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Défense des Libertés et Résistance

 Hommage à Pierre Sémard

Par Guy Descamps

Il s’agit ici du discours prononcé par Guy Descamps, au nom de la Section CGT des cheminots retraités de Dieppe, lors de la commémoration du soixantième anniversaire de l’assassinat de Pierre Sémard, coïncidant avec le passage au tribunal correctionnel de l’Union locale CGT de Dieppe, de Christian Cuvilliez, ancien député-maire, de William Pilon, secrétaire de l’UL et Gilbert Louvet  le 7 mars 2002 à Dieppe.

Ce passage au tribunal correctionnel donnera lieu à une condamnation, dont le passage en appel a lieu le 20 mars 2003. A l’heure où nous mettons en page ce journal, nous ne connaissons pas le verdict des juges.

"C’est toujours avec beaucoup de recueillement, de ferveur, de gratitude que les cheminots commémorent le 7 mars, l’assassinat de Pierre Sémard.

Cette année, c’est il y a 60 ans, le 7 mars 1942, Pierre Sémard se trouvant incarcéré sur dénonciation , est livré par les autorités françaises, aux balles allemandes dans la prison d’Évreux. Nous déroulerons ensemble l’histoire, mais l’actualité nous a rattrapés et, cet après midi à 14 heures, nos camarades de l’UL CGT de Dieppe, Christian Cuvilliez et ses conseillers techniques comparaissent sur dénonciation anonyme, devant le tribunal de Dieppe.

A 60 ans d’intervalle nous retrouvons le même scénario d’une comédie misérable: dénonciation de militants ouvriers devant une justice de classe.

Qui était Pierre Sémard?

Le nom de Pierre Sémard est certainement plus connu de la famille cheminots: nombre de cités, places, rues, salles portent ce nom. Il est devenu, après 1945, une figure emblématique de l’action syndicale et patriotique des cheminots.

Pierre Sémard est né le 7 février 1887 à Bragny sur Saône, petit village de Saône et Loire, au confluent de la Saône et du Doubs, signe prémonitoire, car Pierre Sémard privilégiera toujours la rencontre, l’union de toutes les forces syndicales: ses parents sont cheminots, l’un cantonnier, l’autre garde-barrière. Son père est un bon vivant, sa mère, autoritaire, est plutôt sévère. Le jeune garçon, malgré de bons résultats scolaires doit, sitôt son certificat d’études, quitter la maisonnette pour aller travailler: petits boulots, gratte-papier chez un notaire, à 17 ans il monte à Paris, apprenti charcutier, vendeur de journaux, débardeur aux halles; le mal du pays le fait revenir dans l’Yonne, charcutier, cuisinier; il descend vers Lyon puis se fixe à Valence vers 1906, s’engage 3 ans dans l’armée, s’insère dans la vie locale, lit les encyclopédistes, d’Alembert, Diderot, Voltaire, Rousseau qui le marquent durablement. Sportif, il fait du vélo. Les prix des courses augmentent sa solde. Il épouse une fille de Valence,; ils auront trois enfants. Revenu à la vie civile, il passe l’examen d’employé aux écriture aux Chemins de fer, est nommé à Montélimar, Bagnols/Cèze, puis revient à Valence au secrétariat de la gare.

A cette époque, l’organisation syndicale cherche sa voie. Rappelons-nous: 1895, naissance de la Confédération Générale du Travail. Chez les cheminots c’est en 1890 la Chambre syndicale des travailleurs du Chemin de fer, en 1895, c’est la fédération des travailleurs du chemin de fer.

La grande grève de 1910, malgré ses acquis — 5f journaliers, le règlement général des retraites — crée de graves dissensions dans la direction syndicale entre réformistes, guesdistes et révolutionnaires.  Ces derniers quittent le syndicat pour former la fédération des travailleurs des voies ferrées (sept.1911). C’est dans ce contexte que Pierre Sémard rentre en « syndicalisme ». Le 31 juillet 1914, c’est l’assassinat de Jaurès, le 1er août c’est la déclaration de guerre. Pierre Sémard est versé au service des trains à Valence.

Les 27/28 janvier 1917 à la Grange aux belles, c’est la fusion de toutes les organisations syndicales de cheminots dans la Fédération nationale des chemins de fer. Elle adhère à la CGT et en devient la plus importante fédération. P. Sémard est élu délégué des cheminots de Valence, puis responsable de l’Union Drôme Ardèche.

Mobilisé fin 1918, il est envoyé en Belgique, mais revient rapidement à Valence au chevet de sa femme, enlevée par l’épidémie de « grippe espagnole ». Avec l’ensemble des travailleurs, il lutte contre la vie chère, créant la « Ligue de défense et d’action contre les mercantis et spéculateurs ». Fin 1919 il est le dirigeant incontesté des cheminots de la Drôme.

Il organise la grève de 1920. Alors que rien n’est réglé, la fédération appelle à la reprise le 29 février. Pierre Sémard conduit les 600 cheminots de son secteur à reprendre le travail, tous ensemble, avec des acquis substantiels. Les mois suivants Pierre commence à jouer un rôle national. Lors du 3e congrès il met en cause la politique réformiste fédérale. Il organise la grève du 1er mai. C’en est trop: il est révoqué le 8 mai. Il devient alors gérant de la coopérative des cheminots. L’activité syndicale l’accapare de plus en plus. Il monte à Paris.

Au 4e congrès, l’affrontement entre les réformistes et les révolutionnaires atteint un point de non retour: la fédération éclate. Pierre Sémard est élu secrétaire de la nouvelle fédération.

Politiquement, il adhère à la SFIO en 1916, puis, après le congrès de Tours en 1920, au Parti Communiste, dont il deviendra par la suite secrétaire général.

Laissons passer une dizaine d’années pendant lesquelles P. Sémard sera fidèle à sa ligne: syndicalisme de masse, ouvert à tous, n’affirmant aucune doctrine et avec toute son autonomie. Il se retrouvera en prison plusieurs fois, notamment lorsqu’il mènera le combat contre l’occupation de la Ruhr (1923), contre la guerre coloniale du Maroc (1924)

Il favorise l’union des premiers syndicats de réseaux (1934) et lors du congrès de fusion des fédérations, il est élu secrétaire de la fédération unifiée des cheminots le 24 novembre 1935.

Arrive le front populaire. Il mène la délégation des cheminots reçue par le 1er gouvernement Blum. Ils obtiennent les 21 jours de congés, les 40 heures, la reconnaissance de l’organisation syndicale dans l’entreprise et la réintégration des cheminots révoqués en 1920.

Il se prononce pour un grand service public des transports et déclare que la fédération est prête à soutenir le gouvernement de front populaire.

Lors de la création de la SNCF (10-01-1938), il devient l’un des 4 administrateurs issus de la représentation syndicale. Jusqu’en novembre 1938, il s’investit énormément dans l’organisation sociale de ce service public.

Mais le 2ème gouvernement Blum se lézarde, Blum démissionne en juin 1937, et le patronat de combat annule progressivement les acquis de 1936.

Pierre Sémard déclare: « Si l’on veut changer réellement, il faut maintenir le Front Populaire, il faut le réorganiser et non le détruire ».

Le rentrée de septembre 1938 voit monter la colère des travailleurs. Les décrets-lois de Paul Reynaud mettent le feu, et la grève générale est déclenchée le 30 novembre 1938.

Pierre Sémard prône l’unité syndicale internationale au moment où les bruits de botte se font entendre. L’union de tous les travailleurs européens serait un rempart contre  la guerre. Être contre Hitler et le fascisme ce n’est pas être contre le peuple allemand première victime du régime nazi.

Au lendemain de la grève générale, il est révoqué du Conseil d’administration de la SNCF pour avoir signé des tracts appelant à la grève. Traduit devant le conseil de discipline il est rétrogradé facteur aux écritures et éloigné de Paris et de la Fédération.

L’année 1939 voit poindre la revanche de la bourgeoisie: « Mieux vaut Hitler que le Front populaire ».

Dans ses mémoires, de Gaulle écrit: « il faut dire que certains milieux voudraient voir l’ennemi plutôt dans Staline que dans Hitler. Ils se souciaient des moyens de frapper la Russie beaucoup plus que de la façon de venir à bout du Reich ».

Le 1er septembre 1939, la guerre est déclarée./ La répression s’abat sur les militants ouvriers opposés à la politique de Daladier. Pierre Sémard se voit supprimer son titre de Permanent et se retrouve à Loches (Indre et Loire). Tournemaine se retrouve au Landry, Crapier au Bourget.

Les divisions au sein de la fédération s’exacerbent avec le pacte germano-soviétique. Les réformistes, ne respectant pas la liberté politique, excluent Pierre Sémard et  ses camarades des responsabilités fédérales. P. Sémard demande alors à Tournemaine, trésorier de la fédération, de bloquer les cotisations en banque.

Sous couvert d’une dénonciation pour détournement de fonds, Pierre Sémard et Tournemaine se voient inculpés et arrêtés le 16 septembre 1939.

Bien qu’ils s’en défendent devant les cheminots en colère, les deux dirigeants réformistes Jarrigion et Quertelet ne peuvent nier qu’ils sont les auteurs de cette dénonciation.Lors du procès devant le tribunal militaire, la plainte pour détournement ne tient pas, mais, entre-temps, un décret (appartenance à un Parti politique dissout— le Parti communiste) les condamne à trois ans de prison, cinq ans de privation de droits civiques et 3000 francs d’amende.

Pierre Sémard est incarcéré à Fresnes puis en juin 1940 à Bourges. Il apprend l’arrestation de sa femme Yvette et de sa fille Juliette. Juliette sera déportée au camp de Ravensbrück où elle côtoiera Marie-Thérèse Fainstein, résistante de la région dieppoise.

En janvier 1941 il est dirigé sur le camp de Gaillon. Le 6 mars 1942 il est conduit à la prison d’Évreux, et le 7 il est fusillé par les allemands au titre d’otage.

Le 7 mars 1945, il aura droit à des obsèques officielles et sa dépouille repose désormais au cimetière du Père Lachaise.

C’est faire œuvre utile pour les générations présentes et à venir, d’entretenir la mémoire de ceux qui ont défriché la terre où nous sommes. Nous pouvons con,stater combien les idées pour lesquelles Pierre Sémard s’est battu sont toujours d’actualité, qu’il s’agisse :

Avec en tête le souvenir de Pierre Sémard, nous serons, cet après midi au coté de nos camarades. Nous ne les laisseront pas accuser  et condamner pour « délit de justice sociale ».

Mesdames, Messieurs, chers Amis et Camarades, la section des Cheminots Retraités CGT vous remercie.

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