Ecrire au fil rouge

Numéro 27

Les événements de février 1934 en Seine-Maritime.

Par Gilles Pichavant

Les événements de 1934 sont l’élément déclencheur d’un processus qui allait conduire à la réunification de la CGT et à la création du Front populaire. Si l’on connaît assez bien le déroulement de événement au plan national, il est évident qu’on les connaît moins au plan local.

Les événements ont-ils été essentiellement parisiens, comme l’historiographie semble nous le laisser croire ? Ou ont-il connu des développements locaux ? Que s’est-il donc passé en Seine-Maritime ? Comment les événements ont-ils été vécus ? Quelle implication des salariés et de leurs syndicats dans la riposte au fascisme ? Quelles conséquences ? Voilà une série de questions auxquelles nous nous sommes attaché à répondre dans cette étude.

Le contexte de l’époque

Les élections de 1932 conduisent à l’assemblée nationale une majorité dite du « néo-cartel » (cartel des gauches), composée des radicaux et des socialistes. Le nouveau gouvernement suscite de grandes espérances, mais il déçoit rapidement. Son programme élude les problèmes de la grave crise qui touche tous les pays capitalistes (crise dite de crise 29). Cette crise qui intervient plus tardivement en France, à partir de 1930, durera aussi plus longtemps.

Pour y faire face la principale orientation budgétaire que le gouvernement prépare à l’automne 1933 est une réduction du salaire des fonctionnaires sous la forme d’un prélèvement de 6% qui cristallise les oppositions au sein même de la majorité gouvernementale. S’ajoutent à ce projet, la limitation du recrutement des fonctionnaires, le retard à l’avancement des fonctionnaires, la retenue sur les pensions civiles de 6 à 10% et de 4% sur les pensions d’ancienneté. Ces projets provoquent des réactions syndicales vives chez les organisations de fonctionnaires et en particulier le Cartel confédéré des services publics (CGT) et au sein de la SFIO. Les crises ministérielles se succèdent. Quatre ministères sont formés successivement en quatre mois qui précèdent la crise finale : le ministère Sarrault dure 30 jours, le ministère Chautemps 66 jours et le ministère Daladier, selon les termes de la presse de droite, glisse « dans la boue et dans le sang après seulement 10 jours d’existence ». Au cours de la période de Noël éclate en effet un scandale financier, l’affaire Stavisky. Celui-ci, très proche des radicaux et escroc de haut vol, est découvert mort dans son chalet de Chamonix. Des milliers de petits porteurs qui ont acheté des bons du Crédit Municipal de Bayonne, se retrouvent spoliés. On accuse Chautemps de l’avoir fait assassiner pour éviter des révélations inopportunes.

Dans le même temps, la CGT-U est particulièrement virulente contre la politique du gouvernement, en témoigne ce tract (1) distribué le 15 janvier 1934 sur les quais de Rouen :

« Pendant que le Gouvernement Stavisky favorise les grands escrocs dont certains ministres sont les complices, l’on refuse les secours nécessaires aux chômeurs.

CHÔMEURS :

Pour le paiement de nos journées de travail au tarif syndical,

Pour le secours de chômage les 7 jours d’allocation

Pour l’assurance chômage

Pour l’amélioration de nos conditions de vie

Tous à la RĖUNION qui aura lieu 10 rue de Fontenelle à Rouen

Le Lundi 15 janvier 1934 à 16 h 45

Présence du camarade RIVIĒRE de l’Union Régionale »

La crise qui a commencé à la suite du crack de 1929 aux États-Unis, et qui s’est abattue sur la France au début des années 30, continue à faire des ravages, à multiplier le nombre de chômeurs et à servir de prétexte au patronat pour diminuer les salaires.

La droite classique s’attaque vigoureusement aux timides ministres radicaux ou républicains socialistes soutenus par les députés de la gauche modérée. Elle ne tarde pas à mettre en cause les institutions républicaines elles-mêmes.

Dans cette atmosphère, les ligues d’extrême droite factieuses prennent de l’importance. L’appui du patronat leur est largement acquis. La présence de leurs alliés dans les assemblées et l’appareil d’État semble garantir leur succès. La conjoncture internationale – après l’arrivée de Hitler au pouvoir – est une source d’encouragement pour les chercheurs d’aventure. Le moment parait propice pour tenter un coup de force qui permettrait la mise en place d’un pouvoir fort, imité de l’Italie et de l’Allemagne, capable de juguler les forces ouvrières et démocratiques.

Les forces de l’extrême droite sont importantes dans le département. En mars, le préfet  estime ainsi ses effectifs : Camelots du roi, et Dames royalistes 5600 (200 à Rouen, 200 au Havre, 100 à Dieppe) Jeunesses patriotes 350 (170 à Rouen, 120 au Havre, 60 à Dieppe), Solidarité française 40 à Rouen. Le principal mouvement est celui des Croix de feu qui compte 4500 adhérent au Havre, 300 à Rouen, et qui est bien implanté à Elbeuf et à Dieppe où ils disposent de bihebdomadaires (La Vigie, Le Journal d’Elbeuf). D’une manière générale, une grande partie de la presse locale lui est acquise, comme le Havre-Eclair, et le Journal de Bolbec

Pourtant le 3 février, à l’appel de la section havraise du Comité Amsterdam-Pleyel, dite « Ligue contre le fascisme et la Guerre », une manifestation contre le fascisme réunit 2000 personnes place Thiers. Les manifestants sont dispersés par la police qui tire en l’air. Le 23 janvier précédent, des antifascistes avaient déjà tenté d’apporter la contradiction dans un meeting organisé par la section havraise du Parti Socialiste National, mouvement d’extrême droite. Ils avaient été reçus à coups de revolver et l’un d’eux, blessé, avait été emmené à l’hôpital.

Les événements du 6 février 1934

Ce jour là se déroule à Paris la tentative de putsch fasciste. Le soir, plusieurs manifestations simultanées convoquées par des mouvements d’extrême droite (les Croix de Feu, les Camelots du roi, les Jeunesses patriotes, la Solidarité française, etc.), place de la Concorde et au Quartier Latin, tournent à l’émeute. Les manifestants marchent sur la Chambre des Députés et se heurtent aux  barrages de police. Aux cris de « A bas les voleurs » et de « démission », elle s’acharne à briser les barrages qui la séparent de l’assemblée. Son flot devient d’heure en heure plus imposant ; la manifestation tourne bientôt à la rixe sanglante. Tout devient projectile. Les autobus brûlent. Mais le coup de force échoue. Au matin du 7 février, Paris relève, stupéfait, 15 morts et 1435 blessés dont 57 par balles. C’est la plus grande expression de violence qu’ait connu Paris depuis la Commune.

Au Havre, des groupes de Croix de feu et d’anciens combattants se réunissent place Gambetta autour du monument aux morts et tentent ensuite de se diriger vers l’hôtel de ville, mais ils sont arrêtés par la police. Pendant ce temps, deux cent syndicalistes se sont installés à Franklin, pour prévenir toute tentative contre la maison des syndicats.

A Rouen une centaine de militants de la CGT-U et communistes tentent de se réunir vers 16 h 30 à la Bourse du Travail, avec le même objectif qu’au Havre : protéger les locaux d’une éventuelle agression de l’extrême droite. Les portes étant fermées, Jean Rivière, le secrétaire de la 19e Union Régionale Unitaire engage les assistants à tenir la réunion sur la voie publique devant la Bourse. La police intervient alors pour la faire disperser. Rivière est appréhendé et conduit au Commissariat central. (Archives Départementales de la Seine Maririme : 6 février 1934 - Rapports du Préfet au Ministre de l’Intérieur).

A Dieppe les Croix de Feu manifestent au nombre d'une trentaine le 7 février.

Malgré les hésitations de la CGT, la riposte s’organise. A Paris, le 7 février, cinq syndicats de la CGTU votent le principe de la grève générale antifasciste. La Commission Administrative de la CGT est réunie et, sous la pression de nombre de ses militants, décide la grève générale pour le 12 février.

De leur côté, le Parti Communiste et la CGTU appellent à manifester dès le 9 février. À Paris la manifestation a lieu de la place de la République à la Gare de l’Est. Cinquante mille personnes y participent. La police intervient brutalement mais ne peut empêcher les manifestants de tenir la rue jusque tard dans la nuit. Six d’entre eux paieront de leur vie ce courage. Cette manifestation décuple les énergies et prépare la grève générale du 12 février pour laquelle la CGTU lance un appel parallèle. Le Parti Communiste et le Parti Socialiste décident d’appuyer ce mouvement. Dans toute la France, le 12 février sera puissant. Près de cinq millions de travailleurs cessent le travail. En Seine Inférieure le mouvement touche toutes les grandes agglomérations et toutes les corporations.

Dès le 9 février au Havre et à Sotteville

En général les livres d’histoire scolaires n’évoquent que la riposte parisienne pour la CGT-U et le Parti communiste. Pourtant en province aussi on se mobilise et on manifeste. C’est le cas en Seine Inférieure, comme on peut en trouver les traces aux Archives départementales.

Les événements du 6 février ont profondément ému et choqué les travailleurs et la population ouvrière qui sont attachés à la République et à ses valeurs démocratiques, même s’ils sont nombreux à rêver d’une république socialiste, à l’image de l’idée qu’ils se font du socialisme de la jeune URSS.

Au Havre, à sept heures du soir, un meeting, rassemblant plusieurs milliers d’ouvriers venus directement à la sortie du travail, se tient place Thiers. René Cance et Roger Haugel appellent les travailleurs à la riposte antifasciste, parlent de la manifestation qui a eu lieu dans la journée à Paris.

Au même moment à Sotteville-lès-Rouen, les manifestants se rassemblent place Voltaire pour protester contre le coup de force qui a eu lieu quatre jours auparavant. Ils sont bientôt près d’un millier venu des ateliers des chemins de fer proches, des usines alentour et des communes environnantes. Bientôt un cortège se forme qui prend la direction de la place de la Mairie, où il arrive vers 19 heures. L’ambiance est électrique. Un ouvrier tente d’accrocher un drapeau rouge à la façade de la mairie. Une vitre de la marquise se brise. Un groupe s’en prend à la voiture du maire, qui est malmenée, mais des militants interviennent pour les calmer.

Jean Rivière, prend la parole devant une foule attentive qui emplit toute la place. Il attaque le gouvernement Doumergue et sa faiblesse face aux factieux qu’il accuse d’être à l’intérieur même de l’appareil d’État et de la police. Il stigmatise l’attitude du préfet de police de Paris, Chiappe. Il appelle à l’unité d’action face à la montée du fascisme et invite les ouvriers à rejoindre leurs organisations de classe, la CGTU et le Parti Communiste. La manifestation se disperse sans autre incident.

La préparation de la journée du 12 février

Le vendredi 9 février, de nombreux tracts sont distribués à l’entrée des entreprises et Services publics pour appeler les ouvriers et les fonctionnaires à participer au mouvement du 12 février. Des affiches sont placardées un peu partout dans la ville.

Le tract de l’Union locale des syndicats confédérés du Havre et de sa région -CGT (1) est simple et clair :

« La commission exécutive de la Confédération Générale du Travail a décidé que contre les menaces du fascisme et pour la défense des libertés publiques une GREVE GENERALE limitée à 24 heures qui devra être effective le lundi 12  février. Nous demandons à nos adhérents d’observer l’ordre de grève qui nous est transmis par la CGT. Faites le geste nécessaire en face du péril imminent qui nous guette. »

Et en post-scriptum : «  Nous prions les parents de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ».

Le comité Havrais de Lutte contre la Guerre et le Fascisme, organisation initiée par les communistes, distribue des tracts partout en ville ce tract :

Tract Havrais du Comité Amsterdam-Pleyel- ADSM

Remarquons sa lucidité sur la situation en Allemagne et la politique hitlérienne. Il apporte la preuve que sa brutalité envers les organisations politiques et syndicales de gauche (« Le fascisme a transformé l’Allemagne en une flaque de sang ») était parfaitement connue en ce début 1934,  ainsi que les ravages de l’antisémitisme! Notons aussi que la condamnation du régime hitlérien est le fait de la gauche, la gauche communiste et ses alliés, puisque ce « Comité Havrais de Lutte contre la Guerre et le Fascisme » est l’émanation havraise du Comité Amsterdam Pleyel.

Le vendredi soir les responsables de tous les syndicats du Havre, qu’ils appartiennent à la CGT, à la CGTU ou qu’ils soient Autonomes, se réunissent ensemble à Franklin pour organiser la journée du 12 février. C’est une initiative exceptionnelle et rare, qui montre bien l’inquiétude générale qui permet de dépasser les divisions. La participation nombreuse montre bien l’émotion que le 6 février a provoqué dans le pays. Plus de 150 personnes sont réunies dans la salle de Franklin. Commencée à 21 heures, la réunion se terminera à 22 heures 30.

Les responsables des trois Unions locales prennent la parole successivement. Le Gall, secrétaire de l’Union des syndicats autonomes prend le premier la parole et fait un exposé de la situation économique et politique, en dénonçant le fascisme. Fernand Legagneux, secrétaire de l’Union locale Unitaire (CGT-U) insiste longuement sur la nécessité de réaliser l’unité syndicale afin de défendre les intérêts de la classe ouvrière et pour faire face au danger fasciste. Bernard, de l’Union locale confédérée (CGT), soutient lui aussi l’idée que la gravité de la crise économique crée une obligation aux dirigeants syndicaux de tenter un rapprochement entre les tendances syndicales afin de trouver une solution rapide et favorable aux intérêts de la classe laborieuse. Si la réunion se prononce pour engager l’action commune contre le fascisme, Le Gall repousse l’idée de l’unité, au nom des autonomes, parce que plusieurs de ses militants refuseraient de s’associer à la CGT-U. Si les événements du 6 févriers ont commencé à bousculer les choses, on voit bien que l’on est encore loin de la réunification de la CGT, qui sera l’aboutissement d’un long processus. 

Dans le week-end, de nombreux syndicats réunissent leurs adhérents; 150 instituteurs le vendredi soir, 200 chômeurs le samedi après midi, de nouveau les instituteurs le dimanche matin, etc. Il en est de même à Rouen, à Dieppe et à Elbeuf, où la mobilisation syndicale se construit souvent dans l’unité. Et même si CGT et CGTU n’en sont pas encore à organiser conjointement des rassemblements unitaires, la CGTU appelle les travailleurs à participer aux rassemblements, meetings et manifestations organisées par la CGT. De même, enfin, les organisations de la CGT décident d’accepter la présence des militants de la CGTU et de les autoriser à prendre la parole dans leurs meetings.

D’abord une campagne de réunions publiques

Dans les grandes localités du département, des meetings sont organisés par le parti radical et le parti radical-socialiste, le parti socialiste SFIO, le parti socialiste de France, ainsi que les organisations de la CGT. Le Parti communiste et la CGT-U ne sont pas associés à l’organisation de ces meetings, une partie des organisateurs considérant les communistes comme des antirépublicains et refusant tout contact avec eux.

Le communiqué des radicaux que l’on trouve dans le Dépêche de Rouen, est on ne peu plus clair à ce sujet. Placé au dessus des communiqués de tous les groupements, syndicats et partis politiques appelant au meeting, il se termine ainsi : « (…) « POUR LA REPUBLIQUE, CONTRE LES ENTREPRISE FACTIEUSE FASCISTES ET COMMUNISTES ».

Communiqué des Partis Radical et Radical Socialiste dans la dépêche de Rouen, le 11 février 1934 - ADSM

Cela n’empêche pas les communistes et les militants de la CGT-U de s’inviter à ces réunions, et d’y appeler largement leurs sympathisants, la population et tous les salariés.

A Rouen, le meeting a lieu le dimanche 11 février à 9 h 45 place du Boulingrin. La participation populaire est massive. La place est noire de monde. Les communistes et les unitaires sont bien présents, nombreux et dynamiques. Alors que les organisateurs souhaitaient qu’il n’y ait « ni chant, ni manifestation ou cris séditieux », « l’Internationale » et « la Jeune garde » sont repris par la foule, ainsi que des slogans contre le gouvernement, pour le « front unique » et pour la dissolution des ligues factieuses. Pas plus qu’il n’ont réussi à obtenir qu’il n’y ait ni  chants ni slogans, les organisateurs initiaux ne pourront pas non plus empêcher que les communistes et les unitaires y prennent la parole.

A Elbeuf, le meeting réunissant 500 personnes se tient place de l’Hôtel de Ville et se poursuit dans la salle des fêtes de la mairie, avec les radicaux-Socialistes, la SFIO, la CGT, la CGT-U, le Comité des chômeurs,  le Comité de lutte contre la guerre, les Combattants de la Paix, la Ligue des Droits de l’Homme.

La forte mobilisation dans ces meetings contribue à la mobilisation pour le 12 février. Notons cependant qu’à Dieppe, le meeting n’a lieu que le 12 février au soir. Voir ci-après. 

Le dispositif policier

Dès le lendemain des événements de Paris, la préfecture et les sous-préfectures sont en état d’alerte. Pressés par les services de l’État, les services du Président du Conseil, et le Ministère de l’Intérieur, le préfet demande rapports sur rapports aux services de police et de gendarmerie. Il est en mesure de communiquer le dimanche 11 février un rapport circonstancié sur la situation en Seine Inférieure, dont le contenu décrit assez précisément ce qui se passera effectivement dans la journée suivante.

Il s’attend à une forte participation à la grève dans les services publics et, plus particulièrement, chez les facteurs et les ouvriers des lignes des PTT, chez les instituteurs, ainsi que dans les Contributions indirectes. Il s’attend aussi à ce que la presse ne paraisse pas.

Il signale que si des menaces de sanction envers les fonctionnaires avaient été formulées, le mouvement n’aurait pas eu l’ampleur annoncée. Il déplore en particulier le fait que le personnel des PTT ait eu connaissance des consignes de l’administration centrale allant en ce sens, ce qui va contribuer à ce qu’il y ait un fort taux de grévistes.

Au matin du 12 février cependant, un formidable dispositif policier a été mis en place pour surveiller le mouvement et empêcher les piquets de grève.

Au Havre, dès minuit, et à la demande du directeur des services télégraphiques (PTT), les cabines de jonction de Sanvic et de Graville sont gardées. A 5h45, des patrouilles cyclistes et automobiles surveillent l’entrée des usines situées tant à l’intérieur du Havre qu’à sa périphérie, et chez Schneider à Harfleur, de manière à dresser des procès-verbaux pour entrave à la liberté du travail dès qu’un piquet de grève se forme. Ils surveillent aussi le libre passage des autocars allant à Rouen et à Port Jérôme.

Vers sept heures du matin, ils interviennent à l’entrée des Chantiers Augustin Normand pour disperser le piquet de grève. Ils procèdent à l’arrestation de deux militants, Ismaël Toulouzan et Eugène Manautines secrétaire du syndicat unitaire des marins, qui seront plus tard condamnés par le Tribunal correctionnel pour entrave à la liberté du travail. Mais les policiers n’arrivent pas à faire reprendre le travail aux ouvriers qui quittent en masse l’usine pour se rendre à Franklin.

A 9h45, toutes les forces de police et de gendarmerie sont rassemblées et disposées aux endroits stratégiques, prêtes à intervenir si la manifestation dégénérait.

A Rouen, 182 gardiens de la paix, 90 gardes mobiles, 60 gendarmes et 50 inspecteurs de polices sont disposés un peu partout dans la ville. Dès 6 heures du matin, il y a 30 gardiens de la paix et 40 inspecteurs au Pont Transbordeur, 10 gardiens Rive gauche, 15 autres à l’Hôtel de Ville, 60 gardiens et 40 inspecteurs aux abords de la Bourse du Travail. Chacune des quatre gares se voit dotée d’un petit groupe de gardiens de la paix commandés par un gradé. Des petits groupes de policiers ou de gendarmes sont postés aux abords de la Recette principale de Rouen et du dépôt des tramways. Enfin, 30 gendarmes avec camionnettes et 15 gardiens de la paix sont en réserve au commissariat central, des gendarmes sont en réserve à la caserne de gendarmerie, et deux pelotons mobiles de 30 hommes attendent les ordres à la caserne Hatry.

Tract du syndicat autonome des ouvriers du port du Havre - ADSM

Le Havre en pointe.

L’appel à la grève de la CGT et de la CGT-U est largement suivi. Aucun salarié ne s’est présenté à la Manufacture des tabacs. Le personnel de la Poste est massivement en grève. Aucune distribution ni aucune levée du courrier. De nombreuses usines sont fermées. Le sous-préfet chiffrera à 2800 le nombre de grévistes dans la métallurgie sur un effectif total de 9800. Il chiffre ainsi le nombre de grévistes: 100% à la Manufacture des tabacs, 50% chez Augustin Normand, presque 100% chez Breguet et aux Chantiers de la Méditerranée (« petit nombre de rentrée »), 60% chez Bertrand. Sur le port, le travail est nul. Il n’y a ni tramways ni autobus, ni taxis. Les journaux n’ont pas paru. Le service des poubelles n’a pas fonctionné. Vers 9 heures, après une réunion des chômeurs au cercle Franklin, un cortège de près de 10 000 personnes se forme, précédé de drapeaux rouges des syndicats. Il parcourt la ville « en silence, sans heurt et sans incident » dit la presse. « Il était difficile d’évaluer la foule, nous ne pouvons dire qu’une chose, c’est qu’elle dépassait à coup sûr dix mille personne. Peu ou pas de femmes dans ce nombre, pas une centaine, des ouvriers pour la plupart ».

La manifestation est autorisée par la Municipalité du Havre. Le parcours est traditionnel : Cercle Franklin, Cours de la République, Boulevard de Strasbourg, rue de Paris, Chaussée des États Unis, Boulevard Foch. Il passe devant l’Hôtel de Ville, puis par la rue Thiers, et la rue de Normandie, jusqu’à la place des expositions. Un service d’ordre a été mis en place par les syndicats. Le cortège se disloque vers midi Cours de la République sans incidents

A 15h00 plus de 3000 manifestants se rassemblent de nouveau à Franklin. 300 d’entr’eux,  — selon la police — pour l’essentiel des dockers, se déplaçaient pour envahir la gare « de la petite vitesse » à l’appel de la CGT-U et du Parti communiste. Après quelques incidents avec quelques rares non grévistes, l’intervention de la police et du secrétaire du syndicat  autonome, les manifestants quittent les lieux pour revenir à Franklin.

Rouen : deux manifestations.

Le rapport du commissaire central de police de Rouen daté de la veille, prévoit l’ampleur de la mobilisation et la puissance de la journée ; il nous informe sur les méthodes de luttes spécifiques aux diverses professions, qui ne prennent pas forcément la même forme et qui mettent en évidence le niveau de conscience et de responsabilité des salariés:

« Les postiers rejoindront les lieux de travail aux heures habituelles, mais resteront inactif et veilleront à ce que personne ne travaille ; il n’y aura donc vraisemblablement pas de distribution de courrier.

Les services actifs des Douanes commenceront la grève à minuit. Néanmoins, pour éviter que les marchandises non dédouanées ne soient enlevées sans payer les droits, huit hommes resteront de service sur la Rive droite – Rouen – et six sur la rive gauche.

Aux Contributions indirectes, mêmes consignes qu’à la Poste : rendez-vous sur les lieux de travail aux heures habituelles, mais inaction complète et surveillance de ceux qui seraient tentés d’enfreindre les ordres des organisations

L’enseignement, primaire tout au moins, n’assurera pas de classes.

Dans les chemins de fer, arrêt de travail de 15 minutes dans la matinée pour les services sédentaires et de une minute sur voie de garage pour les services roulants.

Les services départementaux et municipaux, les tramways en particulier semblent décidés jusqu’ici à fonctionner comme d’habitude.

Chez les employés et les ouvriers, l’ordre de grève sera beaucoup moins suivi. Jusqu’ici, on ne prévoit de défection qu’à la corporation du Livre  et de l’imprimerie, qui cessera le travail à minuit. Peut-être toutefois, le Journal de Rouen sera-t-il tiré comme d’habitude.

Chez les dockers, défection certaines de partisans de Rivière – CGTU – 100 à 150 ouvriers. Les autres ouvriers du port semblent jusqu’ici devoir travailler normalement.

Deux réunions auront lieu à la Bourse du travail, l’une à 9 heures, organisées par les Unitaires et l’autre à 15 heures 30 par les confédérés ».

Effectivement la grève est forte, mais beaucoup moins qu’au Havre. Dans le rapport du préfet, on peut lire les élément suivants: à la Poste, seuls 15 facteurs travaillent à Rouen (soit moins de 10%); 40% du personnel des guichets est en grève; aucun agent des lignes ne travaille ainsi que 70% du personnel des services télégraphiques; Le téléphone avec Paris n’est assuré que pour les services officiels — à l’époque, l’interurbain est manuel; il est assuré par des opératrices —; La grève est quasi unanime aux douanes « actives »; 43% de grévistes chez les instituteurs des écoles de garçon, mais seulement 16% dans les écoles de filles, soit notablement moins que le mouvement de 1933; 1/3 du personnel des contributions était en grève; par contre les services municipaux ainsi que le gaz et l’électricité ont fonctionné normalement. Chez les cheminots, le personnel des gares a observé le mouvement comme il était prévu, mais il n’y a pas eu de grève aux ateliers de Sotteville (réparation de locomotives). Chez les dockers, 650 ont travaillés sur les 1500 embauchés habituellement.

Tract de l'Union Locale Unitaire (CGT-U), appelant au premier rassemblement de Rouen, le 12 février 1934 - ADSM

Vers 9 heures, le nombre des manifestants à la Bourse du travail, située rue de la Basse Vieille Tour, croît progressivement. Les corporations arrivent par groupes compacts, venant de leur lieu de rassemblement initial. Il y a bientôt plus de 1000 personnes au meeting selon la police.

Plusieurs orateurs prennent la parole sous la présidence de trois militants – C’était la tradition que les meeting soient présidés par un président et deux assesseurs –.

Intervenant le premier, Jean Rivière secrétaire de la 19e Union régionale CGT-U attaque le gouvernement Doumergue et invite les ouvriers à ouvrir les yeux et à rejoindre leurs organisations de classe.

Ensuite, Henri Courtade Membre de la Commission Exécutive de la CGT-U réclame une minute de silence en mémoire des militants communistes morts dans la contre manifestation organisée par le Parti Communiste à Paris, le 9 février. Il fait ensuite le procès du gouvernement et déclare que si le peuple ne réagit pas, le fascisme risque d’arriver en France comme cela a été le cas en Allemagne. Il appelle les travailleurs à se grouper « au sein du Parti Communiste », à former des comités d’action  dans chaque entreprise et à lutter contre toute diminution de salaire, contre toute diminution de main d’oeuvre et contre l’augmentation des cadences.

Victor Engler, secrétaire de l’Union Locale CGTU se félicite de l’arrêt de travail sur le port de Rouen, résultat obtenu grâce à l’action commune du Parti communiste, du comité d’action et du syndicat des ouvriers du port. Annonçant qu’il était présent à Paris le 9 février, il témoigne de la violence des affrontements, en particulier entre les contre-manifestants du Parti Communiste et de la CGTU et les forces de l’ordre.

A la suite du meeting, un cortège de 500 personnes —selon la police — se forme avec en tête les responsables de la CGTU. Au chant de l’Internationale il s’engage dans la rue de la République. Une halte a lieu devant le Journal de Rouen, place de l’Hôtel de Ville. Victor Engler monté sur un banc dénonce l’attitude du journal qui déforme systématiquement la réalité du mouvement social.

La manifestation se poursuit par la rue Thiers, les rues Beauvoisine, des Carmes, du Gros Horloge,  Grand Pont et se termine sur le terre-plein de la Bourse. Tout au long de la manifestation, les manifestants chantent l’Internationale, La Jeune Garde, la Carmagnole, et par intervalles scandent  « Chiappe en prison », « A bas le fascisme ! », « dissolution des ligues fascistes », et par moment chantent « Métayer si tu continues, de tes élections, il n’restera guère, Métayer si tu continues, de tes élections, il n’restera plus ».

A la fin de la manifestation, montant sur les marches du bureau de poste, Henri Courtade se félicite du succès de l’initiative et invite tout le monde à venir assister au meeting des confédérés, à 15 heures, à la Bourse du Travail. Il espère que la démonstration d’aujourd’hui donnera à réfléchir aux fascistes. Victor Engler donne, quant à lui, rendez-vous à tous à 13 heures pour s’opposer au chargement quai Émile Duchemin d’un vapeur chargé de munitions. Comme un employé du bureau de poste en fermait les grilles, il assura que « les ouvriers n’avaient pas l’intention de dévaliser le trésor de l’État Stavisky et qu’ils en laissaient ce soin aux Stavisky ». Henri Courtade annonce alors que d’après ce qu’il venait d’apprendre, 200 ouvriers avaient quitté le travail à Petit-Couronne. Enfin, Decaux, militant docker, demande aux manifestants de bien entourer et de protéger leurs dirigeants, afin qu’on ne les arrête pas. Les manifestants se dispersent vers midi moins le quart.

L’après midi, vers 15 heures, ce sont plus de 2500 personnes — selon le rapport du préfet — qui se retrouvent au meeting organisés par les syndicats confédérés (CGT) à la Bourse du Travail, rue de la Basse Vieille Tour. Celui-ci se tient à l’extérieur des locaux, la grande salle de la Bourse étant trop petite. Les unitaires, invités par Courtade, sont venus nombreux. On remarque une forte proportion de fonctionnaires, en particulier des douaniers et des facteurs en uniforme.

Alors qu’il n’avait pas été initialement prévu de donner la parole aux Unitaires, c’est Henri Courtade qui prend la parole le premier et, répétant ce qu’il avait dit le matin, et, profitant de la tribune qui lui était donnée, il termine en disant qu’ « il ne fallait pas compter sur les radicaux pour défendre la république contre les menées fascistes ».

Honoré Lemercier, cheminot, de l’union locale CGT, intervenant à son tour, fait un vibrant appel à l’union.

Puis Victor Engler, annonce que le travail était arrêté sur le port, sauf sur le bateau où l’on chargeait des munitions. Un essai de débauchage des dockers non grévistes a été tenté dans l’heure de midi, mais la protection de la police l’en a empêché.

Intervenant ensuite, François Guillou des marins CGTU se félicite de l’union des fonctionnaires et des ouvriers. Il espère  qu’ « elle durera et qu’au prochain appel du prolétariat, les fonctionnaires répondront présent » Il déclare qu’ « il n’existe qu’un seul pays où il n’y a pas de fascistes et où il n’y a pas de chômeurs, c’est l’URSS, parce que le prolétariat y a pris le pouvoir ». Il souhaite qu’il se passe la même chose en France.

Dubois du syndicat CGT (Confédéré) de l’enseignement technique, parle dans le même sens.

Enfin Louis Reine, secrétaire de l’Union départementale des syndicats confédérés (CGT) déclare espérer « que bientôt il ne sera plus question de communistes, de socialistes, d’unitaires et de confédérés », et que « la classe ouvrière, fonctionnaires compris, sera unie pour réaliser ses revendications ». Le cortège s’organise ensuite. On remarque les bannières syndicales du bâtiment, du port et de la marine fluviale.

La journée dans le reste du département.

A Elbeuf, participant au mot d’ordre national de Grève générale du 12, plusieurs centaines de manifestants se réunissent place du Calvaire. Édouard Charles, du PCF et de la CGTU, prend la parole. Puis les manifestants défilent jusqu’à la place de la République.

A Dieppe la grève est quasi-totale à la Manufacture des tabacs, où l’on compte plus de 400 grévistes. Seulement trois ouvrières et quelques chefs d'ateliers travaillent. Ils sont salués à leur entrée par des quolibets lancés par une centaine de grévistes rassemblés devant l'entrée. Les grévistes forment bientôt un cortège, avec à sa tête des militants de la C.G.T et de la CGTU, parmi lesquels on reconnaît M. Malfilatre, conseiller municipal  et militant de la C.G.T.U. Le cortège gagne la salle des syndicats, rue de l'Hôtel de ville, en passant par la Grande Rue. Dans les écoles primaires, tous les instituteurs des écoles Michelet et Louis Vitet sont en grève. L'accueil des élèves était fait par les directeurs. Au dépôt des chemins de fer, les cheminots marquent le coup par un arrêt symbolique.

Le soir, tous les démocrates dieppois se donnent rendez-vous à la salle des fêtes, où le Parti Radical et le Parti Radical Socialiste avaient prévu une réunion contradictoire. Les Unitaires et les communistes appellent à y participer. La salle est pleine à craquer. Il y a beaucoup d'ouvrières de la manufacture des tabacs et beaucoup d'ouvriers du port et des usines. L'ambiance est enfumée et la température est étouffante. Plusieurs personnes se trouvent mal. Des militants des Croix de feu tentent d’intervenir, mais la foule les fait taire. On conspue Chiappe le préfet de police de Paris qui a laissé les insurgés s'installer boulevard St Germain. L'ambiance préfigure le Front Populaire.

Une manifestation a lieu au Tréport, une autre à Blangy sur Bresle, où 300 ouvriers venant du Vimeu (Somme) ont rejoint les grévistes de la verrerie Magni er, et manifestent devant l’usine coffres-forts Fichet.

A Fécamp, le mouvement touche au minimum l’enseignement. Tous les instituteurs sont en grève, et seule la garde des enfants est assurée.

Journal "Vérités" de l'Union des syndicats ouvriers du Havre et de sa région

Le 12 février 1934: un événement fondateur, à l’origine de la réunification de la CGT et du Front populaire

De 1932 à 1934, les manifestations sont le fait de la droite et de l’extrême droite, et le 6 février 1934 en est le prolongement. Il ne constitue en rien une apogée. Les ligues d’extrême droite poursuivent leur renforcement dans les années 1934, 1935 et 1936.

Les Croix de feu qui comptaient 35 000 membres en février 1934, en revendiquent 100 000 à l’été 1935 et 450 000 en 1936. Elles constituent une menace croissante.

Elles organisent des démonstrations publiques ayant pour but de frapper les esprits par le nombre des participants, comme ce sera le cas à Assigny le 31 mai 1935 où 500 personnes assistent à un meeting, dont une dizaine de maires des communes voisines. Elles s’ancrent dans les localités en organisant des soupes populaires au profit des chômeurs.

Loin de réapparaître en 1940, Pétain est plébiscité par l'extrême droite dans les années 30. Ici un ouvrage de 1936.

Devant la menace fasciste qui s’est révélée le 6 février, la mobilisation du 12 février 1934 marque profondément et durablement la vie sociale et politique de notre pays. Elle entraîne un rapprochement entre les organisations de gauche et les syndicats. Nous assistons à un grand changement, avec une lutte de masse, avec les syndicats et les partis de gauche, ce jusqu’en 1938.

Il y a désormais une riposte anti-fasciste dès que la droite prend des initiatives. La lutte contre le fascisme est menée parallèlement à la lutte pour la défense du niveau de vie. Unis contre les fascistes en février, les travailleurs restent unis contre les patrons. L’idée de l’unité prend consistance. Désormais dans les comités de chômeurs, dans les luttes des dockers, des fonctionnaires et des marins contre la diminution des salaires, les travailleurs se retrouvent côte à côte, toutes tendances confondues.

Début avril de nouvelles manifestations contre le fascisme ont lieu. Partout, la participation populaire est massive, comme au Havre, le soir du 12 avril 1934, lors d’un meeting à Franklin, qui rassemble 1200 personnes de toutes tendances, les représentants qualifiés des Syndicats et Unions locales confédérées, unitaires et autonomes constituent un Comité d’initiative chargé de prendre des initiatives pour l’unité d’action.

Le 1er  Mai réunit à nouveau des milliers de manifestants. A Elbeuf, ils ovationnent Peltier de la CGT et Édouard Charles de la CGTU qui réclament la semaine de 40 heures, les vacances payées, ainsi qu’une vraie Bourse du Travail. Les manifestants partent de la place du Calvaire drapeau rouge en tête et défilent à travers la ville, avec pour mots d’ordre des appels contre le fascisme et contre le gouvernement dit « d’Union nationale ». Des manifestations ont lieu également au Havre, à Rouen, à Dieppe, au Tréport et à Blangy sur Bresle. De même le 14 juillet est l’occasion de nouvelles manifestations, marquant la volonté de la gauche et des forces populaires de se réapproprier cette date. De même le 29 juillet, date anniversaire de la mort de Jaurès.

Le chemin de l’unité est ouvert. A la base, les divergences idéologiques s’estompent au contact de l’action quotidienne. L’unité ne demande qu’à croître et à profiter de l’élan donné.

Au sommet c’est plus difficile. Les violences et les affrontements du passé ne s’oublient guère. Le parti socialiste SFIO ne croit pas en la parole des communistes qui continuent d’attaquer les chefs socialistes en s’adressant à leurs sympathisants et à leurs militants. Au Parti radical c’est pire encore.

Mais voici que le Parti communiste change de ligne politique. « Le 6 février 1934, les ligues fascistes ont été contenues mais non battues », affirme son secrétaire général Maurice Thorez dans son rapport à une conférence nationale convoquée en juin, ayant à son ordre du jour l’organisation de la lutte antifasciste. Tirant les enseignements de la victoire du nazisme en Allemagne, il cesse alors ses attaques contre les leaders socialistes et radicaux. Le 27 juillet il signe un pacte d’unité d’action avec le Parti socialiste. Le 9 octobre il propose la création d’un Front populaire allant des communistes aux radicaux.

Au plan syndical, le 8 juin, la CGTU propose à la CGT des contacts en vue de réaliser la réunification syndicale. La CGT les refuse, puis les accepte, après que sa fédération des services publics ait voté une résolution mandatant ses représentants au Comité Confédéral National (CCN) d’ « exiger la reprise de contacts immédiats entre les deux CCN en vue de conclure à un accord de fusion ». Cependant les négociations au sommet s’éternisent.

La bourgeoisie de son coté, n’abdique pas. Le patronat accentue son offensive contre les conditions de vie des travailleurs avec l’aide inconditionnelle des Gouvernements réactionnaires qui se succèdent, prenant force  décrets lois qui portent atteinte à l’ensemble de la population active. Mais la situation a changé. Il faut dorénavant compter avec un acteur de plus en plus confiant dans ses propres forces, la classe ouvrière.

Il faudra cependant attendre encore un an, le 2 juillet 1935, pour qu’une déclaration commune soit signée par les deux directions unitaires et confédérées, qui engage définitivement le processus de reconstruction de l’unité syndicale. Pendant ce temps, des comités d’entente, des syndicats uniques se constituent, comme chez les cheminots de Rouen. Plus de 500 au niveau national à cette époque, ils seront les piliers de l’unité organique.

Au mois de décembre 1935, le lent et long processus de réunification engagé au lendemain du 12 février 1934 se concrétise en Seine Inférieure par une série de congrès d’unions locales, et de syndicats.

Le Congrès d’unité des dockers de France a lieu au Havre, à Franklin, en présence de Jouhaux pour la CGT, et de Racamond pour la CGTU.

Le 22 décembre les Unions départementales CGT et CGTU de Seine Inférieure fusionnent à l’occasion d’un Congrès départemental, à la Bourse du travail, en présence de Belin pour la CGT et de Frachon pour la CGTU.

Une première condition du succès des grèves du mois de juin 1936 et des avancées sociales historiques de la période (Semaine de 40 heures, congés payés, conventions collectives, délégués d’ateliers, etc.) est réunie : C’est celle de l’unité organique de la CGT.

La suite est connue...

Notre Institut CGT d’Histoire Sociale de Seine-Maritime y a travaillé beaucoup en 2006, année du 70ème anniversaire de 1936.

Nous vous renvoyons à la lecture de notre ouvrage « 1936, ils ont osé, ils ont gagné », que nous avons réédité à 2000 nouveaux exemplaires en octobre 2006.

Sources:

ADSM: 10 M 375.

« La CGT en Seine-Maritime » — s.d. Albert Perrot — VO Éditions 1993

« Histoire de la France Contemporaine », Éditions Sociales  et Livre Club Diderot, tome 5, 1980.

« CGT, approches historiques », CCEO-CGT et IHS-CGT, 1988.

« Histoire du Mouvement ouvrier français », Jean Bron, tome 2, les éditions ouvrières, 1984.

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