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Fil rouge N°4 (1998)

Réduction du temps de travail

Le temps de travail en question

par Marcel Saunier

La lutte pour la réduction du temps de travail à la CFR Total à Gonfreville l'Orcher dans les années 60 et 70.

En 1964, Marcel Saunier est délégué du personnel. Il sera secrétaire du comité d’entreprise et du comité central d’entreprise de 1966 à 1980.

Il sera secrétaire général de l’Union Locale des syndicats CGT d’Harfleur de 1975 à 1985, membre de la CE de l’UD CGT de Seine-Maritime de 1975 à 1985.

Parmi les multiples actions revendicatives engagées et gagnées autour de la question de la réduction du temps de travail, Marcel Saunier, avec Claude Delapierre, et Roger Dumesnil deux autres militants de la CFR, gagnera un procès aux prud’hommes du Havre, engagé à la fin des années 60, dont le jugement définitif sera prononcé en 1975, contre la Compagnie Française de Raffinage pour obtenir la majoration des heures supplémentaires effectuées après 40 heures.

Les vieux militants ont tendance à raconter leurs campagnes. Je n'échapperai donc pas à la règle en essayant, toutefois, de ne pas m'ériger en censeur nostalgique de mon temps. Mon temps est révolu mais il doit être porteur d'avenir.

Le temps de travail pour les salariés postés était et reste toujours une préoccupation et une revendication majeure. Le 3/8 continu est vécu malgré les avancées comme une sorte de marginalisation, d'aliénation de la vie familiale et sociale, en revanche les postés constituent un corps solidaire et combatif dans la plupart des entreprises et en particulier de la mienne : Total France, Raffinerie de Normandie à Gonfreville l'Orcher.

Sans être fanfarons, nous pouvons dire encore aujourd'hui que si le contrat collectif de l'industrie du pétrole est relativement bon, on le doit, pour une bonne part à cette Raffinerie dont la place dans la cartographie de la profession est très importante.

Première raffinerie du monde dans les années 70 bien devant Abadan et Bâton Rouge, elle est encore en 1998, la première Raffinerie Européenne, ce qui, bien entendu, ne la met pas à l'abri des hérésies du monde industriel international.

Voici brossé le décor, une grosse entreprise, 1/5ème de la masse salariale de l'agglomération havraise générée par cette Raffinerie et, en conséquence, 1/5ème de l'emploi direct et induit, un très fort taux de syndicalisation, 78 % des voix aux élections, un rapport de force sans précédent dans les industries chimiques, mais aussi au sein de la Fédération CGT elle-même.

J’aimerais entrer dans les détails des conditions de travail, mais je ne le ferai pas, car ce serait trop long. En matière de travail posté nous ne pouvons parler que de repos compensateurs, et nous avons essayé de faire passer l’idée d’instituer le 4 X 6 heures, mais une raffinerie est par définition éloignée des lieux d’habitation et les salariés répugnent à se déplacer pour 6 heures.

En 1955 nous travaillions 56 heures la semaine et toutes les 7 semaines 112 heures d’affilée 302 jours de présence par an, nous sommes aujourd’hui et depuis près de 15 ans à 32 H 50 et 195 jours annuels. Si l’on prend ses congés hors période : 190 jours.

Les heures supplémentaires étaient comme le veut la loi payées dès la 40éme heure. Nos enquêtes démontraient que nos salaires malgré la majoration de 18 % de prime de quart, différaient peu de ceux du personnel de jour.

A partir de 1963 les actions ont commencé. Nous avons obtenu un repos qui supprimait cette fameuse “ grande quinzaine ”.

Les luttes de 1966, 1967 et 1968 ont permis l'application effective des 40 heures bien avant que la loi de 1972 les rétablisse véritablement. Depuis 1936 les 40 heures n’avaient été effectives que 2 ans : 1936 et 1938, 34 ans pour une application réelle.

Encore faut-il dire qu’en 1972 la loi n’était pas respectée partout, loin s’en en faut. Ce qui nous a conduit, parallèlement aux luttes qui se menaient dans l’entreprise, à engager un procès au conseil des prud'hommes du Havre pour le paiement à la semaine civile des heures supplémentaires. Nous avons gagné ce procès. Il est vrai que nous avions envahi le Palais de justice avec une délégation de travailleurs de la raffinerie. En plus des réparations financières nous avons obtenu des jours de récupération qui conduisaient à une nouvelle réduction du temps de travail.

Cependant, même après avoir gagné ce procès, il a fallu continuer la lutte. En permanence, il est nécessaire de mettre en œuvre un rapport de force. La direction contestant le bien-fondé des attendus du procès, s’était pourvue en Cassation, à la suite de quoi notre syndicat s’était lui aussi porté en Cassation pour obtenir le paiement de l’arriéré sur 30 ans.

Devant la mobilisation des salariés dans l’entreprise par le biais d’assemblées générales, et la réalisation d’une unité syndicale avec la CFDT qui reconnaissait, par tract, que nous avions tout à la fois, soulevé le problème et gagné le procès, la direction capitulait.

Tout ce développement pour expliquer que si les salariés en activité n’imposent pas la mise en oeuvre la réduction du temps de travail, la loi restera lettre morte.

Une loi concrétise une réalité, avalise un état de fait obtenu par l’action.

Aujourd’hui, il faut que les actifs en tirent la leçon de manière à permettre aux actifs de faire entériner les 35 heures sans attendre ... 34 ans.

site de l'IHS CGT 76e