Ecrire au fil rouge

 

Esquisse d’une Histoire de la Poste et des Postiers du Havre.

Postiers, cela veut dire « Luttes sociales » !

  1. Les postiers dans la Résistance
  2. Après la guerre, des luttes et des progrès sociaux: une longue et riche histoire
  3. Autres temps, autres luttes: 1946, 1953, 1962.
  4. Mai 1968
  5. La grève de 1974
  6. La grève de 1988
  7. La grève de 1993
  8. De 1995 à 2005

Les postiers havrais ont innové plusieurs fois en matière de social.

Ainsi ont-ils obtenu les premiers la suppression de la tournée des facteurs le samedi après-midi, et ce dès 1962. Rien que la liste des dates de leurs luttes les plus marquantes est longue et commence en 1899 pour ne pas se terminer … en passant par les dates qu’on a pu étudier : 1899, 1906, 1936, 1946, 1953, 1962, 1968, 1974, 1988, 1993, 1995, 1999 …

I- Les postiers dans la Résistance

Un passage sombre de l’histoire de notre pays est celui dit de la guerre de 39-45. Guerre de 39, capitulation de 40, occupation jusqu’en 45.

Durant cette période, la population a subi défaite et trahison venant du plus haut de l’État.

Heureusement, des gens, peu nombreux au début puis de plus en plus nombreux, ont résisté, se sont organisés pour gêner, nuire à l’ennemi nazi et au gouvernement de Pétain, saboter leurs mauvais coups, le désorganiser, protéger et informer les réseaux de Résistance.

Les postiers, en général, et ceux du Havre qui nous occupent dans le cadre de cet article, ont fait honneur à notre Peuple et aux valeurs de la République.

Beaucoup d’entre eux ont pris des risques conséquents pour saboter la machine pétainiste et d’occupation. Combien de lettres de délation ne sont jamais arrivées, combien de personnes visées par celles-ci ont été averties à temps, combien de messages utiles ont été passés « hors administration », combien de renseignements importants sont parvenus aux réseaux de résistance puis aux alliés, combien de lettres de kommandantur qui n’arrivent pas ou sont ouvertes, mais aussi combien de messages de l’adversaire interceptés, coupés et sabotés, combien de lignes téléphoniques en panne ou piratées, de faux papiers fabriqués ? Que de risques ainsi pris car la surveillance était constante.

Ainsi dès le début 1940, le central téléphonique du Havre fut incendié et grandement détruit afin de nuire à l’occupant qui avançait.

Quelques postiers du Havre se sont ainsi illustrés (involontairement) dans la lutte armée, dans la résistance dite « active », plusieurs en sont morts en déportation. Au moins l’un d’entre eux, Kléber Vasseur a son nom sur le monument du souvenir, Place de l’Hôtel de ville. D’autres, plus chanceux, ont survécu et vivent encore, ont quitté la région.

L’un de ceux-ci, Édouard Meunier, raconte ainsi son combat dans le livre édité en 1986 par la fédération CGT des PTT sur la Résistance:

« Nommé surnuméraire au Havre central téléphonique début 1939, des éléments multiples et brutaux allaient bientôt bousculer mes débuts dans l’administration. Dans les mois qui suivent, c’est le départ de nombreux postiers rappelés; dans ma famille ce sont aussi mes oncles (21 et 23 ans) qui partent. Puis c’est la drôle de guerre et la débâcle qui surviennent. L’un de mes oncles disparaît en mer sur un bateau coulé par les allemands en rade de Dunkerque qui évacue des troupes, c’est ensuite le port du Havre dont les installations sont bombardées qui doit être évacué mais la route de la Seine, vers le bac, est bientôt complètement obstruée. Le « Niobé » est coulé en rade du Havre avec 800 personnes à bord, et le lendemain, dimanche 9 juin, les réservoirs de pétrole de la Seine sont en feu. En fin de matinée, l’obscurité est totale sur la ville. Les gens affolés courent un peu partout, l’ordre est donné d’emballer archives administratives et matériel. L’évacuation par mer est décidée. Nous partons dans un désordre indescriptible sur un cargo, mitraillé en rade. Nous arrivons pourtant à Cherbourg pour nous y faire mitrailler sur les quais. C’est l’exode, triste et désolant! Les ordres contradictoires; on repart tout d’abord vers Caen, puis on retourne en arrière et c’est à Rennes où nous arrivons en soirée du 17 juin alors que le bombardement des trains de munitions dans la plaine de Baud vient de faire 3600 morts.

De tous ces mois précédant la défaite je perçois encore le climat lourd de désespérance mais aussi le profond souvenir d’un collègue qui, sans bruit, et avec précaution, distribue des tracts au central télégraphique et ailleurs. Kléber Vasseur est jeune, d’allure sportive, il semble ne rien craindre. Engagé politiquement, et sympathique, il me fournira des explications sur des événements que je comprends bien mal alors. Il m’est parfois arrivé de l’aider quand il me le demandait. Jusqu’au jour où Kléber, comme bien d’autres politiques au Havre, est arrêté puis déporté. Kléber ne reverra pas la terre de France, 4 années de privations, de souffrances et de coups, auront raison de sa jeunesse et de sa force et il mourra sur le chemin du retour. Kléber était une magnifique figure de cette jeunesse déjà en plein combat avant l’heure. Plus tard, alors en poste d’Inspecteur Central au Havre Principal, je revois traversant la cour du central, la silhouette fluette et légèrement voûtée de cette jeune femme en noir, la fiancée, avec sans doute, encore le deuil de Kléber au cœur. En ces moments de tristesse, au souvenir de Kléber, j’aurais aimé lui dire ce que je ressentais, jamais je ne l’ai pu. Je pense plus que jamais que ce camarade mérite grandement d’avoir sa place dans cette histoire de la Résistance au sein de notre corporation. Mais qui donc, au Havre, pourrait se souvenir encore de Kléber, c’est pourquoi il faut que j’en parle. "

Le Havre était en "Zone interdite; il était difficile de circuler. Le fait de travailler aux PTT était sur ce point un atout qui fit que de nombreux agents des PTT rendirent des services importants à la Résistance. Ci-dessus la carte d'identité de Charles Chastanet qui deviendra l'un des principaux animateurs de la "section des lignes" de la CGT du Havre, à la Libération.

En Zone interdite

Non appelé sous les drapeaux en début 1940, puisque né le 12 avril 1920, je reviens donc au Havre après les tourmentes de l’évacuation. Une ville presque vide au début, où rien ne fonctionnait, une ville où les bombardements allaient bientôt reprendre sans trêve, une ville cernée — le Havre était en zone interdite —  les rafles se succédaient et le rationnement pour nous qui n’avions sur place aucune famille, était intolérable. Les installations du Central Téléphonique étant devenues inutilisables par suite des bombardements, je me rendais utile en participant aux travaux de guichets postaux et même en effectuant des heures de nuit au Central Téléphonique, remplaçant des collègues chargés de famille lesquels, comme beaucoup de havrais, transportaient chaque soir leur famille dans la proche banlieue afin d’éviter les bombardements nocturnes très meurtriers. La présence d’agents anglais en ville n’allait pas sans inquiéter les autorités allemandes qui les traquaient.

Je me souviens d’un fait survenu une nuit de veille dans ce central téléphonique: la sirène au-dessus du central sonnait l’alerte habituelle devançant le ron-ron des « forteresses ». Je percevais à l’étage le martèlement lourd des bottes de soldats descendant à l’abri dans les caves de l’immeuble quand , sans trop de bruit, un soldat en uniforme allemand pénétra dans la salle et vint me trouver. En français imparfait, il m’adressa la parole pour me demander de lui établir une communication. A son intonation, il n’était pas difficile de comprendre qu’il s’agissait d’un soldat anglais en mission, l’un de ceux qui sillonnait la ville chaque jour. Je lui fis comprendre que je n’avais pas été dupe. »

Début 1942 Édouard Meunier quittera le Havre pour suivre un cours de formation professionnelle à Paris. Nommé au central radio de Paris il sera ensuite détaché à Roanne où il entre dans la Résistance. Après avoir rejoint le maquis FTPF de Picaussel, il participera aux combats pour la libération de la Haute vallée de l’Aude, puis de Carcassonne. Son groupe, cité à l’ordre du maquis pour les combat de Grazaille deviendra le 1er bataillon du 81e RI.

Tous ceux-là ont risqué leur vie, ont agi, mais sont restés discrets, modestes, loin des honneurs. Il est encore souvent difficile de les faire parler ...

Le Havre Principal: un coin de la "salle du départ" (courrier) après le bombardement de 1944

II- Après la guerre, des luttes et des progrès sociaux; Une longue et riche histoire

Dès la sortie de la guerre, quelques comptes sont réglés notamment avec quelques rares hauts cadres, directeurs ou postiers zélés au service de l’occupant ou de Vichy.

Dans l’enthousiasme de la Victoire, de la Libération et de l’application du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) des avancées sociales sont obtenues, pas sans lutte et là encore, les postiers agissent (grève de 46), créent des activités sociales. Mutuelle, entraide, foyer, activités culturelles et sportives se structurent et le Comité des Œuvres Sociales (COS) voit le jour.

Ces créations sociales concrétisent des besoins, des sentiments forts chez les postiers : solidarité, fraternité, esprit de famille, qui remontent loin et sont souvent issues des origines des postiers eux-mêmes.

Ceux-ci, en effet, sont souvent des déracinés, mutés, « importés » des autres régions de France. D’où les « foyers internats » créés pour accueillir ces « exclus », puis la mutuelle, les premiers services sociaux organisés par les postiers, arrachés souvent à l’administration. Ceux-ci ont nom : restaurant administratif (1947), entraide, mutuelle, association sportive (ASPTT), on y retrouve entre autres l’arbre de Noël, théâtre (dont création de spectacles pour financer Noël), rallyes, bibliothèque, tricotage … Tout cela dans le COS (Comité des Oeuvres Sociales) financé au début par les cotisations des postiers, les collectes auprès des gros clients ou leurs dons, des ventes de pochettes et calendriers, puis de façon officielle et organisée puis, par de maigres subventions de fonctionnement de la Poste.

Il faut dire des postiers du Havre dont la tendance est de se battre pour avancer, dont le progrès dans le statut social et les conditions de travail n’ont évolué qu’avec les luttes et dont la traduction dans un syndicat CGT fort et combatif, des valeurs de solidarité, de fraternité, de progrès social ont beaucoup pesé face à une administration pas particulièrement « sociale ».

Voici quelques luttes ayant marqué l’histoire sociale de la Poste au Havre.

III- Autres temps autres luttes

Ainsi en 1946, un arrêt de travail le 1er août pour l’amélioration des conditions de vie quotidienne si dures à l’époque …

Ainsi en 1953  Départ en grève le 7 août dans le cadre d’une grève nationale unitaire des fonctionnaires, avec participation de salariés du secteur privé, contre les décrets-lois du gouvernement LANIEL qui veut faire des économies sur le dos des … salariés, bloquer les salaires, reculer l’âge de la retraite (tiens, déjà !) et qui dans le même temps augmente les traitements des députés, le budget militaire et intensifie la guerre d’Indochine.

Le mouvement est massif, 25 000 grévistes au Havre encore le 23 août. Même les syndicats de policiers protestent contre les décrets-lois et contre leur utilisation pour remplacer les grévistes dans les administrations, notamment aux PTT (la Poste d’alors).

Le gouvernement et le patronat arrivent à diviser le front syndical avec la trahison de FO et CFTC, mais les postiers du Havre vont continuer encore plusieurs jours. Ainsi, le 23 août, ils votent encore à 309 pour continuer la grève (sur 384 votants).

Puis dès 1961,  apparaît une revendication de 36 h hebdomadaires. Encore en 1961, plusieurs arrêts de travail ont lieu contre les réquisitions et pour préserver le droit de grève.

En 1962, la fin de la distribution du courrier le samedi après-midi au Havre … un progrès qui n’est pas venu tout seul :

Pierre BISCH se souvient :

« Nous sommes en 1962, une deuxième tournée de facteurs a lieu les samedi après-midi aussi.

A l’appel de la section CGT des facteurs du Havre principal, de la fédération postale CGT (cela s’appelait comme ça), qui regroupe majoritairement les facteurs, cette revendication va aboutir.

Voici comment : déjà les facteurs et les autres postiers participent activement à la défense de leurs revendications, qu’elles soient locales ou nationales ; ça aide.

Puis cette revendication de la suppression de la tournée du samedi après-midi naît, prend de l’ampleur, se heurte à l’obstination de la direction, d’où conflit.

Le contexte de l’époque est à la suppression, dans beaucoup de corporations, du travail du samedi après-midi (voire du matin). Donc la distribution du courrier l’après-midi n’a plus rien d’urgent, les entreprises rouvrant le lundi matin.

C’est ainsi qu’au Havre, forts de leur revendication (nationale) de leur syndicat, de leurs arguments de bon sens et de leur capacité de lutte, les facteurs  vont faire grève le samedi après-midi à près de 100%. C’est dire combien la revendication est populaire.

Le Havre sera donc quatre samedis sans courrier. Les usagers courants ne disent rien, seule la Chambre de Commerce proteste.

Le siège du syndicat CGT eut même « l’honneur » de recevoir une visite d’un des représentants de cette Chambre de Commerce, en la personne de Monsieur Dairaine (directeur de l’entreprise Evers, célèbre pour ses conditions de travail déplorables et son amiante). Celui-ci évoqua des difficultés créées à l’économie havraise ( !) par les grèves à répétition (discours connu…) pour admettre plus tard que cela n’était pas vraiment une gêne.

Devant la détermination des postiers et du syndicat et à la suite prévisible du mouvement, la Chambre de Commerce a demandé à engager des pourparlers avec la direction départementale de la Poste et sans doute avec le ministère. Et les facteurs ont gagné !

Si aujourd’hui cela semble n’être plus qu’une anecdote (étant donné qu’il n’y a plus qu’une distribution quotidienne), cela rappelle que comme toute revendication satisfaite ou régression sociale évitée ou nouveau droit acquis, quand la volonté d’aboutir, la combativité et le poids de la CGT y sont, on avance et on gagne …

Ce fut au Havre aussi avec les luttes des agents des « Télécom », toutes catégories, qui furent les premiers, avec des actions répétitives, à obtenir à la Poste la semaine en 5 jours sans récupération.

Là aussi, la CGT était fortement organisée ! … »

En 1962 aussi, des grèves contre l’O.A.S. mouvement d’extrême droite terroriste agissant en France et en Algérie contre les partisans de la Paix en Algérie.

En février 1962 arrêt de travail total lors de l’enterrement à Paris des victimes du massacre du métro Charonne, lors de la répression brutale, sanglante, organisée par le préfet de police Maurice Papon contre une manifestation pour la Paix en Algérie : 9 morts dont 2 postiers syndiqués CGT.

En Mai 1968 au Havre

Autre grève très suivie, marquante, comme dans tout le pays : celle de 1968.

Les postiers du Havre mènent de façon vigoureuse leur bataille contre leur direction. Mai 68 nécessite quasiment un livre d’Histoire, et il y en a de très bons écrits par la CGT

Mai 1968 en quelques dates:

1er mai: Pour la première fois depuis de nombreuses années, les manifestations ne sont pas interdites. A l’appel de la CGT, 100 000 manifestants à Paris, des milliers dans toutes les villes de province dont le Havre, Rouen et Dieppe.

10 mai: S’étendant depuis le 3 mai, le mouvement étudiant pour la démocratisation de l’enseignement, est brutalement réprimé par la police parisienne.

11 mai: La CGT propose dès le matin, une grève de protestation de 24 h pour le 13 mai, aux autres centrales. CFDT et FEN puis l’UNEF donnent leur accord..

13 mai: Ce lundi, plusieurs millions de grévistes, travailleurs, enseignants, étudiants, manifestent dans l’unité dont  600 000 à Paris.

15 mai: La CGT lance un appel national diffusé à 4 millions d’exemplaires: « Travailleurs, travailleuses, à l’appel de vos syndicats, agissez sans attendre, rassemblez-vous sur les lieux du travail, participez à la détermination des revendications et des modalités de l’action dans vos entreprises, vos branches d’industrie et vos régions. »

Dès le lendemain, les usines Renault de Cléon, Flins et du Mans, rejoignent Sud-Aviation de Bouguenais dans la grève avec occupation des usines.

20 mai: Ce lundi, le mouvement de grève et d’occupation des entreprises et services se généralise et mobilisera, dans les jours suivants, 10 millions de salariés des secteurs privés, publics et nationalisés.

Récit de Pierre BISCH, responsable du syndicat CGT des PTT du Havre à l’époque:

« Quatre heures du matin, le téléphone sonne et me réveille brutalement. Nous sommes le samedi matin 18 mai. Mon interlocuteur est un préposé responsable syndical qui fait partie de la brigade de tri de nuit. Il me fait part des nouvelles. Les dernières car depuis la veille il y a de la grève  « dans l’air ». Nantes en est le point de départ. Il vient d’apprendre par des collègues de Paris que de nombreux bureaux de tris ont débrayé et que l’on va vers une grève générale dans le pays. Toutes les branches d’activité sont concernées paraît-il…

Toilette et petit déjeuner puis rapidement je me rends à la Poste du Havre Principal où règne déjà une ambiance inhabituelle pour une grève.

Il faut vite préparer et organiser le mouvement au Havre et dans la région du Havre dont le syndicat a la responsabilité : Bolbec, Fécamp, Montivilliers.

D’abord prise de parole dès l’arrivée des préposés afin de bloquer au maximum la distribution du courrier et des hebdomadaires. La majorité des facteurs du Havre- Principal  sont syndiqués à la CGT. Après quelques explications il est décidé d’arrêter le travail. Déjà informés par la radio et la télévision depuis la veille la décision est vite prise, mais néanmoins ça discute car un tel mouvement hors de la Poste cela surprend vu l’ampleur qu’il semble prendre.

Il faut alors aller trouver les préposés des autres bureaux ainsi que le personnel des guichets qui accourent à 8 h. Même chose au central téléphonique de la rue J. B. Eyriès. Les agents de nuit ont déjà donné l’information  aux opératrices3 « matinales » qui repartent et croisent celles qui arrivent, pas encore au courant et qui à leur tour font demi-tour…

La maîtrise court dans tous les sens, bien qu’habituée à des mouvements (là aussi la section est très forte et les revendications nombreuses)  cela lui crée quand même une surprise compte tenu de la spontanéité du personnel à cesser le travail. Alors que la veille rien ne laissait supposer une grève toujours annoncée. Il faut dire que les responsables du bureau syndical eux-mêmes étaient également très anxieux de ce qui se passait

avec une telle rapidité. Ils allaient avoir à soutenir une grève longue, éprouvante,fatigante dans laquelle la C G T devait à la fois montrer son influence mais aussi sa détermination pour l’aboutissement des revendications propres à la Poste comme aux « Télécom » .Qu’à cela ne tienne, première réunion d’information à Franklin à 10h  après celles prises auprès de la « Fédé » qui confirme l’ampleur que prend cette grève générale.

Dans l’ensemble des présents les explications données, semblent être bien comprises, même s’il peut y avoir un peu de flou dans les esprits. Rendez-vous est pris pour le dimanche matin à Franklin qui deviendra le lieu de rendez-vous quotidien durant la durée du mouvement. Salle comble, il semble d’ores et déjà qu’une certaine volonté s’affiche pour obtenir satisfactions des revendications qui datent.

La grève générale chez les Postiers et «Télécom » est partie. Elle rejoint les autres corporations et représente une force importante au milieu de celles-ci.

Dès le lundi, la majorité des bureaux de poste fonctionnent à effectifs très réduits et fermeront par la suite ne pouvant répondre aux usagers. Il en est de même au téléphone où l’insuffisance d’opératrices crée un embouteillage monstre chez les usagers. Les cadres non grévistes restent perplexes devant une telle détermination du personnel. Néanmoins, le syndicat se montre responsable en assumant un service minimum afin d’intervenir auprès des abonnés prioritaires : hôpitaux, cliniques, pompiers. Il est demandé à une entreprise allemande travaillant pour le réseau « télécom » d’interrompre le travail afin de s’éviter des ennuis. . Ce qui est fait sans problème. Le quotidien s’organise après avoir toutefois mis en grève les bureaux de poste de Fécamp, Bolbec, Sainte Adresse, Montivilliers, et organisé des quarts pour occuper la Poste principale jour et nuit.

Réunion tous les matins à 9h. Reconduction de la grève, informations appuyées par celles de la radio et de la télé. Le mouvement tient bon.

Gratuité pour les repas au restaurant de la Poste, cantines gratuites pour les enfants suite à une décision du Conseil Municipal dirigé alors par René Cance, Maire du Havre. Défilés journaliers avec les autres salariés regroupant 20, 25, 30 000 manifestants : parcours traditionnel Franklin – Hôtel de Ville, mais aussi chez Dresser, rue de Paris. La maison de la culture organise des spectacles, nous un concours de foot. Le Havre est paralysé…

Les responsables syndicaux se sont mis au diapason, ils sont fatigués certes, mais heureux d’avoir une responsabilité aussi importante que celle de conserver le mouvement intact dans son ampleur.

A Paris les discussions se préparent dans chaque ministère relevant de la fonction publique ainsi que dans les branches respectives du privé. Des millions de salariés sont en grève depuis le 20 mai. Des slogans s’adressant au pouvoir s’inscrivent sur les banderoles des défilés : « Dix ans çà suffit » ou « Il est interdit d’interdire » Au Havre les P T T ont réalisé leurs pancartes, certaines humoristiques. Il faut noter aussi que des « bonnes volontés » apportent leur concours aux militants. Il y a la même prise de conscience face à l’enjeu de cette grève : de meilleures conditions de vie, de travail, plus de libertés.

Enfin on arriva au 27 mai où sous la pression des grèves on aboutira au Constat de Grenelle. Le bilan de ces négociations entre syndicat et gouvernement (Pompidou et Chirac) est sans précédent depuis 1936. Les salaires augmenteront de 10 à 35% y compris dans la fonction publique. L’indemnisation des jours de grève est aussi inscrite, ce qui est important…

Pour  ce qui concerne les PTT  nous établirons sur de grandes feuilles le bilan des résultats obtenus. Même si des revendications ne sont pas obtenues à 100 %, le bilan est positif. Au cours d’une réunion importante nous analysons  ces résultats à partir desquels dans certains bureaux on annonce déjà la reprise du travail. Rendez-vous est pris pour se retrouver le lendemain dans la cour du Havre-Principal avant la reprise du travail, car nous voulons maintenir notre force syndicale intacte, sachant qu’après une telle grève il y a toujours des craintes sur l’effritement de celle-ci. Quelques « jusqu’auboutistes » souhaitent continuer le mouvement. A chacun ses responsabilités. C’est sur un dernier chant de l’Internationale tant de fois clamé au cours des défilés que l’on se quitte chacun retournant dans son service. Mais en fixant déjà une réunion pour le lundi suivant afin de faire le  point notamment sur les modalités des retenues pour les journées de grève.

Dans l’ensemble cela s’est bien passé sauf dans quelques services où des cadres comme voulant se venger, appliqueront les consignes de la Direction en totalité. Toutefois une déception pour beaucoup, en juin 1968, le Général de Gaulle, organise des élections législatives. Ce sera une défaite pour la gauche divisée. Jouant sans doute sur la peur « du rouge », la droite remporte les élections.

Pour les militants que nous étions en 68 cela a sans doute marqué leur activité syndicale ainsi que l’esprit qui s’en dégage et la force qu’elle peut représenter. Le bilan obtenu alors sur des revendications inscrites de longue date était une satisfaction que seul celui qui agit peut éprouver.

Ces avancées, ces conquêtes entrées dans les habitudes aujourd’hui il faut rappeler comment elles sont venues  aux plus jeunes qui en bénéficient, surtout à un moment où les attaques contre le service public n’ont jamais été aussi virulentes.

A  quoi çà sert le syndicat ? 1968 en a été un exemple dont on devrait se rappeler aujourd’hui. Ainsi donc s’est écrite une nouvelle page de l’histoire du mouvement syndical des P T T , puisqu’à cette époque tel était le sigle de ce grand service public.. »

En octobre 1970, des grèves tournantes, au plan national touchent les centres de tri et les bureaux gare, les havrais soutiennent, bien sûr !

Puis vient la grève de 1974, grève nationale aux PTT

Christiane SAVIGNARD, trésorière du syndicat relate :

« Après les grèves générales de 53 et 68 qui ont complètement paralysé le pays, on peut dire, que celle de 74 est le plus important mouvement organisé aux PTT pendant 45 jours. De plus, elle se distingue des autres par l’originalité de son déclenchement à l’échelon national, et à l’échelon local, par son déroulement exemplaire pendant 34 jours.

Avant de « raconter » ce qui s’est vécu au Havre-principal, il faut restituer le contexte de l’époque (il y a 30 ans déjà …).

Sur le plan national, le mécontentement est grandissant dans tous les services, les revendications pour l’augmentation des salaires n’aboutissent pas, alors que l’inflation constatée est proche des 15 % annuels. De plus l’accroissement permanent du trafic, de l’ordre de 4 % par an, détériore les conditions de travail et nécessite de nombreuses créations d’emplois.

Régulièrement depuis 1973, des journées de revendications et des grèves locales sont enregistrées pour ces motifs, mais sans résultat. La situation est propice à un conflit inévitable.

Le déclenchement de ce mouvement mémorable a pour origine deux décisions malheureuses prises par le gouvernement de l’époque (président : Giscard, 1er ministre : Chirac, Ministre des PTT : Longuet).

D’abord, la nomination au Ministère des PTT, d’un nouveau Directeur Industriel et Commercial des « Télécom », n’appartenant pas aux PTT mais au Cabinet du 1er ministre (la presse écrit : « Chirac parachute son homme de confiance »).

Cette mesure préparant le démantèlement de l’Administration qui va séparer la Poste des « Télécom », provoque la colère des cadres supérieurs de l’Administration Centrale et des ingénieurs des Centres de Recherche (majoritairement FO). Ils déposent un préavis de grève et manifestent en masse devant le Ministère des PTT dès le 22 octobre (du JAMAIS VU !).

Ensuite, l’annonce du vote du budget pour 1975 reconduisant les mesures d’austérité de 1974.

Aucune création d’emploi supplémentaire malgré les criants besoins reconnus par le Ministre lui-même. Aucune augmentation de salaire.

Partie des grands centres de tri parisiens, la grève s’étend comme une traînée de poudre aux centres de Chèques Postaux et Téléphoniques et gagne rapidement tous les services de province.

Les syndicats FO et FNT (Fédération Nationale des Télécommunications - Autonome) rejoignent les organisations CGT et CFDT coordonnateurs du mouvement. Hélas, après deux semaines d’action unitaire, ils décident de suspendre le mouvement.

Le gouvernement misant sur cette faille, espère le pourrissement de la grève qui continue malgré tout pendant 4 semaines, mais les négociations vont se solder par un demi-échec.

Sur le plan local, la grève va durer 34 jours du   24/10/74  au  26/11/74, elle peut être qualifiée de : Unitaire, Solidaire, Exemplaire et se résume ainsi : 5 SEMAINES à la UNE !

Unitaire, car se constitue immédiatement une commission inter-syndicale des deux centrales représentatives du Havre, CFDT et CGT, qui se montre motivée, active et efficace jusqu’à la fin du mouvement.

Son dynamisme et sa détermination encouragent les petits services et bureaux à rejoindre les collègues du Havre-Principal en grève à 95 % (tous les facteurs sauf un !).

Le mouvement est rapidement suivi par plus de 700 personnes de la Poste, du Service des Lignes, du Central Téléphonique, du garage, etc …

Encore une fois, du JAMAIS VU dont se souviennent les grévistes de l’époque, car une originalité de ce mouvement est d’installer son QG dans la salle de spectacle du Petit Théâtre et d’y tenir son meeting quotidiennement.

Tous les matins, 300 à 500 personnes viennent écouter les militants de l’intersyndicale qui les informent sur l’ampleur du mouvement national et l’état d’avancement des négociations.

Ces échanges permettent aux participants de rester combatifs pendant toute la durée du conflit et de décider chaque matin, démocratiquement la poursuite de la grève.

Parallèlement, la presse locale (plutôt bienveillante à l’époque) se fait l’écho des péripéties du mouvement et relate assez fidèlement les communiqués de l’intersyndicale ; aussi, la population, bien que gênée par la durée de la grève comprend dans l’ensemble le bien-fondé des revendications, (sauf les entreprises au bord de l’asphyxie par manque de courrier et qui n’utilisent pas encore l’informatique !).

Régulièrement, des motions votées sont portées solennellement à la Sous-Préfecture par un cortège impressionnant de grévistes porteurs de banderoles et bardés de pancartes revendicatives.

A plusieurs reprises d’autres secteurs de la fonction publique se joignant au mouvement, viennent grossir le nombre de manifestants. Ces défilés s’effectuent souvent sous la pluie (de saison), mais dans la bonne humeur et en chantant le tube du moment :

Solidaire, parce que sont organisées des collectes de soutien dans les entreprises soutenant notre mouvement. Notamment, une délégation de grévistes invitée chez les dockers récolte une forte somme.

Cet argent permet de soutenir matériellement les collègues en grande difficulté financière, de leur servir des repas gratuits à la cantine et de régler les frais de cantine scolaires pour leurs enfants, etc …

Exemplaire, parce que tous les militants en lutte demeurant actifs pendant ces 34 jours, décidant quotidiennement de nouvelles démarches à effectuer pour le bon déroulement du mouvement.

Ainsi, ils se rendent aux portes des grands magasins pour expliquer aux usagers les causes de la durée du conflit.

Quels sont les résultats obtenus par cette grève menée de façon aussi démocratique au Havre ?

Sur l’augmentation des salaires :

- Seule l’augmentation de salaires des débutants est accordée.

- En revanche, la « Prime de résultat d’exploitation » est augmentée de 50 % et certaines indemnités mensuelles sont légèrement revalorisées

- Promesse d’accélérer les promotions.

- Création de nouveaux grades à la Distribution et aux Lignes offrant un débouché pour les anciens grades (ex: Agent d’Exploitation du Service des Lignes, Agent d’Exploitation de la Distribution) et réforme de certains autres grades, comme celui des Techniciens des Installation des Télécommunications.

- Sur l’augmentation des effectifs : aucune création d’emploi supplémentaire.

- En revanche, 6000 auxiliaires seront titularisés au lieu de 800.

- La retraite à 55 ans est acquise pour certaines catégories de personnel (ex: Les personnels du Service Général ayant travaillé 15 années dans un service de nuit)  .

En conclusion, maigres résultats positifs en regard de l’ampleur et de la durée du mouvement national. Par contre, le principal acquis (aujourd’hui remis en cause) est le maintien du statut de la fonction publique. Ce qui n’est pas rien.

« Il s’en suivra pour les postiers du Havre une très grande amélioration de leurs conditions de travail qui passent d’un système de 6h à 8h 30 puis 16h à 20h 30 au tri (et 14h 30 à 19h 30 au guichet) à un système de brigade qui condense le temps de travail en une seule phase par jour, améliorant considérablement les conditions de vie »

Ce qu’il en résultera :

- La naissance de la Poste dite « sauvage » ; pour la première fois sont mis en place en grand des réseaux parallèles d’acheminement du courrier, avec l’aide des chambres de commerce  qui deviendront la règle lors des futures grèves

Le démantèlement des grands centres de tri est décidé à la suite de ce mouvement. Ils seront fermés et remplacés par des petites unités dans l’optique de neutraliser les grands foyers de revendications

Mais l’unité des postiers dans ce mouvement permettra d’autres luttes couronnées, elles, d’autres succès. (sur cette grande grève de 1974 la fédération CGT de la Poste vient d’écrire un livre plus complet. "

***

Grève locale en 1988

Gilbert LEDORNER, ancien secrétaire du syndicat, raconte :

« La grève de 88 ? Elle démarre de façon inattendue, sans préparation particulière, à l’issue d’une assemblée générale chez les facteurs le jeudi 3 novembre avant l’aube.

J’ai été appelé chez moi vers 6 h 30 par un militant CGT qui m’a dit : « Descends tout de suite, tout le monde est dans la cour ». Arrivé au bureau de Poste principal du Havre, j’ai effectivement constaté qu’il y avait du monde dans la cour, sans pouvoir évaluer le nombre avec précision, mais manifestement tout le monde n’y était pas !!

Vite installé en première ligne par ceux qui avaient allumé la mèche (un militant CGT et un militant CFDT), je me suis vite rendu compte :

Après une matinée agitée, ce n’est qu’en début d’après-midi que j’ai eu connaissance du nombre de grévistes. 62 sur 124 chez les facteurs (juste 50%) et ça sera le meilleur jour du conflit, environ 70% au « service général » (brigade matin) et un peu moins de 50% pour celle d’après-midi.

La CGT n’a pas réussi à créer les conditions pour renforcer le rapport de force.

Malgré ses propositions, il n’a pas été possible :

Des exactions, décidées très minoritairement, combattues par la CGT, ont été commises : pneus crevés, clés de voitures postales subtilisées, grilles du bureau de Poste fermées par des chaînes cadenassées, etc …

Les directions locales et départementales conscientes de la faiblesse du rapport de force (rapidement minoritaire chez les facteurs, à peine majoritaire au service général) ne négociaient rien et menaçaient de sanctions suite aux exactions …

Le mercredi 9 novembre, après une semaine de grève, j’ai assisté à ce qui, à ce jour, constitue mon souvenir le plus pénible de militant syndical. Les facteurs non grévistes, mais majoritaires empêchés de rentrer dans le bureau, à deux doigts d’en venir aux mains avec les grévistes dans la rue près de l’entrée de la cour du Havre Principal.

La tension était extrême, les insultes fusaient.

A ce moment, j’ai, seul, pris la décision d’aller au local CGT et d’appeler le directeur départemental en lui disant : « Si vous vous engagez à nous recevoir aujourd’hui, je m’engage à faire ouvrir les grilles ».

C’était un véritable coup de poker, car je n’étais aucunement sûr de pouvoir tenir mon engagement, mais au point où on en était …

Le directeur s’engage et aussitôt j’ai pu annoncer : « Le directeur vient de m’appeler, s’engageant à entamer des négociations cet après-midi à condition que l’on ouvre les grilles ».

Cela contribua à apaiser les esprits, les grévistes entraînés dans une impasse voyant là une porte de sortie, les non grévistes pouvant aller au travail en évitant une bagarre qui aurait  eu forcement de très lourdes répercussions pour les mois et années à venir.

Les négociations, de 15 h 30 à 22 h à Rouen, ne donnèrent que ce qu’elles pouvaient dans ces conditions :

La CGT, syndicat majoritaire, entraînée dans un conflit non préparé, loin d’être mûr, paya la note avec plusieurs démissions.

Mais l’histoire ne se répète pas … »

***

En 1993 nouvelle grève, massive cette fois (du 2 février au 2 mars)

Gilbert LEDORNER poursuit.

« Ce conflit  a été :

L’une des origines de ce conflit est liée à l’arrivée, en août 1992, d’un chef d’Établissement « de combat » , ayant la réputation de « casser la CGT » là où il passait.

Dès son arrivée, il s’est fait remarquer comme lors d’une assemblée générale chez les facteurs, début septembre, où il a pris part aux débats en menaçant tout le monde de sanction et en insultant les salariés…

L’autre mèche, qui alluma ce conflit fut le « contrat de gestion 1993 » du bureau, présenté quelques jours plus tôt aux organisations syndicales, prévoyant entre autres des suppressions d’emplois.

La CGT l’analysa à fond et informa rapidement les salariés, dans un tract portant sur les conséquences immédiates, à court et moyen termes, sur les aspects collectifs et individuels.

Prise  de parole à l'entrée de la cour pendant la grève

Dans une situation revendicative propice, le centre de tri de Rouen étant en grève depuis une semaine, ce tract déclencha aussitôt des débats dans l’ensemble des services du Havre- Principal aboutissant sur le dépôt d’un préavis de grève (CGT-SUD-FO) pour le 2 février, suivi massivement par plus de 90 % de grévistes.

Cela permettait d’envisager la poursuite du mouvement, reconduit massivement le lendemain.

Dès lors, et pendant quatre jours, un véritable débat de fond se poursuivit autour de nos arguments et portant sur le contenu revendicatif de la lutte.

Si le préavis comportait 5 revendications « générales » (emploi, salaires, conditions de travail, service public, respect des salariés) SUD et FO voulaient s’en tenir à ces cinq revendications « unitaires ».

La CGT portait, elle, l’idée qu’il fallait :

Ayant tiré les leçons de l’échec de 1988, la CGT a été ferme, et convaincante afin de faire adopter ces propositions, ce qui empêcha tout risque de dérive dans la conduite de la lutte. Aussi par exemple, il n’y eut jamais une seule rencontre des responsables CGT-SUD-FO pendant le conflit hors des assemblées générales.

Par contre, nombreuses furent les réunions de syndiqués CGT, ce qui permit à plusieurs de nos propositions d’être adoptées en assemblée générale, car portées collectivement.

Le 6ème jour de grève, la journée entière fut consacrée pour que chacun des 16 services existants, des plus petits (secrétariat, femmes de ménage) aux plus gros (facteurs, guichets, tri-départ, cedex et colis) établisse son cahier revendicatif détaillé et donc soutenu par les intéressés eux-mêmes.

De cette manière on est vite passé des 5 revendications initiales à … 114 revendications … qui  toutes ont été négociées … et la plupart satisfaites !

Entassement de sacs postaux dans les locaux du Havre Principal

Si cela n’avait pas eu lieu, les 8 non fonctionnaires grévistes (5 CDI et 3 CDD) dont les revendications spécifiques ne se retrouvaient pas dans les 5 initiales, auraient vraisemblablement vite abandonné, alors qu’à la fin du conflit leur plate-forme revendicative avec nous tous était couronnée de succès avec entre autre un CDI à temps complet pour tous 4.

Cette conduite démocratique, avec des assemblées générales sereines et souveraines, organisées dans d’excellentes conditions à Franklin, où chacun des grévistes a compté tout au long du conflit pour un, a été « acteur et décideur », a constitué l’élément décisif de la victoire.

Sans cela, jamais nous n’aurions tenu 28 jours, jamais nous n’aurions gagné, jamais nous n’aurions obtenu un tel soutien moral, financier et revendicatif de milliers de salariés, de la population havraise.

Mais au delà du Havre-Principal, le rôle de la CGT a été important, l’essentiel des collectes interprofessionnelles ayant été faites à l’initiative des syndicats CGT (Dockers, Dresser, Cheminots, EDF, Territoriaux, …) et de nombreux services de la Poste hors du Havre sous l’impulsion de la CGT ont apporté leur aide en interpellant la direction à partir de leurs propres revendications : le centre de tri bien sûr, concluant victorieusement son conflit le 9 février, St Etienne du Rouvray, Neufchâtel en Bray, Rouen RP…

Le soutien de la municipalité de gauche fût également total accordant par exemple la gratuité des cantines scolaires aux enfants de grévistes.

Manifestation des postiers dans les rues du Havre

Malgré tout cela, le conflit eut des moments très difficiles. Ainsi la Direction de la Poste, peu regardante sur les moyens dépensés pour tenter de casser le moral des grévistes : acheminements par car de Rouen, chaque jour de jeunes distribuant (avec beaucoup d’erreurs, on s’en rendra compte après le conflit !) du courrier au Havre. C’était plus symbolique qu’efficace mais ça déstabilisait les grévistes les plus fragiles.

Même si autour du 20ème jour, la Poste demeurant inflexible, quelques grévistes avaient repris le travail, il y avait une telle volonté collective de l’emporter que cela donnait beaucoup de force à ceux qui avaient le plus de responsabilités dans le conflit.

Ainsi, je me rappelle, comme si c’était hier, de ce mercredi soir, 23ème jour de grève où une énième négociation à la direction n’ayant rien donné, beaucoup craignaient que les plus fragiles perdent le moral et accentuent le mouvement de reprise.

La Direction tablait sur ce scénario.

A la sortie de cette négociation, les militants CGT y ayant participé sont allés au siège du syndicat départemental, rencontrer les responsables régionaux et départementaux (Gilles Legac et Marceau Burette) très impliqués aussi dans le conflit, mais avec plus de recul que nous. L’objectif étant de réfléchir aux initiatives et propositions à envisager. Un contact téléphonique direct avec Maryse Dumas, secrétaire générale de la fédération, eut lieu pendant cette réunion.

La seule faiblesse du mouvement, à ce moment là, étant son effritement lent, à eux trois, ils ont réussi à nous donner les bons arguments et la « pêche » nécessaire pour cette nuit là, essayer de contacter tous ceux qui avaient repris le travail.

A sept ou huit militants CGT, à partir de 21 h 30, on s’est réparti les collègues à contacter et à convaincre, et …le résultat dépassa toutes nos espérances.

A la prise de service matinale du jeudi, la tête du chef d’établissement et de ses adjoints, venus là pour comptabiliser ceux qui rentraient, se décomposait au fil des minutes.

Il y avait 40 grévistes de plus que la veille. C’était un KO magistral que l’on venait d’infliger à la direction de la Poste !

Comptage de l'argent de la solidarité versé par les salariés de nombreuses entreprises et particulièrement des dockers, mais aussi des habitants du Havre

Le vendredi, trois jours avant la négociation finale, j’ai su que le combat était gagné. Le matin, pendant l’assemblée générale, le sous-préfet du Havre a appelé l’Union Locale CGT, demandant à parler à un militant CGT choisi par lui, mais non mandaté par la CGT pour s’exprimer en son nom.

Le secrétaire général de l’UL m’a informé de la manœuvre du représentant de l’État, et je suis allé personnellement lui répondre.

Après lui avoir fait savoir que c’était à la CGT et elle seule de désigner ses représentants et qu’en l’occurrence j’en étais un, il m’a posé cette question

 

« Que voulez-vous pour que vous arrêtiez la grève, qu’on vous paie les jours de grève ? »

Je lui ai répondu :

« Si nous sommes en grève depuis 25 jours, c’est parce qu’il y a un contentieux revendicatif important. C’est d’abord cela qu’il faut régler. Ensuite, la direction ayant choisi de faire durer le conflit, le travail ne reprendra qu’après que le paiement des jours de grève ait été négocié ».

En 30 secondes, j’ai su que c’était gagné. L’annonce en cours d’après-midi que le directeur de la délégation nord-ouest de la Poste (Nord/Pas de Calais, Picardie, Haute-Normandie) venait le lendemain, samedi, rencontrer les grévistes au Havre, alors que jusqu’ici il opposait une fin de non recevoir à nos sollicitations … était la suite logique de la conversation du matin avec le sous-préfet.

La négociation finale, le lundi 2 mars, fut une des plus aisées auxquelles j’ai eu à participer (rapport de force oblige). Le directeur départemental, si arrogant, voire haineux jusque là, la mine défaite, avait manifestement reçu des ordres qu’il appliquait, mais ne partageait pas. Il céda sur tout ce qu’il avait présenté comme « non négociable, impossible à satisfaire, déraisonnable … ».

Sa seule demande était que les organisations syndicales ne versent pas dans une communication trop triomphaliste !

Que ce soit au niveau départemental ce jour là ou localement les jours suivants, les 114 revendications ont été négociées et près de 90 totalement satisfaites dont celle, mémorable, d’une réduction du temps de travail à 37 h au lieu de 39 h ce qui permit de maintenir 11 emplois qui étaient menacés par le fameux « contrat de gestion » de la direction.

Entassement de paquets derrière les guichets

Certaines autres en partie : sur les 28 jours de grève, 20 ont été payés, le reste étant « largement » compensé par les heures supplémentaires accordées pour résorber l’impressionnant retard de trafic accumulé en 28 jours.

A la fin du conflit, nombreux ont été les usagers à nous féliciter. Plusieurs facteurs se voyant gratifier d’étrennes parfois substantielles … deux mois après la période des « calendriers » !!!

Dans la foulée de ce conflit, de multiples autres avancées ont été obtenues (on n’entendit plus parler du contrat de gestion 93), la mobilisation du personnel (AG, pétitions, délégations de masse …) ne s’étant pas démentie pendant plusieurs mois.

Exemples : les « saisonniers » de l’été 1993 payés une heure par jour de plus qu’en 1992, ce pour le même travail ; comblement de 16 emplois devenus vacants en cours d’année.

La CGT, quant à elle, en sortit considérablement renforcée avec 39 adhésions (contre 9 pour toute l’année 1992 !). Le courant de sympathie était tel parmi le personnel que la CGT était encore plus le syndicat incontournable du Havre Principal.

S’il y a un enseignement majeur à retenir d’une telle lutte, c’est celui-ci :

Tout est possible dès lors que les salariés prennent conscience de la force qu’ils représentent et lorsqu’ils sont déterminés et unis sur leurs revendications. Et à conditions, c’est très important, de s’appuyer sur la DÉMOCRATIE, comme moteur de l’action, en permettant à chacun d’être à la fois « décideur » et « acteur » pour tout ce qui le concerne, sa lutte et ses revendications.

Cela peut paraître simple et évident.

Or, s’il est facile de se décréter « démocrate », ça n’est pas si simple à mettre en œuvre concrètement. Il est tellement plus facile de décider à la place des autres !!

Dans ce conflit de février 1993, il a fallu à la CGT, être très ferme et persuasive là dessus afin d’éviter les dérives qui avaient mené à l’échec de 1988."

L'immeuble à la veille de sa vente

De 1995 à 2005

En 1995 Le personnel de la Poste participe massivement au grand mouvement social contre le « Plan Juppé » de démantèlement de la sécurité sociale et contre la mise ne place d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires. Ce seront 21 jours de grève marqués, notamment, par la revendication de la suppression des contrats de travail précaires en vigueur à la Poste. Parce que les postiers havrais avaient déposé un cahier de revendications, ils réussirent à négocier de n’avoir que 8 journées de retenues seulement.

En 1999 Lutte encore du 14 au 19 février pour la fermeture du Centre de tri supplétif que la direction a créé à Gonfreville l’Orcher pour briser la résistance des postiers qui ne veulent pas des conséquences de la suppression du tri de nuit.

Tout au long de ces années ont eu lieu nombre d’autres luttes, actions, expressions publiques, démarches, etc. pour la défense de l’emploi, du statut, du service public, des salaires, des conditions de travail pour une évolution de la Poste qui soit un progrès pour le public et pour le personnel.

Et contre la séparation de la Poste et des « Télécoms », contre le démantèlement de la Poste et son orientation vers la finance, contre le passage d’activités au privé, à la sous-traitance, contre la précarité. Avec toujours la CGT active mais dans une situation difficile de division syndicale, d’individualisme, et qui obtient des acquis comme des requalifications de contrats CDD et CDI.

Et maintenant aussi contre les conséquences de la nouvelle restructuration de la Poste du Havre qui fait vendre l’immeuble et déménager les services au détriment du personnel et du public …

Mais déjà le flambeau est repris par les nouvelles générations. Ainsi le succès le 12 septembre 2003, au tribunal de prud’hommes du Havre, de 37 salariés précaires. A l’initiative de leur section CGT, ils verront leur contrat de CDII requalifié en contrat CDI à temps complet, avec versement de rappels de salaires allant jusqu’à 54 000€. Cela a permis de régler à la CGT de négocier 200 autres dossiers en Seine-maritime et à contribuer à la signature en 2005 d’un accord national (les accords de Vaugirard) visant à la disparition de ce type de contrats.

Décidément, comme dit plus haut, l’histoire ne s’arrête jamais et la lutte continue …

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 Ont constribué à ce dossier, réuni les documents, et écrit le texte: François Auvray, Pierre Bisch, Jacky Bouchereau, Gilbert Ledorner, Jean-François Neveu, Christiane Savignard, et plusieurs autres...

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