principales questions traitées à ce Congrès furent les suivantes :

Au plan économique et revendicatif : 

-                Les retraites ouvrières,

-                La réduction du temps de travail, la semaine anglaise,

-                La lutte contre la vie chère et la hausse des loyers.

La question des rapports de la CGT et des partis, plus précisément des rapports de la CGT et du Parti Socialiste.

Au plan de l’organisation, l’évolution des structures de la CGT est précisée : toutes les Bourses doivent se transformer en Unions et se fédérer dans les Unions Départementales; les syndicats et fédérations de métiers doivent se rassembler en fédérations d’industrie.

A Propos des Retraites Ouvrières.

La question des retraites étant un problème brûlant d’actualité, il est intéressant de voir comment la CGT abordait cette question en 1912.

Le douzième Congrès de la CGT tout en considérant que le Parlement et le Gouvernement ont été contraints d’introduire certains changements dans la loi de finances du 27 février 1912, suite à l’agitation menée par la CGT, se déclare insatisfait des dits changements :  

1.               « Parce que, versements, cartes et principe de la capitalisation étant maintenus, il considère qu’aucune amélioration fondamentale n’a été apportée à la loi, qui, ainsi, reste basée sur la plus dangereuse spéculation capitaliste ;

2.               Parce que le taux de la retraite, déjà dérisoire, se trouve encore diminué dans les proportions suivantes : la loi du 5 avril 1910 accordait au retraité un maximum de 393,87 F, tandis que les modifications fixent ce maximum, pour ce même retraité, à 297,44 F, soit une diminution du taux de la retraite de 96,43 F ;

3.               Parce que le versement de l’État constitue un effort dérisoire ; que chaque année, un milliard et demi est gaspillé pour des œuvres de destruction et de carnage ;

Pour ces raisons essentielles, le Congrès confédéral répète que son opposition reste entière. »

La diminution des Heures de travail, la Semaine anglaise.

« Rappelant que l’action entreprise par la Confédération Générale du Travail pour la conquête des huit heures, revendication d’une haute portée morale et économique, dont la généralisation doit rester la préoccupation principale, constate que les résultats obtenus n’ont pu l’être que par l’action d’ensemble du prolétariat ;

Considérant que la semaine anglaise est une revendication permettant d’atténuer les conséquences du chômage ; qu’elle aurait aussi pour résultat certain d’assurer le repos hebdomadaire à un grand nombre de catégories de salariés qui n’en bénéficient pas encore ;

Considérant qu’en supprimant un surmenage meurtrier, elle diminuerait dans une forte proportion les accidents du travail et les méfaits de l’alcoolisme, si nuisibles à la classe ouvrière ;

Considérant que c’est aussi la possibilité pour les femmes industrialisées par centaines de mille de vaquer un peu plus à l’entretien du foyer au profit de leur santé et de l’éducation des enfants ;

Le Congrès déclare que la diminution des heures de travail doit se poursuivre avec, comme plate-forme générale, l’application de la semaine anglaise par le repos de l’après-midi du samedi. »

A propos des rapports Syndicats-Parti Socialiste

Le journal VERITES avait souhaité que toutes les manières de voir puissent s’exprimer librement. C’est sur le terrain des rapports syndicats – partis que des opinions opposées s’exprimèrent donnant lieu à des échanges parfois virulents.

Voici quelques exemples.

Renard au nom des Guesdistes, recommande l’alliance avec le Parti Socialiste.

« Puisque le Parti Socialiste a de la sympathie pour la CGT, pourquoi celle-ci n’en aurait – elle pas pour le parti ?

J’ai demandé des rapports intermittents entre la Confédération et le Parti. Il peut y avoir des points d’entente, il y en a déjà eu. Lors d’une entreprise coloniale, d’une guerre, on peut mener une action commune. Dans l’état actuel, nous ne sommes pas assez forts pour prendre en main la direction économique de la société.

Si nous savions faire entente entre le syndicalisme et le socialisme, nous serions beaucoup plus forts que les Radicaux….

Nous qui sommes des Guesdistes, nous sommes contre la main-mise sur les organisations économiques. Toute action manuelle doit être précédée d’une action intellectuelle ; la Confédération a besoin du parti

Socialiste pour l’idée comme le Parti a besoin des syndicats pour mener l’action à bien… »  

Griffuelhes au nom des syndicalistes révolutionnaires lui réplique :

« Avec Klemczinski, j’ose affirmer que si le Parti veut mettre la main sur nous, c’est que sa croissance est subordonnée à celle de la CGT… Je n’aime pas les amours intéressées… Nous n’avons pas les mêmes raisons que nos camarades belges, allemands, etc.… de rechercher un appui à côté pour la conquête des libertés politiques. Nous n’avons pas à nous battre pour le suffrage universel, nous commençons à en être dégoûtés ! »

Cette discussion à caractère politique occupa une grande partie du Congrès, l’équivalent de trois séances.

Trois tendances se dégagèrent :

A la clôture de ce débat, Léon Jouhaux soumit au vote du Congrès une résolution rappelant la nécessité de l’autonomie du syndicat et de son indépendance :

« Le syndicalisme, mouvement offensif de la classe ouvrière, par la voix de ses représentants, réunis en congrès, seuls autorisés, s’affirme encore une fois décidé à conserver son autonomie et son indépendance, qui ont fait sa force dans le passé et qui est le gage de son progrès et de son développement ;

Le Congrès déclare que, comme hier, il est résolu à s’écarter des problèmes étrangers à son action prolétarienne, susceptibles d’affaiblir son unité si chèrement conquise et d’amoindrir la puissance de l’idéal poursuivi par le prolétariat groupé dans les syndicats, les Bourses du Travail, les Fédérations corporatives, et dont la CGT est le représentant naturel .

De plus, le Congrès évoquant les batailles affrontées et les combats soutenus, y puise la sûreté de son action, la confiance en son avenir, en même temps qu’il y trouve la raison d’être de son organisation toujours améliorable. C’est pourquoi, dans les circonstances présentes, il confirme la constitution morale de la classe ouvrière organisée, contenue dans la déclaration confédérale d’Amiens (congrès de 1906). »  

« Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2 constitutif de la CGT, disant :

« La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

« Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qu’opposent sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ;

« Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

« Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale ;

« Le Congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelques soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

«  Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer en dehors du groupement corporatif à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

« En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son

maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

Cette résolution obtint les résultats suivants : Sur 1105 votants, nuls 31, pour 1028, contre 34, abstentions 12.  

Elle fut votée à la quasi unanimité du Congrès. Malgré les différences, voire les désaccords idéologiques, l’unité se réalisa sur la base des principes rappelés dans la Charte d’Amiens.

La création des Unions départementales 

Au plan de l’organisation, le 12ème Congrès du Havre revêt une grande importance.

Lors de sa dernière journée, des précisions essentielles sont apportées sur les structures de la CGT :

Toutes les bourses de travail doivent se transformer en Unions et se fédérer dans les Unions Départementales.

Les syndicats et fédérations de métier doivent se rassembler en fédérations d’industrie.

Le Congrès rendit l’Union Départementale obligatoire :

« Le Congrès fit adopter qu’à partir du 1er janvier 1913, il ne sera confectionné qu’un timbre unique par département ou région ».

Les Bourses d’un même département auront dorénavant aussi le même timbre, et tous les syndicats de ce département devront l’appliquer.

En outre, les Bourses du Travail d’un même Département devront se réunir en congrès pour constituer une Union départementale de syndicats, avant le 1er septembre 1913. A partir du 1er janvier 1914, il ne sera admis qu’un délégué par département au Comité confédéral. »

Cette création des Unions Départementales suscita des inquiétudes parmi les responsables des Bourses et Unions. A la cinquième Conférence des Bourses et Unions qui eut lieu après le Congrès, Lapierre donna lecture de la résolution suivante :

« Après le vote du Congrès Confédéral du Havre, décidant qu’à partir du 1er janvier 1914 les Unions départementales des syndicats seraient seules admises à la CGT, la conférence demande dans l’intérêt de la section Confédérale des Bourses :

1° Que les Unions Locales ne soient pas sacrifiées et puissent se mouvoir librement dans ces rouages nouveaux comme organisations de propagande locale, sous la dénomination de Comités intersyndicaux ;

2° Que dans les Congrès de fusion qui auront lieu pour la constitution des Unions régionales, il soit tenu compte rigoureusement des limites départementales ; pour les cas d’espèces, le Comité des Bourses appréciera ;

3° Que dans leurs congrès régionaux, les unions départementales y invitent les Unions voisines et que, d’accord, elles s’entendent pour les moyens de propagande pour plusieurs départements, tout en conservant la base statuaire qui est le département ;

4° Enfin, la Conférence compte sur l’esprit de solidarité qui doit animer les organisations d’une même région pour appliquer sans difficulté les résolutions du Congrès du Havre ;

5° La Conférence manifeste le désir de voir inscrire à l’ordre du jour de la Conférence des Fédérations et des Bourses de juin 1913, la question suivante qui est d’ordre administratif. Relations entre Unions et Fédérations ».

La lutte pour la Paix

Ce 12ème Congrès de la CGT du Havre sera suivi d’un Congrès extraordinaire à Paris les 24 et 25 novembre 1912 avec un seul point à l’ordre du jour :

« Attitude de la classe ouvrière en cas de guerre »

La guerre a déjà éclaté dans les Balkans et menace de s’étendre.

La tradition pacifiste est solidement ancrée dans le cœur des syndicalistes Havrais. Le 19 novembre 1912, un meeting contre la guerre rassemble à Franklin deux mille personnes, avec une forte participation de femmes.

Merrheim, secrétaire de la Fédération des Métaux, pacifiste convaincu, s’écrie : « Une guerre serait un crime contre l’humanité ! »

Les orateurs exaltent l’union des travailleurs par dessus les frontières et appellent à l’action pour la Paix.

Le 16 décembre 1912, l’Union des syndicats dans son journal « VERITES » appelle tous les travailleurs à faire grève 24 Heures le 16 décembre :

« Dans les circonstances actuelles, tergiverser serait un crime contre l’humanité, contre la civilisation.

Il nous appartient de joindre votre voix au formidable concert organisé par la classe ouvrière pour clamer notre haine contre la guerre et les boucheries internationales qui en découleraient ».

Le mot d’ordre est :

« A bas la Guerre ! VIVE LA PAIX ».

Le 28 juin 1914, Jaurès ira au Havre. Et devant 2000 personnes venues l’écouter à Franklin, il se prononce pour la Paix entre les Nations et reprend le mot d’ordre célèbre : « GUERRE A LA GUERRE ! »

 

Ecrire au fil rouge