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Le 15 mars 1944:

Le programme du Conseil National de la Résistance est adopté

Par Bernard Bouche de l’IHS CGT des PTT

Article publié dans le N°21 (mars 2004) de la revue « Le relais » de l’IHS-CGT-PTT

Le 15 mars 1944 est une nouvelle étape dans l'élargissement de la Résistance intérieure, avec l'adoption de son programme.

Le plan d'action immédiate, qui en constitue la première partie, marque le triomphe des conceptions se réclamant de l'action immédiate et multiforme sur le sol français et la recherche de l'élargissement des assises populaires de la Résistance .

La deuxième partie défend les principes qui régiront l'organisation du pays libéré.

Étant donné les différences, voire les divergences souvent importantes, le large éventail politique représenté, le programme du C.N.R. est un compromis qui a permis de satisfaire à la règle obligatoire du C.N.R., à savoir l'unanimité dans les décisions.

Mais un compromis avec une base claire: celle d'un rassemblement à dominante populaire et antimonopoliste, devant engager un processus de réformes économiques et sociales profondes. Notamment la mise hors d'état de nuire des trusts, les grandes féodalités économiques dont la trahison pendant ces années de guerre n'est plus à démontrer. L'union nationale s'est donc faite, selon l'expression du Parti Communiste Français, à « l'exception des capitulards et des traîtres ». Cette expression correspond à l'opinion de De Gaulle qui, dans un discours en date du 1er avril, avait clamé que la France a été « trahie par ses élites dirigeantes et ses privilégiés », ce qu'il confirme en 1944 lorsqu'il reçoit une délégation du patronat français au lendemain de la Libération: « Messieurs, je n'en ai pas vu beaucoup d'entre vous à Londres ».

La diversité politique et philosophique des signataires du programme du C.N.R. confère à celui‑ci un caractère unique par son contenu, mais aussi par les conditions dans lesquelles il a été élaboré, la clandestinité. II est considéré par de nombreux historiens (par exemple Jean‑Louis Crémieux-Brillac dans « La France libre » tome 1-Folio-Histoire), comme un des documents les plus importants de l'histoire de la France en guerre.

Une élaboration longue et complexe.

II faut d'abord se rappeler qu'en 1943 sont publiés des projets anglo‑saxons (A.M.G.O.T.) pour la France libérée; ceux‑ci confirment la réalité des dangers pour  l'indépendance nationale d'une Libération dont le peuple français serait absent Ces projets ont pour effet de faire se positionner l'ensemble des organisations sur la nécessaire mobilisation de la population et le développement de la lutte armée. Parallèlement, c'est à ce moment que se multiplient les projets politiques pour l'agrès guerre.

- En janvier 1943, le Comité d'Action Socialiste — qui tient lieu de parti — publie son programme.

- Le 27 mai 1943, c'est la création du Conseil National de la Résistance.

- Le 12 juillet 1943, le Comité Français de Libération Nationale fait transmettre par un envoyé de Londres, Émile Laffon, un projet qui, faute d'unanimité du C.N.R., sera abandonné.

Durant l'été 1943, une étude rédigée par Georges Cogniot, pour le secrétariat du PCF, est diffusée clandestinement, « La haute trahison des trusts », qui éclaire la position du PCF sur les nationalisations.

- En septembre 1943, la C.G.T. réunifiée, le 17 avril de la même année, lors des accords du Perreux, propose au C.N.R. un programme d'action; en réalité il s'agit d'une délibération du bureau confédéral du 27 juillet 1943. Sur un certain nombre de points, les membres du B.C. de la tendance « Frachon » et ceux de « Jouhaux » présentent des motions distinctes. Louis Saillant, représentant la CGT dans le C.N.R., considère ce document comme l'un des trois ascendants directs du programme finalement adopté par le C.N.R.

- Le 3 novembre 1943 le général De Gaulle s'exprime devant l'Assemblée consultative provisoire (1) à Alger: « La France aura subi trop d'épreuves et elle aura trop appris sur son propre compte et sur le compte des autres pour n'être pas résolue à de profondes transformations.

...Elle veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la nation, où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens dont elle dépendait. Elle veut que les biens de la France profitent à tous les Français ».

‑ Le 26 novembre 1943, Pierre Villon, au nom du Front National, présente un projet de charte de la Résistance au C.N.R. Ce projet a été réalisé en liaison avec le secrétariat du Parti Communiste Français, parti qui, en ce qui le concerne, ne propose pas de projet mais appuie entièrement la démarche du F.N. Pour le P.C.F., à la Libération c'est au peuple français de décider(2) Après quatre rédactions successives le projet sera adopté.

- En janvier 1944, le bureau du C.N.R. adopte la première « Charte de la Résistance », puis en février « Le programme d'action de la Résistance ».

- De son côté, en mars 1944, le Parti Socialiste propose sa version du « Programme d'action de la Résistance ».

- Le 15 mars, les « représentants des organisations de résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R. » adoptent à l'unanimité le « Programme du Conseil National de la Résistance ».

Les jours heureux

La première édition clandestine du programme du CNR a pour titre « LES JOURS HEUREUX » .

L'avant‑propos de 1944 est signé par Louis Saillant, Président du C.N.R. II fut le premier représentant de la CGT en, mai 1943 lorsque Jean Moulin en était le Président.

Le P.C.F et la C.G.T. popularisent très largement le programme. Le C.N.R. mènera campagne pour son application lors des premières élections législatives organisées après la Libération, tous les partis politiques ayant d'ailleurs incorporé le programme du C.N.R. dans leurs propres projets.

Le programme inspirera l'action du gouvernement provisoire et le préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation acquiert le caractère d'un service public ou de monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».

Mais pourtant tout allait-il couler de source ? L'histoire de l'après libération, si elle est marquée d'un certain nombre d'avancées, notamment des nationalisations prises par ordonnances, on ne peut que constater certaines lenteurs, hésitations... et aussi des reniements de la part de certaines organisations pourtant signataires du Programme du C.N.R. C'est sans doute la raison pour laquelle, dès le 7 juillet 1944, le bureau confédéral de la C.G.T. s'adresse aux membres du C.N.R.

La C.G.T. rappelle « qu'à l'encontre de certaines organisations résistantes, elle n'a publié que peu de textes sur les vues qu'elle a du social, de l'économie et du politique au jour et au lendemain de la Libération.

« Aujourd'hui, elle tient à attirer l'attention sur quelques questions de principe de la plus haute importance pour la classe ouvrière. Elle les juge absolument essentielles, elles constituent la base de son programme et elle désire que ne se crée à leur propos nulle équivoque...

« La C.G.T. réclame une augmentation substantielle des salaires en vue de leur réajustement au coût réel de la vie...

« La C.G.T revendique expressément le maintien de la législation de 1936; les 40 heures, les délégués d'atelier, la possibilité de conclure des conventions collectives...

« La C.G.T. revendique l'accès des salariés au pouvoir économique ;

« Elle réclame le retour à un syndicalisme libre... l'abrogation totale de la charte du travail ».

Au premier congrès de la région parisienne CGT‑PTT, le 21 octobre 1944, la résolution adoptée à l'unanimité alertait les postiers parisiens « La plus grande vigilance, l'union et l'action sont nécessaires pour l'application des mesures adoptées par le Conseil National de la Résistance auquel appartient notre grande C.G.T. »

Et le 27 mars 1945 au comité national de la C.G.T., Benoît Frachon revient sur les nationalisations: « 11 faut soustraire l'économie nationale à la dictature des trusts qui ont conduit notre pays au marasme et à la défaite. Sans cela, pas de redressement possible, pas de liberté, pas d'indépendance. Pour atteindre ce résultat il faut que les monopoles de fait deviennent la propriété de la nation et soient gérés par elle.

Cela nécessite la nationalisation des grandes banques, des assurances, des compagnies d'électricité, des houillères, des mines de fer et de bauxite, des raffineries fineries de pétrole, des transports maritimes, terrestres et aériens, de la sidérurgie, des grandes entreprises, de la grosse construction mécanique, de la grande industrie chimique... notre position, en ce qui concerne les nationalisations et la confiscation des biens des traîtres, correspond en tous points au programme du C.N.R, adopté par toutes les organisations de la Résistance en mars 1944 ».

L'étendue du champ des nationalisations a fait couler beaucoup d'encre durant ces soixante années et ce n'est sans doute pas terminé. Pourtant, comme le rappelait Robert Chambeiron, de VA. ANACR et ancien membre du conseil de la Résistance, lors d'un colloque le 13 décembre 2002 à l'Assemblée Nationale: « C'est en s'appuyant sur un secteur public fort, dont l'efficacité ne s'est pas démentie, que la France va mettre en place des structures originales, transports, énergie, communications, crédit, qui assurera à chaque Français un égal accès aux progrès de la science et de la technique. Et c'est ce secteur public qui a permis à la France dans un climat social rénové, de se reconstruire dans un délai remarquable sans rien abandonner de sa souveraineté nationale», disait‑il en parlant du Programme du C.N.R.

L'année 1944, nous le savons fut décisive pour notre pays. L’unité syndicale retrouvée de la CGT en avril 1943 et le programme d'action adopté unanimement en mars 1944 par la Résistance ont été déterminants.

Cette situation nouvelle fera que la CGT sera mieux entendue de la classe ouvrière, qui comprend qu'elle ne doit pas abandonner l'action pour les revendications, tout en luttant pour chasser l'envahisseur hors de France. Plus que jamais se vérifiera la justesse de l'appréciation de Karl Marx: « Si la classe ouvrière lâchait prise dans son combat quotidien, elle se priverait elle‑même d'entreprendre tel ou tel mouvement de grande envergure ».

L'Histoire a déjà retenu que les travailleurs et les travailleuses et leur organisation C.G.T. ont tenu toute leur place dans ce combat libérateur.

Pour le présent, encore deux remarques

-       Parce qu'il correspondait aux aspirations de la société française, le programme du C.N.R. a profondément marqué celle‑ci.

-       Le programme du C.N.R., même adopté à l'unanimité, a été très vite et constamment remis en cause par les forces réactionnaires et patronales; ce fut le cas pour la Sécurité Sociale et les régimes de retraite; quant aux nationalisations, les forces réformistes ont même donné un coup de main pour leur retour au privé; concernant les services publics, le capitalisme libéral ne veut plus en entendre parler. Bref, il faudrait mettre un terme définitif aux acquis sociaux, démocratiques, économiques et « utopiques » du C.N.R. !

Alors, plus que jamais, à la ténacité de ces adversaires du progrès social, sachons opposer notre résistance par la lutte, comme l'ont fait ceux qui, dans les années noires et après, ont combattu pour l'indépendance économique et politique de la France et son renouveau démocratique. Aujourd'hui, construire l'indispensable rapport de forces pour mener ce combat, c'est d'une brûlante et urgente actualité.

Ouvrages consultés

-       Histoire du temps présent de 1939 à nos jours (Messidor‑ Éditions Sociales 1992).

-       La classe ouvrière dans la Résistance (Messidor ‑ Éditions Sociales‑1983) de André Tollet .

-       Jean Moulin (Perrin2003) de Jean Pierre Azéma

-       Au rythme des jours - tome 1 (Éditions Sociales ‑1973) de Benoît Frachon

-       Étude de Jean Magniadas, membre honoraire du CES‑ « Qu'est‑il advenu du programme du CNR ?».

-       Les archives du Musée de la Résistance Nationale à Champigny

-       Un grand merci à Michel Delugin , Secrétaire de Libération Nationale PTT, pour son aide et ses conseils.

Notes:

(1)              Cette assemblée a été instituée par une ordonnance du Comité Français de Libération Nationale qui s’est transformé en Gouvernement provisoire de la République Française, le 3 juin 1944.

Cela correspondait aussi à la volonté de De Gaulle qui dans la « Déclaration aux mouvements de la Résistance » remise à Christian Pineau le 24 avril 1942, s’exprimait ainsi: «  Toutes les libertés intérieures doivent être rendues (aux Français). Une fois l’ennemi chassé de chez nous, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays... »

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