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Regards sur le Havre

Le Havre,

une ville qui sent l’usine et qui sent la mer et qui sent aussi la lutte (suite)

Les mouvements sociaux au Havre dans les années 50.

Par Albert Perrot

L’année 1950

L’année 50 est à peine entamée qu’éclatent les premiers conflits sociaux au Havre.

Les ouvriers du Bâtiment de l’entreprise CAMPENON BERNARD, se mettent en grève pour deux revendications :

-                Une indemnité de 3000 Francs

-                Une prime de congés.

 La grève dure plus de 20 jours, mais les ouvriers n’obtiennent pas satisfaction.

Le 15 janvier 1950, le Personnel Pont et Machines de « l’Ile de France » se met en grève au moment du départ du navire pour les revendications suivantes :

-                Prime de 3000 Francs pour tout le personnel.

-                Prime de chauffe pour le personnel machine.

-                Institution d’une prime d’ancienneté.

La Direction décide le LOCK-OUT.

Le bateau est désarmé le 16 janvier, le fret transféré sur un autre navire.

L’UL CGT organise un grand meeting de solidarité à 16 Heures à Franklin.

Le conflit se termine le 2 février 1950 avec l’obtention d’une prime de chauffe pour le personnel machine de la ligne de New-York.

Le 22 janvier 1950, le syndicat général des Ouvriers du PORT verse 10 000 Francs dans le cadre d’une souscription en faveur des pulmonaires de l’hôpital Pasteur.

Beau geste de solidarité.

 En mars, des mouvements de grève d’une durée de 10 à 15 jours reprennent chez les Métallos et les gars du Bâtiment toujours pour le paiement d’une indemnité de 3000 Francs.

La grande grève générale de 1953.

Le plus grand mouvement social des années 50 fut sans contexte la grève de 1953 qui entraîna au plan national la mobilisation de millions de grévistes, grève déclenchée à la suite des décrets LANIEL :

Le 26 juin 1953, Joseph LANIEL devient Président du Conseil. Le 11 juillet, il obtient les pouvoirs spéciaux jusqu’au 1er octobre, pour réaliser des milliards d’économies. Il faut payer la guerre d’Indochine, véritable gouffre qui engloutit chaque jour près de deux milliards d’anciens francs.

 LANIEL n’y va pas de main morte et propose des décrets (les fameux « décrets LANIEL ») qui prévoient la suppression massive d’emplois dans la Fonction publique (4000 auxiliaires), le recul de deux ans de l’âge de la retraite, des modifications aux règles d’avancement des instituteurs et agents des PTT.

C’est un véritable défi qui provoque une levée de boucliers de la part de tous les syndicats. La grève, déclenchée à la base aux PTT et à l’EDF, s’étend d’une manière foudroyante et le 7 août on compte deux millions de grévistes.

Au Havre, la grève générale paralyse toute l’activité économique : les cheminots, les travailleurs du gaz et de l’EDF, des PTT, de la douane, des autobus et trolleybus, les Municipaux, les Fonctionnaires ont cessé le travail pour une durée illimitée.

Malgré cette protestation unanime et puissante, LANIEL promulgue un premier train de 23 décrets le 10 août, ce qui aura comme conséquence immédiate d’élargir et d’amplifier le mouvement de grève.

A partir du 12 août, la grève s’étend au secteur privé. Au Havre, les métallos, les ouvriers du bâtiment, les dockers, les marins, les travailleurs du bois, notamment Multiplex rentrent dans la lutte successivement en soutien à l’action des Services Publics, mais surtout pour défendre leurs revendications salariales.

Le mouvement de grève générale a pris une ampleur considérable avec quatre millions de grévistes au niveau national.

Malheureusement, le 21 août FO et CFTC vont briser ce magnifique mouvement unitaire, en allant discuter séparément avec le gouvernement, discussion qui n’aboutit qu’à de vagues promesses. Mais cela tue l’unité du mouvement et provoque une amorce de reprise du travail.

Au Havre, cette reprise du travail ne se fera pas sans mal. C’est contraints et forcés que les postiers, menacés de sanctions reprennent le chemin de la Poste.

Dans un premier temps, les cheminots refusent de répondre aux ordres de leurs syndicats, et c’est la rage au cœur qu’ils finiront par retourner sur leur lieu de travail.

A la fin août, la grève des Services Publics est terminée, mais elle portera ses fruits. Cet impétueux coup de boutoir contre les décrets LANIEL, fera reculer le gouvernement : il abandonnera la plupart de ses projets de régression sociale :

-                L’âge de la retraite est maintenue, ce qui représente une éclatante victoire.

-                Les conditions d’avancement et de recrutement demeurent inchangés.

-                Il n’y aura pas de sanction contre les grévistes.

Au cœur de l’été 53, la lutte acharnée des métallos et des gars du bâtiment .

L’été 1953 au Havre reste marqué avant tout par la grève très dure des METALLOS et des ouvriers du BATIMENT.

Commencée le 12 août par les métallos, elle va se poursuivre après la reprise du travail dans les Services Publics.

Les revendications portent au départ sur :

-                L’augmentation des salaires

-                Les conventions collectives

-                L’abrogation des décrets LANIEL

-                Le respect des libertés syndicales et la libération des militants syndicaux emprisonnés.

Au fil des jours ces revendications sont discutées et précisées.

Un communiqué de l’Union Syndicale de la Métallurgie CGT du Havre, fait le point sur les revendications des Métallurgistes :

-                25 Francs d’augmentation de l’heure

-                Paiement des jours de grève

-                Réunion de la Commission supérieure des Conventions Collectives

-                Une prime de transport pour tous.

 « La grève est une dure nécessité, rappelle le syndicat des Métaux, elle amène des souffrances, mais elle est notre seule arme contre la rapacité insatiable des patrons. »

Tous les jours, aux EXPOS, les métallos sont au rendez-vous de la lutte, venus de toutes les usines : Tréfileries et Laminoirs du Havre, C.E.M, Forges et Chantiers de la Méditerranée : Mazeline et Chantiers de Graville, Augustin Normand, Chantiers de Normandie, Caillard Levage et Caillard réparation navale, Fonderies Havraises, Les Chargeurs….

En plein mois d’août, en pleine période de congés payés, les métallos font de cet été 53 un été de luttes, laissant de côté leurs rêves de vacances à la mer ou à la montagne.

Mais il faut assurer les vivres pour ces milliers de famille dépourvues de tout salaire. Alors la solidarité s’organise. Des comités de grève sont mis en place dans chaque usine en grève avec un Comité central de grèves qui coordonne au niveau local. Des collectes sont organisées dans les campagnes : les paysans approvisionnent en légumes, les pêcheurs en poissons. De partout, des initiatives sont  prises, des appels à la solidarité surgissent de toutes parts.

Un appel à la population Havraise est lancé par des personnalités Havraises pour verser une journée de salaires en faveur des grévistes. 

Cet appel est signé par :

Monsieur Colleu, professeur de Lycée

Monsieur l’archiprêtre du Havre

Monsieur l’abbé Marina, et Monsieur le pasteur Fillâtre

Monsieur le docteur Vannier

Monsieur Duroméa, Parti Communiste

Monsieur Osmont, SFIO

Monsieur Cornière Paul

Monsieur Hamet Pierre

Monsieur Dubosc Michel, avocat

Monsieur Lamotte, du Mouvement de la Paix.

A chaque meeting, il faut raviver l’ardeur et la confiance des grévistes.

Louis EUDIER, secrétaire général du Syndicat des Métaux, qui a vécu et été un des animateurs de la grande grève de 1922, qui a dirigé la première occupation d’usine en 1936 à l’usine Bréguet, s’adresse avec sa fougue habituelle aux grévistes dénonçant l’intransigeance et la rapacité des patrons, rappelle les revendications, martèle la nécessité de l’action et de l’unité de tous les travailleurs, propose des initiatives d’action.

Chaque jour, dans la presse, des communiqués des syndicats CGT des Métaux et du Bâtiment appellent les travailleurs à poursuivre la lutte et à renforcer leur unité.

Une opération « tomates » est organisée à la CEM, un matin en direction des non grévistes. De bon matin, on s’approvisionne en tomates avariées au marché de gros des Expos, et direction la CEM. Sur place, le Directeur à la porte de l’usine invite les membres du personnel présents à rentrer dans l’usine. Mal lui en prend. Des tomates jaillissent de partout et viennent s’écraser sur la tête, les habits des non grévistes qui rentrent sous les huées et les quolibets.

Parmi les grévistes des Tréfileries, il y a beaucoup d’Algériens. Lors d’un meeting, un responsable de la CGT de l’usine s’adresse en arabe à tous ces travailleurs pour qu’ils comprennent bien les raisons et les objectifs de la grève.

Malgré l’interdiction de toute manifestation sur la voie publique, les Syndicats CGT des Métaux et du Bâtiment organisent une grande manifestation le samedi 30 août en direction de leurs chambres Patronales. 6000 Métallos arpentent les pavés du Cours de la République et du Boulevard de la République en scandant leurs revendications.

3000 ouvriers du Bâtiment se rendent de leur côté à leur chambre Patronale.

Reçus par les représentants Patronaux, les délégations syndicales se heurtent à la même intransigeance et à un refus catégorique de satisfaire leurs revendications.

Le 3 septembre, les 750 travailleurs grévistes de la SCAN, face à la menace de fermeture de leur usine, décident d’occuper leur usine. Une commission de conciliation a lieu à Rouen pour tenter d’apporter une solution au conflit de la Métallurgie au Havre, le 7 septembre, cette réunion se termine par un échec total.

Les Métallos poursuivent leur lutte. Mais au fil des jours de grève, les difficultés s’accumulent et çà pèse lourd dans les familles. Malgré la grève menée dans l’unité, le patronat résiste et ne bouge pas d’un pouce. Cela fait plus de 30 jours que les métallos sont en grève totale.

Au bout du trente sixième jour de grève, le syndicat décide d’appeler à la reprise du travail.

Le 17 septembre, les Métallos sans avoir rien obtenu rentrent dans leur usine les poings serrés, la rage au ventre avec un goût d’amertume au cœur, mais aussi fiers d’avoir mené une magnifique lutte et avec la volonté de prendre leur revanche, car ils savent qu’il faut continuer la lutte.

Une fois de plus, les métallos du Havre ont été le fer de lance de ces grèves de 1953. Une fois de plus, ils se sont affrontés de plein fouet au patron rétrograde de la métallurgie. Une fois de plus, ils ont voulu aller jusqu’au bout de leurs forces….

Les grèves de 1953 auront entraîné dans l’action, en Seine-Inférieure, cent  mille travailleurs du secteur public et privé et auront touché 712 entreprises et chantiers : 61 usines de la métallurgie, 600 chantiers du bâtiment, 5 entreprises du bois, 25 usines de textile, 4 de l’habillement, 15 entreprises de la chimie, 2 du papier carton.

A tous ces travailleurs de lutte s’ajoutent les cheminots, les postiers, les travailleurs d’EDF GDF, les communaux et hospitaliers, les fonctionnaires et travailleurs de l’Etat, les dockers, les marins, les employés, les ouvriers des transports.

La durée des grèves au Havre sera la plus longue : 29 jours de grève à Multiplex, 33 dans le bâtiment, 36 dans la métallurgie.

La première grande lutte de travailleurs contre la fermeture de leur usine : La S.C.A.N.

L’été 1953 est lourd de menaces pour les 750 travailleurs de la S.C.A.N. Depuis plusieurs mois la fermeture de cette entreprise est envisagée, programmée.

Or cette entreprise est grandement symbolique ; elle occupe une place importante dans l’histoire du mouvement ouvrier.

C’est dans cette usine qu’en mai 1936, à la suite du licenciement de deux militants syndicaux CGT pour participation à la grève du 1er mai, eut lieu la première occupation d’usine qui devait déclencher la puissante vague d’occupations d’usines dans toute la France et aboutir aux Accords Matignon.

« Ceux qui les premiers ont osé », ce sont ces travailleurs que l’on veut aujourd’hui jeter dehors.

Les travailleurs n’entendent pas se laisser faire. Ils n’ont d’autre solution que d’engager une action vigoureuse.

Le 7 septembre, ils occupent l’usine comme ils l’ont fait en 1936.

Au fil des semaines, se succèdent les meetings de solidarité, les manifestations, les défilés. De toutes parts, des appels de soutien s’expriment. La population Havraise se mobilise pour sauver ce fleuron de l’aéronautique française.

Un large Comité de défense est créé qui s’adresse à toute la population pour dénoncer le scandale de cette fermeture avec les conséquences désastreuses et dramatiques qu’elle entraînerait. Les municipalités du Havre, d’Harfleur, de Gonfreville, le Conseil général apportent leur soutien.

Mais malgré toutes ces actions et le magnifique élan de solidarité de la population, de tous les travailleurs, des élus, la S.C.A.N. fermera définitivement ses portes le 1er octobre 1953.

1955 : La revanche des métallos.

Les salaires, dans la métallurgie havraise, sont particulièrement bas. Les taux horaires sont inférieurs au SMIG et il faut faire du « boni » pour compenser la différence. En ce mois d’août 1955, les syndicats déposent leurs cahiers de revendications. Les métallos se mobilisent autour du mot d’ordre « Nos 40 francs » ! Mais ils ont tiré les leçons des grèves de 1953. Pas question de se lancer à nouveau dans une grève totale, illimitée, hors de l’usine. Ce qu’il faut, ce sont des actions courtes, des coups de butoir répétés, qui font mal au patron, désorganisent la production, sans creuser trop de trous dans le porte-monnaie. Et puis, il faut se battre à l’intérieur de l’usine, face à chaque patron.

Les métallos de Saint-Nazaire pratiquent ainsi et ont lancé des grèves tournantes. Leur exemple agit comme un détonateur. En plein mois d’août, au cœur même de l’été, alors que d’habitude c’est la période calme et paisible des vacances, un raz de marée de grèves déferle sur l’ensemble des usines de la métallurgie du Havre.

Toutes participent au mouvement. Chaque jour amène son lot d’arrêts de travail : tantôt une demi-journée, tantôt une heure, tantôt des arrêts toutes les demi-heures, même tous les quarts d’heures ; à tour de rôle….

Bien décidés à faire plier le patronat, les métallos des Tréfileries, des FCM Mazeline et Graville, d’Augustin Normand, des Chargeurs Réunis, de Caillard et Béliard, de la CEM, des Fonderies Havraises, de Duchesne et Boissière, du Nickel font preuve d’une détermination sans faille.

La « Versailles » renversée….

Les commissions paritaires se succèdent : le 25 août, le 29 août, le 30 août, sans apporter de résultats. Face à l’échec des négociations, la pression monte dans les ateliers. Aux Tréfileries, les métallos occupent l’usine quelque temps. A Mazeline, la voiture du patron une « Versailles », se retrouve les quatre roues en l’air !…

Le 21 septembre, la colère explose à Mazeline ; les ouvriers du Chantier de Graville, munis de masques à gaz remplis de boulons et de riblons arrivent dans la cour de l’usine déjà pleine de grévistes. Bientôt, les boulons volent dans les carreaux, les bureaux sont envahis et souvent saccagés. En peu de temps, la cour est jonchée de bris de verre, et les bureaux sont, c’est le cas de le dire, ouverts à tous vents. Mais le lendemain, quand les travailleurs se présentent à la porte, ils trouvent grilles fermées et plusieurs rangées de CRS casqués, bottés, qui leur interdisent l’entrée.

Pour autant, ils ne désarment pas. Ils se rassemblent à Franklin, manifestent en ville, passent devant la maison du patron, rue Picpus. Les CRS sont partout et, à coups de bâton et de crosses, parviennent à disloquer la manifestation.

Des motions de solidarité arrivent des autres usines de la métallurgie. Le 26 septembre, le lock-out est levé et le travail reprend. Cette fois-ci l’action a payé : les travailleurs obtiennent une augmentation de salaire de 12 % et des minis garantis (résultat de la médiation Chevry) qui augmentent sensiblement la partie fixe de la paie.

Aux Etablissements Caillard, les grèves tournantes se succèdent pendant quatre semaines et le jeudi 22 septembre, les grévistes occupent l’usine et bloquent le directeur dans ses bureaux. La police intervient pour les expulser. Le lundi matin 26 septembre, c’est le lock-out, avec les policiers qui interdisent l’accès de l’usine. Le lock-out devient l’arme habituelle des patrons, mais à nouveau, la pression des métallos aboutit à la réouverture de l’usine.

Aux Chantiers du Trait, les grèves se sont également multipliées, et les syndicats ont obtenu la parité de leurs salaires s’échelonnant de 10 à 20 %. Aux Chantiers de Normandie, les augmentations de salaire seront de 17 à 19 %. En définitive, grâce à leur tactique de luttes, à leur unité, à leur solidarité, les métallos sortent vainqueurs de cet été chaud avec des gains très appréciables. Ils ont gagné leur revanche sur 1953 !

Mais l’agitation sociale ne se limite pas à la métallurgie. Elle gagne d’autres secteurs d’activité. Les ouvriers du Bâtiment harcèlent également leurs patrons par des mouvements répétés. Les traminots du Havre, après quelques grèves, décident le jeudi 15 septembre, la grève totale avec occupation des locaux, toujours pour des revendications de salaires.

Sources:

-                Le Havre Libre, Quotidien (années 1950-1953)

-                La CGT en Seine Maritime, VO Éditions, Institut CGT d’Histoire sociale, 1993.

-                Les Archives de l’Union locale CGT des syndicats ouvriers du Havre.

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