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Industrie textile en Seine-Maritime

Bolbec: Retour sur son textile perdu !  

ou sept siècles de labeur

Par Pierre Michel

3ème Partie: Le début du vingtième siècle  jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Le 19ème  siècle s'achève sur des mouvements importants dans les manufactures et usines de la «vallée d'or».

D’une part les ouvriers ne supportent plus les baisses de salaires décidées unilatéralement par les patrons manufacturiers, et d’autre part la misère et les conditions de travail des salariés(es) sont devenus tellement insupportables, que la seule issue possible pour ces pauvres gens, se concrétise dans la lutte pour la reconnaissance de leurs droits.

Une Chambre syndicale des ouvriers cotonniers existe en 1880. Elle précède la loi de mars 1884 qui légalise les syndicats professionnels et permet de canaliser l’expression des revendications des travailleurs, et la mise en commun de leurs combats.

 L'idéologie socialiste pénètre les milieux ouvriers, y compris à Bolbec, à une époque où la Confédération générale du travail voit le jour  en 1895 (CGT).

La démarche syndicale, quoique assez timide dans les industries textiles, commence à faire son chemin.

Dès le début du 20ème siècle, en 1904 une «Union textile ouvrière de Bolbec-Lillebonne» se constitue. Elle avait pour objectif de canaliser le mécontentement et les revendications des salariés du textile de toute la vallée, et de coordonner les conflits et les grèves.

Au congrès de la charte d’Amiens en 1906 — sur l’indépendance des syndicats — les cotonniers de Bolbec sont représentés par V. Renard, ceux de Lillebonne par H.Cnudde.

Pendant la grande guerre de 14-18, il n’est mentionné aucun disfonctionnement dans les usines de textile qui produisent pour les fournisseurs de l’armée. A la sortie de la guerre, les manufacturiers abandonnent le lin comme matière première, pour revenir au coton. Les approvisionnements ont été bouleversés et le commerce du coton est redevenu très avantageux pour les usines de textiles.

Cependant (est-ce à cause du changement de la donne ?) on peut remarquer la fermeture de 4 manufactures dans le canton de St Romain: St Gilles de la Neuville, Epretot, La Cerlangue et Gommerville.

En 1919, la question du pouvoir d’achat des employés(es) des usines de textile devient crucial. Les salaires sont loin d’avoir suivi la hausse des prix considérable pendant les années de guerre.

Les ouvriers se mettent en grève à Bolbec et Lillebonne. Fait notable, à Lillebonne le 3 juin 1919 à 11 heures du matin, tous les établissements cessent le travail pour réclamer, parmi leurs revendications, la reconnaissance du syndicat à l’usine et qu’il n’y ait aucun renvoi pour fait de grève.

De plus, les travailleurs demandent l’application de la journée de 8 heures à partir du 1er juin 1919, la suppression du travail aux pièces et l'unification des salaires:10 francs par jour pour 8 heures de travail et pour les deux sexes. A cette époque les industries du textile emploient une majorité de femmes (+ de 60 %). Ce mouvement a lieu au même moment dans les usines de Bolbec, étant donné les liens étroits qui existaient entre les deux sites et les directions communes aux manufactures.

Dans les Ets Desgenétais frères, la grève durera un mois, du 1er juin au 1er juillet 1919. Elle sera relatée par la presse locale le « Progrès de Lillebonne ». Pour la première fois, la presse doit admettre que la CGT, syndicat unique dans le textile comme dans les autres professions à cette époque, a recueilli en quelques jours un grand nombre d'adhésions.

Un accord intervient, qui prévoit pour la profession dans les usines de Lillebonne (peut être aussi dans celles de Bolbec), 54 heures de travail effectif par semaine, soit les 48 heures légales et 6 heures supplémentaires payées avec une majoration de 25%, dont une heure de nettoyage.

Cela se traduit concrètement par le doublement des tarifs d'avant la guerre et une prise en compte dans les salaires des heures supplémentaires. Cela représentait malgré tout une réduction sensible de la durée du travail qui était de 10 heures par jour, 6 jours sur 7,  jusqu'à la veille de la grève, sans compter le nettoyage.

Cet arrêt total de la production entraînant l’absence de rémunération, fut évidemment très pénible financièrement  pour les salariés, mais la population de Bolbec considéra ce mouvement comme nécessaire. Soutenus par les populations, les grévistes purent disposer de ressources pendant ce mois de lutte (cotisation des membres du syndicat ouvrier, quêtes effectuées dans les villes, etc. ).

Il y avait à cette époque près de 3000 ouvriers dans le textile à Bolbec, et dès le début de cette action spontanée le syndicat CGT se forme. Il réunira rapidement plus de 2000 syndiqués à Bolbec et. 4000 adhérents pour l’ensemble de la « vallée d’or», qui constituèrent le syndicat général ouvrier CGT de la corporation.

Cette grève fit boule de neige non seulement parmi les usines de textiles mais aussi dans les manufactures «d’indiennes» (imprimeries sur tissus).

Les plus grosses usines furent complètement arrêtées: Desgenetais Frères, Manchon Lemaitre, Fouquet Lemaitre, Daniel et les Ets Tetlow (fabricant de peignes pour tissage).

Il est vrai que la période est propice, puisque le mouvement est national. Quelques mois après la fin de la guerre, dans un contexte international marqué par la révolution russe, l’état d’esprit était à l’offensive revendicative.

Mais la scission dans la CGT en 1921, intervenant après l’échec des grèves de 1920 affaiblit durablement le mouvement syndical, et empêche la pleine application de la loi des huit heures.

Le marasme des années 20

Après 1920, la situation économique se dégrade pour l’industrie du textile, les affaires ne se développent plus, les débouchés pour les produits manufacturés se restreignent et ce sont de nouveaux les ouvriers qui font les frais de la récession: baisse des salaires, début du chômage partiel etc…même si l’on peut noter aussi une timide modernisation dans les usines les plus importantes, notamment en ce qui concerne l’installation de nouveaux métiers plus performants mais réducteurs d’emplois.

Parallèlement, les industries du Havre se développent (constructions navales, métallurgie, Fonderies etc.) et le besoin de main d’œuvre se fait sentir (essentiellement masculine).

Le développement du chemin de Fer et les lignes organisées entre Bolbec et le Havre, contribue à une exportation de la main d'œuvre Bolbécaise vers le Havre. Des transports journaliers acheminent les ouvriers qui ont quitté l’industrie du textile, pour aller chercher au Havre de meilleurs salaires et des conditions de travail moins pénibles.

Il existe cependant beaucoup plus d’usines à Bolbec en 1929 qu’à la fin du siècle précédent.

Voici la liste des manufactures et usines de textile recensées à Bolbec, au moment de la crise:

La maintenance:

Mais à la veille du krach de 1929, excepté dans les grands groupes, les familles propriétaires n’ont pas ou peu investi dans leurs usines.

De plus, les nouveaux patrons qui ont succédé aux dirigeants des usines fondées au début de l’essor industriel, n’ont pas tous été à la hauteur, par manque de compétence et de rigueur dans la gestion de leur affaire.

Même affaibli, le syndicalisme continue à exister dans la région bolbécaise. La Chambre syndicale des ouvriers cotonniers de Bolbec (CGT) continue d’exister. Elle gère même une caisse de solidarité, constituée en partie par les cotisations syndicales, pour palier aux pertes de salaires des grévistes et pour aider les vieux travailleurs aux maigres ressources.

La région est attentive à ce qui se passe dans le reste du pays et en particulier aux projets divers  que la presse présente comme devant résoudre les grands fléaux sociaux.  

Pour preuve, on peut se reporter au procès verbal de la réunion générale du 20 janvier 1929, de la dite Chambre syndicale, dans lequel son secrétaire M. Leroux, après avoir donné les résultats de trésorerie, appelle tous les syndiqués à la plus grande vigilance concernant les nouvelles lois sociales, qui doivent être mises au vote à l’Assemblée Nationale.

En effet, déclare toujours M. Leroux, «ces«Sociales»seront placées sous la tutelle des industriels, et imposées par le comité des Forges, comme ils se sont emparés de la gestion des logements des ouvriers!».

La crainte est grande qu’à l’image des mutuelles de secours crées par les patrons au sein même de leurs usines, et distribuant les indemnités aux chômeurs d’une manière sélective, les assurances sociales n’atteignent pas leur but et échappent à tout contrôle.

Cette loi créant «Assurances Sociales», élaborée par Pierre Laval, sera, en effet,  adoptée par 576 voix contre 30, le 30 avril 1930, un peu avant les effets de la crise boursière américaine sur l’économie Française. En fait, cette loi, seule véritable avancée d’envergure depuis la loi des huit heures, est combattue par la CGT-U qui contestait le versement de cotisations ouvrières et la gestion des caisses par le patronat.

Les effets de la crise de 1929

La crise mondiale qui éclate en 1929, et dont le spectaculaire krach boursier du « jeudi noir » (24 octobre) à New York souligne les début, ouvre une période noire.

Cette crise a été préparée aux État Unis par une spéculation intensive hors de proportion avec les possibilités américaines, par un développement incontrôlé et anarchique de la production, par la création de sociétés sans bases économique suffisantes, par des emprunts dont la hardiesse dépassait la mesure, par des investissements exagérés, tout en plaçant l’économie dans un état de déséquilibre très instable, à la merci d’un incident.

Alors baissent les prix des matières premières: les denrées agricoles et les produits industriels se vendent mal, des stocks s’accumulent, le chômage s’étend, de nombreuses usines s’arrêtent, les banques font faillite. On crie à la « surproduction ». En fait la surproduction est toute relative, puisqu’elle coïncide avec la sous-alimentation et le dénuement profond des deux tiers de l’humanité.

Pendant que la crise attaque toute une partie de la planète, elle ne produit cependant pas des effets immédiats en France, qui semble fournir l’exemple d’une oasis de prospérité.

Mais les pays atteints par la crise prennent bientôt des mesures de protection. La Grande-Bretagne dévalue sa livre de 31% (septembre 1931), suivie par tous les pays que dirige son économie. Les prix français deviennent trop élevés, et les exportations s’en trouvent affectées. Un deuxième coup porté cette fois par la dévaluation du dollar (avril 1933) termine de secouer l’économie française endormie dans une sécurité trompeuse. 

Pour l’industrie textile, c’est une véritable catastrophe. D’une part, les tarifs douaniers s’envolent, les exportations en matières premières sont strictement contingentées (coton des U.S.A) et d’autre part, la perte de confiance et le niveau des prix des produits manufacturés bloquent le commerce et les échanges.

La chute des exportations de produits finis notamment vers les États-Unis, la Grande Bretagne et la Russie, va bientôt se traduire par une accumulation des stocks et des fermetures d’usines à Bolbec avec un taux de chômage impressionnant.

Seules les manufactures des grands groupes ont pu résister à un tel séisme économique. Bolbec n’a pas échappé à ce phénomène mondial qui va perdurer bien au-delà de la période du Front populaire.

Plusieurs manufactures de tissage/filage ne résistent pa à la crise économique et ferment définitivement leurs portes

C’est le cas notamment des Ets DANIEL (1934) FAUQUET LEMAITRE 1700 personnes (1936) et FORTHOME ALLEAUME(1936).

La situation est terrible pour les travailleurs. Le patrons du textile ont toujours été impitoyables. La crise les rend féroces. Les salaires, cinq année durant, connaissent un chute régulière. 

Illustrons la situation par un témoignage datant de 1936 dans la Vallée du Cailly, vallée textile elle aussi: « l’usinier loge les ouvriers et leur famille. Il les entasse dans les taudis faits exprès et baptisés « cités ». Le jour de ses treize ans, l’enfant quitte l’école pour l’usine. Ainsi le patron ne manque jamais de chair fraîche, de main d’oeuvre enfantine (…) l’ouvrier n’échappe au patronat que pour tomber dans le chômage (…) sur 1500 ouvriers, 7000 sont au chômage total et 8000 au chômage partiel. De treize à dix-huit ans, les jeunes n’ont droit à rien: on ne mange pas à cet âge là!... ».

La génération Boussac

En 1935, Marcel Boussac, homme d’affaires à carrure internationale, «roi du coton», inventeur du pyjama et de la toile d’avion, à la tête d’un empire industriel, reprend les établissements Desgenétais de Bolbec,gérés par le Comte Gaston de Castelbajac. Ce dernier, pour honorer des dettes de jeu, cède ses usines de textile qui tombent dans l’empire Boussac à la fin 1935.

A cette époque, les milliardaires ne s’embarrassaient pas de préjugés, fréquentaient les terrains hippiques à Deauville et les casinos ou s’y perdaient des fortunes, des usines et leurs ouvriers qui étaient joués sur le tapis vert.

Pendant près de 40 années, Marcel Boussac va diriger le Groupe Desgenetais/Boussac, petit maillon de son empire, qui va comporter à la veille de la deuxième guerre mondiale, 60 usines de tissage, filature, teinturerie, blanchiment, impression sur étoffe, confection, avec 30 000 ouvriers, reparties en Normandie et dans l’est de la France.

Bolbec intéresse Boussac par la qualité de ses fabrications notamment les tissus fantaisies (rayures, carreaux, ratière, jacquard etc.) Il décide alors de faire de la « fantaisie » chez Desgenetais (Bolbec et Lillebonne).

Il commence par le tissu «pare poussière» que portaient les instituteurs, les postiers, les commerçants, les écoliers etc…

Pour mieux rentabiliser les investissements en faisant tourner les machines plus longtemps et en augmentant la production, les usines Boussac remplacent le travail à la journée de dix heures par jour, par le travail  posté de deux fois huit heures.

A cette époque, l’ensemble Desgenétais-Boussac emploie sur trois sites de «la vallée d’or» environ 2000 personnes et comporte aussi une teinturerie à Caudebec en Caux.

1936 – Le Front Populaire

Au milieu des années 30, les effets de la crise de 1929

se font sentir à plein, et le chômage pèse lourdement sur le monde du travail. Au chômage total, il faut ajouter le chômage partiel dans le textile: 80% des ouvriers ne font pas des journées normales de travail.

Le patronat profite de cette situation pour renforcer l’exploitation des salariés. Le gouvernement n’est pas en reste à l’égard des fonctionnaires et des travailleurs des services publics. Entre 1930 et 1935, la masse des salaires distribués diminue d’un tiers. Le salaire réel va baisser jusqu’en 1935, et le même phénomène se reproduira de 1937 à 1939. Il ne connaîtra une période de hausse qu’en 1936 et au premier semestre de 1937.

En 1932, la droite classique, battue aux élections ne tarde pas à remettre en cause les institution républicaine. Dans cette atmosphère, les ligues factieuses prennent de l’importance avec l’appui du patronat.. La conjoncture internationale — après l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne — est une source d’encouragement pour les chercheurs d’aventure.

Le 6 février 1934 au soir d’une démonstration centrale convoquée par les organisations de droite et d’extrême droite, elles tentent un coup de force contre la Chambre des députés. Le coup de force échoue. On relève une quinzaine de morts et deux mille blessés.

La riposte a lieu dans toute la France le 12 février, à l’appel de la CGT et de la CGT-U, avec le soutien du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO).

A partir de cette époque, un processus unitaire est enclenché. la CGT et la CGT-U se rapprochent, pendant que le Front populaire se constitue. La réunification organique de la CGT est effective à la fin de l’année 1935.

En 1936, le Front Populaire remporte les élections législatives; c’est une grande victoire sur la droite réactionnaire. L’avènement du gouvernement de Front populaire présidé par de Léon Blum — 4 juin 1936 — modifie le climat social.

Une vague de grève déferle dans le pays. Parti du Havre, aux usines Breguet, le mouvement touche toutes les usines sous la forme de grèves avec occupation.

les accords de Matignon, signés le 7 juin 1936, entre la CGT et le patronat, traduisent une avancée sociale sans précédent: les ouvriers ont leurs salaires doublés et parfois triplés pour les plus mal payés. L’augmentation est en moyenne de 12%. Les délégués ouvriers sont institués.: le syndicat entre dans l’entreprise.

Dans la foulée l’Assemblée vote en quelques jours la loi sur les 40 heures sans diminution de salaire, celle sur les congés payés de deux semaines et celle sur les conventions collectives.

La région de Bolbec, Lillebonne et Notre-Dame de Gravenchon connaît, en ce mois de juin sa vague de grèves et d’occupations: Desgenétais, Mazurel, Fauquet Lemaître, Filatures de Fontaine. Les grèves touchent, bien évidemment, les autres corporations, comme les Fonderies de Roncherolles, Vacuum Oil (Mobil), Standart Franco Américaine, etc.

Le Progrès de Lillebonne du 12 juin, traduit bien l’opinion des bourgeois de l’époque: «La semaine des 40 heures consacrerait  une régression sociale. Prétendre, comme le font socialistes et communistes, théoriciens de la CGT, que le grand progrès auquel les salariés puissent aspirer est de fournir un moins grand nombre d’heures de présence à leur employeur constitue certes un bel hommage à la paresse, mais aussi la négation de toutes les aspirations de l’homme vers un bien-être plus grand».

Bolbec connut le 14 juin à 11 heures, un très long défilé à travers ses rues, défilé que «Progrès de Bolbec» estime à 400 personnes, poing fermé et levé. La Fête du 14 juillet 1936 se déroula dans la liesse populaire.

Le succès revendicatif s’accompagne d’un mouvement de syndicalisation jamais vu jusqu’alors. La CGT réunifiée au début de l’année, voit affluer les adhésions. Partout des délégués sont désignés. L’Union locale comme partout dans la Seine-Maritime, est portée par le  dynamisme d’un mouvement irrésistible.

La force de la CGT dans la région de Bolbec fait qu’en 1938, elle se voit attribuer des locaux par la municipalité qui deviendront le siège de l’Union locale. Notons que dans l’équipe municipale de l’époque, seuls deux conseillers soutenaient le Front Populaire.

Cependant le patronat travaille déjà à sa revanche. Le franc est dévalué le 26 septembre 1936 et le gouvernement annonce « la pause ». Les conditions d’existence des travailleurs se dégradent de nouveau.

La revanche patronale

Au 1er janvier 1938, les prix ont augmentés de 50%

par rapport à juin 1936. Avec l’arrivée de Daladier, ce n’est plus « la pause, c’est la marche arrière ».

Jusqu’à la veille de la guerre, la situation économique reste toujours aussi difficile pour les manufactures: la dévaluation entraîne une hausse de 35 % des prix revient de la filature et du tissage et le patronat se plaint de ne réussir à écouler qu’à peine 50 % de la production.

C’est à cette période qu’a lieu la fermeture des usines Fauquet-Lemaître qui employaient 1700 personnes et dont beaucoup ne retrouveront du travail que dans la pétrochimie naissante de notre Dame de Gravenchon.

S’appuyant sur le contexte international — menace de guerre avec l’Allemagne, puis accords de Munich le 30 septembre 1938 — la loi des 40 heures et les acquis de 1936 sont démantelés les uns après les autres à coup de décrets loi. « Finie la semaine des deux dimanches » déclare Paul Reynaud.

La grève de 24 heures, lancée contre ces décrets-lois par la CGT, le 30 novembre 1938 sert de prétexte à une première vague de répression antisyndicale. Chez Desgenetais, la direction décrète un lock-out en fermant temporairement l’usine. Chez Westphalen-Lemaître, il y a 265 grévistes le matin et 123 l’après midi  sur un effectif de 428. Ces derniers sont licenciés puis réembauchés individuellement et de manière sélective le lendemain. C’est un premier coup dur pour l’Union locale CGT.

La signature pacte germano-soviétique (23 août 1939), puis la déclaration de guerre de l’Angleterre à la France à l’Allemagne (15 septembre 1939), et la chute de la Pologne (17 septembre 1939), déchaînent une véritable chasse à l’homme communiste ou supposé tel.

Dans la presse locale c’est la haine qui se déverse avec violence:  Le Journal de Bolbec (2 septembre 1939) réclame du « gouvernement qu’il mette un terme aux agissements des meilleurs alliés de l’Allemagne éternelle: les agents de l’éternelle Russie ».

Le Progrès de Bolbec vitupère le 3 septembre: « La trahison soviétique est abominable lorsqu’elle s’accomplit en dehors de nos frontière. L’est-elle moins lorsqu’elle se trame et se poursuit en dedans ? Les soviets (…) ont chez nous leurs agents. (…) Restera-t-il loisible à ces agents de continuer leur exécrable besogne alors que l’odieuse trahison de leurs maîtres vient de se révéler au monde stupéfait et indigné? ». Le 7 octobre il éructe: « Ils ont affaibli volontairement la défense nationale et l’économie privée ».

Au fil des semaines, on passe des qualificatifs ironiques de « camarades », à ceux « d’agents », de « parti de la trahison » et de « traîtres ».

Le Parti communiste est dissout le 26 septembre, et avec lui, toutes les organisations affiliées ou supposées telles, y compris les syndicat à direction communiste. A l’annonce de sa dissolution, le Progrès de Bolbec du 1er octobre 1939 exulte: « nous ne sommes pas près  de les entendre crier à Bolbec et ailleurs « Vivent les soviets! Des soviets partout ! ».

Dans le même temps, la presse bolbécaise fait écho aux thèse de la tendance « syndicats » qui au sein de la CGT travaillent à l’exclusion des militants communistes et à la scission. On lit ainsi, le 26 août dans le Progrès de Bolbec, la déclaration de Raymond Froideval, secrétaire général de la Chambre syndicale ouvrière de la serrurerie de la région parisienne : «(…) Ce que les travailleurs doivent comprendre enfin, c’est l’urgence nécessité de se libérer du joug moscoutaire ». René Belin, secrétaire adjoint de la CGT, animateur de la tendance « syndicat » et futur ministre de Pétain, dans le même numéro écrit : « (…) jamais abus de confiance aussi éhonté n’aura été commis contre nous ».

Le 25 septembre dans une réunion marquée par l’absence d’un tiers de ses membre mobilisés, la CA de la CGT décide d’exclure les communistes. Un processus d’exclusion des militants ex-unitaires est engagé, ainsi que la dissolution des organisations qui refusaient d’exclure ces militants de leurs responsabilité.

Mais l’exclusion des militants communistes, ou assimilés tels, ne se fait pas facilement. Les militants syndicaux sont connus et appréciés par les travailleurs. C’est aux vainqueurs de 1936 à qui l’on s’attaque.

Si bien qu’il faudra, le 18 décembre 1939, que les forces de l’ordre investissent les locaux de l’Union locale de Bolbec-Lillebonne pour y saisir  les archives et mettre fin à son activité.

Une période sombre s’ouvre pour le monde du travail.

 Sources:

-                Archives départementales de la Seine-Maritime,

-                Archives municipales de Bolbec,

-                Journal « Le Progrès de Bolbec ».

-                Le « Journal de Rouen » du 1er décembre1938.

-                Dossier de M.M. Valentin, Porte et Erwin Simon,

-                Archives personnelles de M. Van Muylder,

-                Causeries et interviews de M. Michel Vaurin,

-                Bulletin de l’association « Au fil de la mémoire »,

-                « Le Pacte Germano-soviétique et ses répercussions en Seine Inférieure », Mémoire de maîtrise de M. Nicolas Aubin, 1997, ss la dir. de M. Paul Pasteur, UFR de lettres et sciences sociale, Dpt. Histoire.

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