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A propos des 35 heures:

Petit rappel sur la destruction programmée de la loi des 40 heures, votée en 1936

Par Maurice Moissonnier - Historien - IHS-CGT Rhône Alpes

Le 21 juin 1937 est une date importante, celle de la chute du gouvernement BLUM, après le rejet par le Parlement d’une entrée de députés communistes dans un cabinet Blum rénové. Un ministère Chautemps à participation socialiste est alors désigné.

Le 15 janvier 1938, ce ministère est mis en minorité et Chautemps replâtre sa formule, sans la participation socialiste. Il dure peu, et du 10 mars au 8 avril 1938, un gouvernement Blum visant une « union nationale » dirigé par les forces de gauche occupe la scène pendant moins d’un mois.

Lui succède alors un gouvernement Daladier, le 10 avril 1938, qui ne comprend plus de partis se réclamant du mouvement ouvrier… et les radicaux désertent le « Rassemblement populaire ».

Voilà pour le cadre politique du processus qui mettra fin aux lois du Front populaire, et tout particulièrement à « l’abominable loi de la semaine de quarante heures » vilipendée pendant deux ans par la Confédération générale du patronat français (CGPF) dirigée par C.J. Gignoux, un syndicat patronal qui élargit aux moyens et petits patrons la vieille Confédération de la production française (CPF) qui réunissait les seules grandes entreprises avant 1936.

Cette remarquable opération tactique est dirigée par ce théoricien cynique du capitalisme conquérant, qu’on retrouvera sous Vichy avec Antoine Pinay au Conseil national de Pétain, puis toujours à droite, ce même Pinay devenu cette fois, le 6 mars 1952, premier ministre. Belle continuité sociale !

Un processus politique revécu en 2002 ?

Dès le 29 juillet 1937, le premier gouvernement Chautemps a commencé le démantèlement de la loi des 40 heures par un texte permettant l’institution de journées supplémentaires de travail dans les mines de fer. Le 24 août 1937, il créée un Comité d’études de la production dont le but est « d’améliorer les prix de revient dans le sens de la baisse et la production en augmentant celle-ci ! ». But précisé le 15 décembre: il s’agit de chercher « l’assouplissement » de la loi de 1936, mot que l’on voit surgir, de nos jours, au Parlement.

Le 21 décembre 1937, une avalanche de décrets sert de cadeaux de noël aux patrons français:

-                Récupération des heures perdues lors de baisse d’activités non périodiques et saisonnières;

-                Journées supplémentaires autorisées dans les mines de houille;

-                Dérogation « exceptionnelle » dans les industries assujetties à la loi de 40 heures qui souffrent d’une insuffisance de main-d’œuvre qualifiée;

-                Dérogation aussi « pour les industries dont l’activité conditionne celle d’une partie importante de la production nationale » ce qui est très élastique. Il est vrai que l’on appelle déjà cela « l’assouplissement de la loi ».

Les exceptions aux 40 heures relèvent désormais de l’escalade. La SFIO renâcle et provoque la chute du gouvernement. Avec l’appui de la droite, ce deuxième gouvernement Chautemps reçoit alors l’investiture, mais dure moins de deux mois (du 18 février au 10 mars 1938). Plus court encore est le deuxième gouvernement Blum, (10 mars-8 avril). Le 10 avril 1938 est investi le gouvernement Daladier, soutenu par la droite: le Front populaire moribond a perdu la partie. La capitulation de Munich devant Hitler, en septembre 1938, va faciliter la liquidation de ce qui reste de la « 1936 ». La droite célèbre alors le « courage » de Daladier qui a « sauvé la paix ».

De novembre  à décembre , de nouveaux décrets tombent drus, à la faveur de la mise en échec du 30 novembre: une multitude de textes de dérogation à la loi des 40 heures, telles les sanctions désormais prévues en cas de refus des heures supplémentaires. Paul Reynaud entré au gouvernement Daladier comme Garde des Sceaux, puis comme ministre des finances pourra claironner: « finie la semaine des deux dimanches! ». Le 21 avril 1939, la suppression de la majoration des salaires pour les heures comprises entre 40 et 46 heures viendra compléter le tableau.

Une certaine actualité

Les rappels historiques, lorsqu’ils visent à analyser les voies traditionnelles de la tactique patronale, face aux mesures d’amélioration sociales, ne sont pas inutiles.

On voit que, sur ce terrain; une fois confortées sur le plan politique, le patronat avance sûrement, fut-ce à petits pas, en profitant des circonstances (parfois facilitées par des problèmes de politique extérieure).

Une réflexion de Jacques Danos et Marcel Gibelin, auteurs d’un ouvrage sur juin 1936, incite à réfléchir sur le temps présent: « la recherche du profit maximal, motivation du patronat, ne passe pas nécessairement par l’accroissement de la main-d'œuvre, ni même de la production » .(Éd. de la découverte, 1986, p.248).

Que reste-t-il alors: la durée augmentée des heures de travail et l’intensité de l’exploitation pendant ces heures offertes au patronat ? De quoi réfléchir au début du IIIe millénaire !

 

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