Ecrire au fil rouge

Numéro 3 (1998)

“Ambiance 1968” 

Que se passait-il en Seine-Maritime, au moment ou commence le grand mouvement social ? Quelle était la force de la CGT ? Son organisation ? Quel était l’état d’esprit de ses militants ?

Dans un numéro du mois de mai 68, au moment même où le mouvement prend une extension brutale, “La Vie Ouvrière”, hebdomadaire national de la CGT, publie un reportage 6 pages sur la Seine-Maritime.

Il nous donne un éclairage sur la situation du département.

La Seine -Maritime département le plus syndiqué à la CGT de France:

SI on vous demandait à brûle-pourpoint . “Quel est le département de France le plus syndiqué à la CGT ?” Que répondriez-vous ?

Vous ne savez pas... C'est la Seine-Maritime. Dans la liste des Unions Départementales CGT, c'est le département n° 76 qui est aujourd'hui le n° 1. A ce jour, 22 travailleurs sur 100 y sont membres de notre Confédération. Allons, n'en déplaise à ceux qui voudraient la compter pour partie négligeable ou faire des phrases sur le déclin des organisations ouvrières, la CGT se porte bien et peut se passer des donneurs de conseil.

Lancés dans la nouvelle campagne de recrutement depuis la fin de janvier, nos camarades de Seine-Maritime viennent d'enregistrer 3 500 adhésions nouvelles en 3 mois. Quelle autre organisation syndicale pourrait aligner un tel bilan et mieux traduire la confiance et les espoirs des salariés ? Ces 3 500 cartes nouvelles de janvier à avril, ce sont vraiment les cartes du printemps. Elles appartiennent pour l'essentiel à des jeunes, à des femmes et à des salariés travaillant dans des entreprises où le syndicat était faible ou inconnu. Je pense à cette entreprise de transports rouennaise (Tenart) qui ignorait le syndicat depuis 1936 et où, à lui seul, Lucien Viel a recueilli 50 adhésions; Je pense au syndicat du Bâtiment du Havre, champion du recrutement avec 323 adhésions depuis le 8 mars ; aux 1 075 cartes de l'Union Locale de Rouen et, à l'Union Locale du Havre qui a déjà dépassé les 1 000 adhérents nouveaux. Mais la liste serait trop longue. Mieux qu'une énumération voici quatre exemples, “dans la vie”, parmi les plus significatifs, d'un effort général et fructueux où recrutement et diffusion de la Vie Ouvrière vont le plus souvent de pair.

Au Havre: “Elles ne sont plus des pions !”

Au début, une histoire de “badge” à l’américaine obligatoire sur les blouses, et une réduction de la durée du travail accompagnée d’une réduction de salaire dans une entreprise à main d'œuvre féminine

“(...)Un beau matin, en effet, le patron annonça que les horaires allaient passer de 42 à 32 heures.

C'était bel et bien le chômage partiel avec des chutes de salaires de 12 000 à 15 000 AF par mois. Ça fait mal quand on en gagne 45 000 ou 50 000 et qu'on doit payer par exemple une pension 30000 AF par mois. Et le pire, c'est que la direction continuait à embaucher quand même comme si de rien n'était.

Le mécontentement accumulé par les conditions de travail et le règlement intérieur qui contraignait au port d'un “insigne” à l'américaine, avec le nom de chaque ouvrière, se transforma rapidement en colère... “On a pris le taureau par les cornes. On en avait marre d'être traitées comme des pions sur un jeu de dames. On a

décidé d'enlever les insignes et d'aller demander conseil à la CGT.” Le patron a pris le coup de sang : “Si demain vous ne portez pas d'insigne, ça sera la mise à pied.”

Elles n'ont pas cédé et sont allées voir Henri, le secrétaire de U.L, qui demanda audience à la direction. Fureur des patrons et nouvelles menaces. Rien n'y fit. (...)

Quatre jours après elles présentaient (aux élections) 5 titulaires et 5 suppléantes, dont la moitié ont moins de vingt et un ans, et une direction syndicale avec sa trésorière.

Margeridon (Le Havre) “Chez les ETAM”

(...)

Pour les ouvriers du Bâtiment, les “ETAM” (employés, techniciens et agents de maîtrise) sont un peu des gens situés de l'autre côté de la muraille invisible mais traditionnelle de la corporation. On sait bien qu'ils sont salariés et exploités eux aussi, mais on préfère les voir de loin; on a du mal à les comprendre. La réciproque est vraie.

(...) Armand Cheval, à soixante-deux ans, était déjà le meilleur diffuseur de la Vie Ouvrière (65 V.O. à lui seul). Il a décidé de faire d'une pierre deux coups et de recruter en améliorant sa diffusion. Et où donc ? Dans le secteur réputé le plus difficile, dans les bureaux.

Avec son assurance de militant chevronné et son sourire tranquille, il est allé discuter avec les employés, les techniciens et agents de maîtrise, de leurs problèmes, de la V.O.. Il leur en a vendu plusieurs exemplaires pour commencer. Et puis il leur a parlé syndicat. Des gars lui ont lancé, mi-figue mi-raisin : “Ah, vous, les ouvriers, vous ne nous défendez pas beaucoup..”.

Armand n'est pas monté sur ses grands chevaux. Il a remis les choses en place gentiment : “Nous remportons des succès parce que nous sommes bien organisés. Faites en autant... Commencez par entrer au syndicat et vous pourrez vous défendre bien mieux vous-mêmes.” Il leur a laissé des bulletins d'adhésions...

En deux mois, tenez-vous bien, Armand a ainsi fait 21 syndiqués chez les ETAM (sur les 250 réalisées depuis mars par le syndicat du Bâtiment). “Encore 4 à syndiquer et ils le seront tous. Dans quelques jours ils vont constituer leur propre section syndicale. Maintenant on est les meilleurs copains du monde.” (...)

Renault-Cléon “Sur deux temps”

Pas loin d'Elbeuf, perdue dans les prairies normandes, voici l'usine neuve de Renault-Cléon. Les quelque 4 000 ouvriers qui y fabriquent tous les moteurs de la Régie habitent jusqu'à 60 kilomètres à la ronde. Après 8 heures de production accélérée, ils n'ont qu'une hâte compréhensible: rentrer chez eux. Dans ces conditions, les contacter les réunir, leur parler est une tâche difficile.

Pour montrer qu'elle n'était pas impossible, les jeunes responsables CGT ont mis “un tigre dans leur moteur”. Un moteur qui marche sur deux temps: recrutement et diffusion. (...)

Au départ, leurs efforts ont été concentrés sur deux secteurs : le montage des moteurs R.16 et R.8 et la Fonderie, où la CGT a remporté 80 % des voix aux élections de délégués. Au mois d'avril, deux nouvelles sections syndicales étaient constituées dans ces secteurs, et la CGT comptait 120 nouveaux adhérents.

CFEM (Rouen) “Le syndicat ça paye...”

L'année dernière le syndicat CGT et les actions qu'il a organisées ont apporté de 14 à 28 F d'augmentation horaire pour les professionnels et 11 F pour les outres.

Cette année, avec deux heures et demie de débrayage (dont une en l'honneur de M. Lecanuet, visiteur de marque, qui s'est sauvé en courant), la CGT vient d'obtenir 6 % d'augmentation des salaires réels, 25 F de mieux pour les primes de vacances et de fin d'année, plus le samedi payé en cas de mariage et d'autres avantages. Tu vois, le syndicat CGT et l'action, ça paye.

“Si tu veux encore améliorer ton sort, rejoins la CGT. Si tu veux mieux comprendre l'action de 10 CGT lis la “V.O.”.”

(...) Depuis le début de l'année ils ont à leur actif 60 nouveaux syndiqués et 10 lecteurs supplémentaires réguliers (sans compter ceux des numéros spéciaux).

 

site de l'IHS CGT 76e