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Répressions antisyndicales en Seine maritime

La grève du 30 novembre 1938, et ses conséquences à Dieppe:

 Par Gilles Pichavant

Parce qu’elle fut un échec, la grève du 30 novembre 1938, comme d’autres événements sociaux analogues, a été relativement peu étudié par le mouvement syndical.

Pourtant il s’agit d’un tournant important dans l’histoire de la CGT qui aura des conséquences considérables, tant à l’extérieur du mouvement sur la force syndicale et son influence à la veille de la deuxième guerre mondiale, qu’à  l’intérieur du mouvement sur le renforcement du courant anti-unitaire, anti-communiste et pacifiste, créant les conditions de la «scission-exclusion» de 1939.

A Dieppe, elle se traduira par l’arrestation de 6 dirigeants de l’Union locale et leur condamnation à plusieurs mois de prison.

Le poids de la situation internationale

La situation internationale pèse lourdement sur les esprits.

La politique de non-intervention en Espagne, menée à partir de 1936 par les démocraties, a  renforcé les états fascistes. L’Anschluss à peine réalisé — annexion de l’Autriche par Hitler le 12 mars 1938 —, la Tchécoslovaquie est devenue une cible nouvelle pour l’Allemagne.

La crise internationale devient aiguë au cours de l’été. Mû principalement par des considérations de politique intérieure, le gouvernement, qui s’inscrit dans la continuité des gouvernements qui l’on précédés, choisit de s’aligner sur l’Angleterre. Sous la direction de Chamberlain, celle-ci mène une politique dite d’apaisement avec l’Allemagne nazie, une Allemagne, a-t-il déclaré, qui a éliminé le communisme, lui barrant la route dans toute l’Europe occidentale et méritant à ce titre d’être considérée comme un bastion contre le Bolchevisme.

La crise tchécoslovaque proprement dite commence le 15 septembre. La France procède à une mobilisation partielle qui avive les craintes d’un nouveau conflit mondial et renforce le camp des pacifistes — organisés dans la CGT autour du courant « Syndicats » qui développe une campagne contre les « moscoutaires », accusés de bellicisme — et du patronat, pour qui il vaut mieux Hitler que le Front Populaire.

Les 29 et 30 septembre 1938, c’est la capitulation franco-anglaise à Munich qui provoque chez certains un «lâche soulagement» dans une France qui n’a pas fini de panser les blessures d’une guerre encore présente dans les esprits et dans les chairs.

L’année se termine par le rapprochement avec l’Allemagne — signature le 3 décembre d’un pacte de « non-agression » entre la France et l’Allemagne, où vient d’avoir lieu la « Nuit de cristal » (le 10 novembre) qui s’est traduite par le bris de 7500 devantures de magasins juifs, l’incendie et le pillage de 267 synagogues, et la déportation de 30 000 Juifs dans les premiers camps de concentration (Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen).

Le gouvernement Daladier et les décrets-lois

Profitant de la menace de guerre, le gouvernement décide de mettre un terme définitif aux avancées sociales de 1936.

Les 12 et 13 novembre 1938, est publiée une deuxième série de décrets-lois par Paul Reynaud qui vient d’entrer dans le gouvernement Daladier comme Garde des sceaux. Ils rayent d’un trait de plume certains acquis essentiels de 36.

S’il n’y a pas de protestation  ouvrière, tout ira bien, pense-t-il: la parenthèse ouverte en 1936 sera refermée. Si les travailleurs ripostent, tout est prêt pour la répression, et la parenthèse sera également fermée.

Décidant, d’un coté, une amélioration des Allocations familiales, les décrets-lois décident, de l’autre, la réduction des grands travaux au profit des industries d’armement, la majoration de certains impôts et taxes à la consommation, la semaine de 6 jours, l’« assouplissement » des 40 heures: jusqu’à la cinquantième, il suffira d’un simple préavis adressé à l’inspection du travail; la majoration pour les heures supplémentaires est supprimée pour les 250 premières, fortement réduites pour les autres, des sanctions pour ceux qui refuseraient d’en faire dans les industries travaillant pour la défense nationale.

Au Congrès de Nantes de la CGT, qui s’est tenu du 14 au 17 septembre,  la majorité des congressistes a donné mandat au Bureau confédéral et à la Commission administrative d’organiser la lutte contre ces décrets-lois.

Le 25 novembre, une Conférence réunissant les dirigeants de Fédérations décide une grève de 24 heures pour le 30 novembre, dont certains dirigeants de la CGT ont déjà préparé l’échec.

Plus qu’une simple grève, le 30 novembre apparaît vite comme une épreuve de force. Le Gouvernement et le patronat n’attendent d’ailleurs pas le jour fixé pour casser le mouvement. Gendarmes et gardes mobiles font évacuer l’usine Renault de Billancourt, occupée dans la nuit du 24 au 25, et arrêtent 280 ouvriers qui sont condamnés sur le champ à des peines de prison allant jusqu’à deux mois.

De leur coté, les tenants de « syndicats » évoquent une grève communiste pour justifier leur passivité...

Le gouvernement réquisitionne les cheminots et les services publics, et organise méthodiquement l’échec de la journée de grève.

La presse dieppoise, plus précisément « La Vigie », dans l’éditorial de Louis M. Poulain, étale sa violence. Le 29 novembre, il titre sur la grève du lendemain: « Merci aux communistes » : « Ces messieurs de Moscou et de Jérusalem jettent enfin le masque. Qu’ils en soient remerciés.

En faisant occuper les grosses usines du Nord et de la région parisienne (…), en décrétant la grève générale pour demain mercredi Moscou et Jérusalem se fichaient des travailleurs et des contribuables français comme de leur première leçon de Talmud. (…) L’anti-France en ce moment joue son va-tout. L’Anti-France perdra. (…) Les mines occupées la semaine dernière ont toutes été évacuées. (…) Les meneurs arrêtés chez Renault ont été tous condamnés à des peines de prison.

A la Grève générale, le gouvernement a opposé la réquisition et la mobilisation des services publics. Certains assurent qu’à de nouvelles tentatives de sabotage judéo moscoutaires, il n’hésiterait pas à opposer l’État de siège  ».

Le rôle et la ligne éditoriale de la presse locale.

« La Vigie » est, on le voit un journal d’extrême droite. C’est pourtant le premier journal local en matière de diffusion. C’est un bihebdomadaire qui paraît le mardi et le vendredi. Il existe un autre bihebdomadaire, « l’Impartial », de tendance plus modérée, mais de diffusion plus réduite. La Parti radical possède un hebdomadaire local, « l’Écho républicain », organe du député Gallimand, faiblement diffusé. N’oublions pas le « Journal de Rouen » qui a une diffusion loin d’être marginale. Le Parti communiste possède un hebdomadaire départemental « le Prolétaire Normand », assez bien diffusé par ses militants. N’oublions pas la presse syndicale et notamment « la Vie Ouvrière » (CGT), qui est diffusée dans les entreprises.

Mais par sa diffusion, « La Vigie » donne le ton au débat, et marque les esprits. Depuis toujours, elle n’a cessé de tirer à boulet rouge sur le Front populaire. Le 5 avril 1938, par exemple elle titre: « Après 2 ans de front populaire: détresse économique et sociale ». « L’heure est proche (…) ou la classe laborieuse découvrira que les Blums et les Jouhaux leur ont menti, les ont trahis et les ont ruinés, en ruinant ainsi la nation toute entière ».

Depuis le début, elle tire à boulets rouges sur la loi des 40 heures à laquelle elle fait porter la responsabilité des difficultés économique. Le 29 avril, on peut lire que « la loi de huit heures a presque tué la marine marchande française, la loi de 40 heures est en train de l’enterrer. En effet, elle a encore augmenté les frais des armateurs de 40%. Le fret français est devenu le plus cher du monde ». Aussi, le 5 août, après avoir constaté que « les 40 heures n’ont pas réduit le chômage », elle milite pour « une seule solution, l’augmentation provisoire du temps de travail ».

Pour « la Vigie », la CGT est manipulée par le Parti communiste, et le Parti communiste est manipulé par Moscou. L’éditorial du 6 septembre résume assez  bien cette ligne éditoriale. Alors que le gouvernement veut faire passer ses décrets-lois et que s’annonce Munich, « (…) c’est l’heure que choisit la CGT, ou du moins ses meneurs patentés, gras larbins de Moscou, pour déclancher de nouveau, de tous cotés, grèves, meetings, défilés menaçants, bref une véritable campagne d’agitation et de chantage. Prêcher le désordre en un pareil moment, encourager ouvertement la résistance aux lois et à l’autorité légitime, quand tout le pays ne devrait plus faire qu’un seul bloc pour sa propre défense, cela n’est plus seulement une action délictueuse et dangereuse c’est un véritable crime contre l’État et contre la Patrie. »

« Quels sont les coupables ? Les coupables c’est cette mince poignée de meneurs sans scrupules, mais non sans profits, qui ne voient dans leur odieuse besogne qu’un seul moyen de justifier auprès du Maître russe, l’importance de leur appointement et aussi une habile méthode pour mettre en relief leurs médiocres personnalités en vue de campagnes électorales futures ».

Depuis le début de l’année 1938, « la Vigie » milite pour un rapprochement de la France avec l’Allemagne. Ainsi le 1er mars 1938, sous le titre « Londres ou Moscou », on lit: « Il faut donc de toute évidence,avec beaucoup de prudence certes, en conservant sa dignité, sa force, sa personnalité, accepter cette main que tend l’Allemagne, cette autre main que ne refuse pas l’Italie, et conclure enfin avec les trois puissances, le vaste accord occidental qui limitera la course aux armements, rendra l’espoir aux mères, le courage aux hommes, permettra au négoce de retrouver un climat favorable ».

Le 29 avril elle fait une large publicité à l’atterrissage sur l’aérodrome de St Aubin, de M. Von Gronau, président de l’aéroclub d’Allemagne, en publiant en première page une photographie de l’avion avec sa croix gammée. Ce visiteur est, il est vrai, reçu en grande pompe par une délégation de nombreux élus de la région dieppoise, et par de nombreux patrons.

Pétain déjà ! Deux années avant la défaite de juin 1940, « la vigie » mène campagne pour un gouvernement qui soit dirigé par le maréchal Pétain. Le 16 mars, alors que Léon Blum est de retour au gouvernement pour quelques semaines, on peut lire: « Donc, que ce soit par l’initiative de la Chambre ou par celle du Chef de l’État, une seule décision s’impose: le renversement immédiat de M. Blum et de ses pauvres types, par un ministère restreint de salut public, sous la direction du Maréchal Pétain. »

Mais rapidement, l’arrivée de Daladier comble temporairement ses attentes: « J’aime mieux mille Daladier qu’un Léon Blum ».

Parallèlement, l’éditorialiste de « la Vigie » ne cache pas son violent antisémitisme et sa haine des étrangers ou assimilés tels: les communistes. Le 3 ,juin, sous le titre « qui veut la guerre ? », on peut lire « Contre les bellicistes de chez  nous, métèques pour la plupart, la lutte est plus difficile (…). Ne nous lassons pas de démasquer les amateurs d’or russe, aussi bien ceux qui le distribuent que ceux qui les empochent. Surveillons étroitement ceux qui abusent de l’hospitalité généreuse de la France pour y intriguer dans l’ombre et y préparer ardemment les revanches d’Israël ». Rappelons à nos lecteurs qui l’ignoreraient qu’il ne s’agit pas ici de l’État d’Israël, qui ne verra le jour qu’après la seconde guerre mondiale. Non, le terme Israël est ici utilisé pour désigner les Juifs; on trouve aussi le terme de Jérusalem, ou la référence au Talmud. On mesure ainsi que les lois racistes que le gouvernement de Vichy promulguera quelques années plus tard, ont été préparées de longue date dans notre pays.

Voilà pour l’ambiance générale à la veille de la grève.

Le déroulement des évènements du 30 novembre à Dieppe, et leur suite.

Au matin du 30 novembre, le dispositif policier est impressionnant.  Tout ce que le sous-préfet Moussinet a pu mobiliser comme forces de l’ordre a pris position à l’entrée des usines dès 4 heures du matin. Il a préparé méthodiquement un plan de bataille. L’objectif est double: impressionner les ouvriers qui se présenteraient à l’entrée de leur atelier pour les faire prendre le travail et dresser des procès-verbaux pour entrave à la « liberté du travail » si les piquets de grèves prévus par les syndicats tentaient de jouer leur rôle.

Il y a ainsi des groupes de policiers, gendarmes ou gardes mobiles devant la Gare principale, devant les huileries «  Perrotte et Poulard », auprès des Chantiers navals Amblard, mais aussi à Arques la Bataille devant l’usine de textile artificiel « La Viscose », devant les usines métallurgiques de St Nicolas d’Aliermont, ainsi que devant les usines de Gueures, Luneray et Brachy, ou, plus loin dans l’arrondissement, à l’entrée des verreries de la vallée de la Bresle (Le Tréport, Incheville, Blangy, etc.)

Dans ce contexte, se mettre en grève devenait périlleux. Braver la présence de la police pour inciter les ouvriers à ne pas prendre le travail devenait risqué. Il fallait, en effet, une forte dose de courage pour affronter un tel dispositif policier.

C’est là où l’on attendait le moins les grévistes — La Manufacture des Tabacs, au personnel très majoritairement féminin, dont le syndicat majoritaire était affilié à la CGT de Jouhaux, avant la fusion,  — que le nombre de grévistes sera le plus fort: 220 grévistes sur un effectif de base de 400 personnes. Elle avait, semble-t-il été oubliée dans le dispositif policier

Le nombre de gréviste est loin d’être négligeable: 25% chez Robbe, 20% à la Viscose, les chantiers navals sont très affectés, le port est paralysé par la grève massive des dockers.

Cependant, malgré les consignes de calme et de refus de tomber dans la provocation, données par la direction de l’Union Locale aux militants, la présence de forces de police à proximité des rassemblements de grévistes conduit à des frictions difficilement évitables.

Le port et sa proximité sont bientôt le lieu d’échauffourées brèves et parfois violentes. Dans la matinée, le Quai de Norvège, une grue avait commencé les opérations de déchargements d’un navire lorsque deux cent dockers grévistes interrompent les opérations. L’intervention de Marcel Dufriche, secrétaire général de l’UL permet le retour au calme; la grue est arrêtée définitivement par le grutier (syndiqué) réquisitionné, prétextant une panne de la machine; Mais la police arrive et dresse procès verbal. Des pierres sont jetées sur les policiers. 

Plus loin, un autre groupe de dockers a interrompu le déchargement d’un chalutier boulonnais. Quelques caisses de poisson sont renversées. Il faut l’intervention du secrétaire du syndicat des marins, Charles Delaby, pour obtenir le retour au calme. Mais là encore les policiers dressent procès-verbal.

Vers deux heures de l’après-midi, au changement d’équipe, c’est de nouveau la bousculade devant l’usine Robbe, située à proximité des quais. Cette fois-ci, un policier est blessé dans l’échauffourée. Cependant, d’après le « Journal de Rouen » paru le lendemain, ce serait l’acte « d’un individu qui n’appartient pas à la classe ouvrière ».

Enfin, vers dix heures du soir, une nouvelle bousculade a lieu dans l’obscurité, à l’entrée de la même usine; cette fois ci un brigadier de gendarmerie reçoit un coup de pied dans le bas ventre, et le commissaire de police un coup de poing dans la figure. Cette fois-ci c’est plus grave. On accuse Robert Ducroquet, le secrétaire du syndicat des dockers d’avoir porté le coup

sur le brigadier. La police arrête sur le champ deux dockers, dont le frère de Robert Ducroquet, Léon, qui se trouvait sur les lieux.

La Répression.

Dans la matinée du 1er décembre, la police arrête Marcel Dufriche, Charles Delaby et Robert Ducroquet. Viennent bientôt s’ajouter à eux deux autres militants, Joseph Dréano, secrétaire adjoint du syndicat des marins et André Mazure. Avec Léon Ducroquet et Folliot, arrêtés la veille, cela fait 7 arrestations pour Dieppe.

La grève commencée la veille, continue sur le port et se renforce parmi les marins, qui sont particulièrement décidés à obtenir la libération des secrétaires de leurs syndicats emprisonnés. Dans la soirée, une manifestation de protestation est organisée devant le commissariat de police. Elle se heurte à un barrage de police impressionnant, la préfecture ayant fait venir plusieurs compagnies de gardes mobiles en renfort de Rouen.

Cependant, le lendemain samedi, les chalutiers reprennent la mer l’un après l’autre. Les dockers reprennent le travail le lundi matin. La grève est terminée.

Dans de nombreuses entreprises les grévistes sont licenciés, plongeant de nombreuses familles dans la misère à la veille de Noël. A la fin du mois de janvier ils sont encore plus de soixante à ne plus avoir de travail, à la suite de la répression de la grève, pour la seule agglomération dieppoise.

« La Vigie » triomphe: « La France a vaincu Moscou ! » et exige: « La CGT a prouvé pendant deux ans sa malfaisance, depuis deux jours son impuissance. Il faut la dissoudre et arrêter ses chefs. Il faut dissoudre le Parti communiste, traître à la France. Et il ne faut pas oublier le faux prophète (…) N’hésitez pas M. Daladier: Léon Blum en prison ».

Alors que la répression s’abat sur les militants de la CGT, le journal militaire nazi Deutsche Wehr écrit le 8 décembre 1938 : « Rien ne caractérise mieux le changement de situation en France que le fait que l’Allemagne approuve avec une sympathie sincère la lutte de Daladier contre le pouvoir de la CGT, l’influence juive et l’anarchie. »

Des procès de classe

Le 8 décembre, a lieu le premier procès en correctionnelle. C’est un vrai simulacre. Tout est bon pour accabler les accusés. Tout semble comme décidé à l’avance pour casser la CGT.

Par exemple, les témoignages à décharge ne sont jamais pris en compte. Lorsque le grutier de la grue 117 explique au tribunal que, la veille de la grève, Marcel Dufriche a donné la consigne aux grutiers réquisitionnés de se rendre à leur travail, alors qu’ils voulaient tous se mettre en grève, et que le jour de la grève soutient que Dufriche ne lui a pas demandé de se mettre ne grève, le tribunal n’écoute que le patron de la maison Vincent qui déclare que c’est Dufriche qui a fait arrêter la grue, « à la tête d’une centaine d’hommes ».

Pour l’essentiel, les témoins à charge sont des patrons ou des policiers. 

Interrogé par le tribunal, Marcel Dufriche déclarera s’étonner d’être présent à cette audience en qualité d’inculpé, étant donné « que personne n’est venu prouver que j’avais empêché le travail ». Tous les autres inculpés nieront les faits qui leur étaient reprochés, à l’exception de Folliot, qui n’est pas un militant, qui reconnaîtra les outrages à agent.

Robert Ducroquet est condamné à 8 mois de prison ferme pour entrave et violence sur le brigadier Guittard. Marcel Dufriche, Charles Delaby sont condamnés à 3 mois ferme, Joseph Dréano à 15 jours pour entrave à la liberté du travail. Folliot est condamné à 6 jours, tandis que Mazure est acquitté au bénéfice du doute.

Pour autant il ne s’agit là que d’un premier procès; plusieurs autres auront lieu dans les semaines et les mois qui vont suivre. De nombreux autres dockers sont poursuivis en effet pour entrave à la liberté du travail ou outrage à agent. 

A St Nicolas d’Aliermont, huit ouvriers poursuivis seront acquittés le 26 janvier 1939 faute de preuve.

A Arques-la-Bataille, deux militants du syndicat de la Viscose, Marcel Cordonnier et Roger Planchon, sont respectivement condamnés le 2 février 1939 à un mois de prison avec sursis et 25f d’amende et 15 jours avec sursis, pour délit d’entrave à la liberté du travail. 

Globalement, il seront 34 militants à être traînés devant le tribunal correctionnel comme de vulgaires malfaiteurs. Rien que pour la métallurgie, 22 délégués et responsables se retrouvent à la rue. 

L’émotion est grande et un comité de soutien est constitué à l’Union locale dès le début décembre, avec pour objectif de venir en aide aux victimes de la répression et à leur famille. Il va avoir du pain sur la planche. Il fonctionnera jusqu’à l’été, en organisant régulièrement des collectes et des bals pour réunir les moyens nécessaires.

Marcel Dufriche et Robert Ducroquet font appel du jugement. Le procès a lieu à Rouen le mercredi 3 janvier et le jugement est rendu le lendemain.Les défenseurs sont Me Brandon et Me André Marie. Si la peine de Robert Ducroquet est réduite de moitié — quatre mois —,  celle de Marcel Dufriche est confirmée.

Un nouveau procès a lieu le 16 février 1939, devant une assistance considérable, « si houleuse que le président dut menacer de suspendre la séance pour rétablir le calme ». Aux six condamnés étaient venus s’ajouter dix dockers de Dieppe également poursuivis et condamnés par ailleurs: Ancelot, Batel, Bénard, Drouot, Fournier, Giffard, Le Pévédic, Mallet, Osché et Voisin.

Le tribunal condamnera de nouveau Dufriche à 1 mois, Ducroquet et Delaby à 2 mois, Dréano à 3 mois mais prononcera la confusion des peines avec celles des jugements précédents.

L’activité revendicative de l’UL est affectée par cette situation. Un retard important est pris dans la remise des cartes et des timbres. Le sous préfet estimera dans son rapport du 1er mai que « l’UL et ses adhérents sont complètement désorganisés depuis les évènements du 30 novembre 1938 ». Au mois de juin, le nombre des syndiqués est d’environ 4200 syndiqués, soit la moitié du chiffre de 1938. C’est tout de même encore quatre fois le nombre de syndiqués qu’il y avait en janvier 1936.

L’Union locale n’est pas encore complètement désorganisée, car entre le 12 janvier et le 29 août il y aura vingt quatre réunions. En février 1939, elle est entrée  dans ses nouveaux locaux —3 bureaux rue du Haut Pas — mis gratuitement à la disposition par la Ville de Dieppe à la veille du congrès des 26 et 27 novembre 1938. Mais ces 8 premiers mois de l’année 1939, l’activité de l’UL est entièrement tournée vers la défense de ses militants et la solidarité envers les syndiqués licenciés.

La CGT n’est pourtant qu’au début de ses épreuves. A l’automne 1939, prenant prétexte de la signature du Pacte germano-Soviétique, c’est la scission dans la CGT.  Les militants communistes sont exclus. Le Parti communiste est dissout. Il faudra cependant l’intervention de la police dans ses locaux, le 15 février 1940, pour mettre fin à l’activité de l’Union locale de Dieppe.

Avec la répression de la grève du 30 novembre 1938, une période noire s’est ouverte pour le mouvement syndical qui ne se terminera qu’avec la Libération.

  Sources:

-                Fonds ancien de Dieppe; « La Vigie », « L’Impartial », « L’écho républicain »

-                Archives départementales de Seine Maritime

-                « CGT, approches historiques », IHS-CGT et CCEO CGT, 1988.

-                Jean Bron, « Histoire du Mouvement ouvrier français », Les Éditions Ouvrières. 1984.

-                Différents numéros des Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale.

-                David Gainville, « l’UL de Dieppe sous le Front Populaire », Maîtrise d’Histoire contemporaine, 1997, Université de Rouen, sous la direction de Michel Pigenet

 

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