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En 1979, la Radio Libre “Radio-CGT-76”

Un aspect du combat de la CGT pour le droit à l’information

Par Serge Laloyer

Avant juin 1981, la législation française interdisait l'existence de radios autres que celles contrôlées par l'Etat, c'est-à-dire les émetteurs nationaux et régionaux de Radio France, quelques exceptions existant pour R.T.L., Europe 1, RMC et Sud Radio,

La CGT avait beaucoup de difficultés pour se faire entendre sur les ondes, y compris à la télévision. (Mais est-ce que cela a vraiment beaucoup changé ?)

Comment surmonter cette difficulté afin de faire connaître les luttes menées par les salariés et les propositions de la CGT ? Cette question, récurrente à la CGT a trouvé une réponse en cet automne 1979 par la création d'une radio de lutte: Radio CGT 76.

En 1979 les sidérurgistes de Lorraine, qui luttent contre la fermeture des aciéries et les licenciements qui les accompagnent, décident, de créer à Longwy une radio intitulée “Radio Lorraine-Cœur- d'Acier”.

De son côté, la CFDT de Longwy crée sa propre radio.

Un coup d'envoi est donné, un défi est lancé au gouvernement. Plusieurs radios indépendantes du pouvoir politique émettent sur une région en lutte. L’expérience de “Radio-Lorraine Cœur d’acier” durera de nombreux mois, protégée et animée par les militants avec le soutien du bureau confédéral de la CGT.

Très vite, l'exemple sera suivi par l'UD-CGT du Nord qui crée "Radio Quinquin”.

Pendant la campagne des élections prud'homales, la CGT crée des radios "pirates" un peu partout en France;

ici un badge de soutien à "Radio CGT 94" émettant dans le Val de Marne

Une idée qui fait son chemin en Seine-Maritime.

Rapidement l'Union Départementale CGT de Seine-Maritime cherche a se donner les moyens de créer une radio à l’image de ce qui se faisait en Lorraine et dans le Nord. Mais pour cela il faut trouver les moyens techniques ce qui n’est pas une mince affaire. - Est-il utile de rappeler au lecteur que ces moyens techniques n'étaient pas en vente libre ? La confédération CGT s’engage dans cette bataille et lui donne une dimension nationale. Cela aurait été impossible sans son aide.

Le 7 novembre 1979, “Radio CGT 76" commence à émettre. L'émetteur avait été discrètement installé dans l'appartement de Georges Jonquais, militant de la CGT, ancien résistant et militant communiste, dans la tour HLM n°4 de Saint-Etienne-du-Rouvray. Toujours aussi discrètement des militants CGT avaient installé l'antenne émettrice sur le toit de la tour.

La radio émet en continu de la musique, mais aussi des débats et des informations se succèdent. Les travailleurs téléphonent et débattent en direct avec les dirigeants de l'UD, transformés en animateurs de radio, avec l’aide de vrais journalistes. On écoute la radio de très loin. Dès la première émission, popularisée par tract, l'UD-CGT appelle les travailleurs à assurer la protection de l’émetteur.

Le 12 novembre à 20 h, “Radio CGT 76” cesse temporairement ses émissions, alors que la foule entoure l’immeuble pour protéger l’évacuation du matériel; Bernard lsaac déclare au nom du bureau de la l'UD-CGT ,

Vous qui écoutez "Radio-CGT-76", votre radio, avec une attention soutenue depuis mercredi dernier, c'est-à-dire depuis 6 jours, je suis mandaté par la direction de l'UD-CGT de Seine-Maritime, en accord avec le Bureau confédéral de la CGT pour vous informer que nous avons décidé d'arrêter temporairement nos émissions ce soir, lundi 12 novembre à 20 h,

Notre décision n'est pas motivée, vous vous en doutez, par le jugement de classe qui a été rendu contre nous. Notre décision est motivée par le fait que la CGT est déterminée à poursuivre son combat pour : le droit à l'information à la radio, à la télévision et dans la grande presse, pour briser le boycott orchestré contre elle.

Elle a décidé d'organiser de telles expériences dans de nombreux autres départements, et comme dans l'état actuel des choses, nous n'avons pas les moyens suffisants pour que chaque département se dote d'un tel matériel moderne d'information comme celui qui a servi à réaliser "Radio CGT 76", ce matériel va servir à d'autres départements. (...)

En effet, "Radio CGT 76” a atteint son but. Elle a prouvé que les travailleuses et les travailleurs actifs, retraités ou sans emploi, du manœuvre au chercheur ont soif, ont besoin d'une véritable information, d'une radio de qualité. Même si la nôtre a eu quelques lacunes techniques, l'ampleur du soutien qu'elle a recueilli de toute part, y compris de la part d'agents de la force publique qui nous ont fait connaître leur soutien et leur approbation. Les nombreux coups de téléphone que nous avons reçus à l'Union Départementale CGT et à cette radio, l'ampleur du soutien financier que nous avons recueilli en attestent.

Pour vous toutes et vous tous qui avez écouté et soutenu, "Radio CGT 76" a apporté un souffle de vérité, de liberté et de démocratie.

Elle a permis de mieux connaître la CGT nationalement, et en Seine-Maritime tout particulièrement. Elle vous a permis de mieux connaître l'ampleur des domaines dans lesquels la CGT intervient (...).

Les émissions de "Radio CGT 76" cessent temporairement. Nous devons passer le relais à une autre région, Mais il est bien évident Que la CGT est déterminée à tout mettre en œuvre avec vous pour gagner le droit à l'information sur les grands moyens d'information que sont la radio la télévision, la grande presse. Si nécessaire, elle est décidée, en plus de la diffusion des journaux ,. la Vie Ouvrière, Antoinette, et Options, à se doter définitivement d'instruments modernes, comme ceux que nous avons utilisés pour "Radio CGT 76" afin de faire entendre sa voix et la vôtre "

La répression ne se fait pas attendre

Le gouvernement n’était pas resté indifférent à cet émetteur “pirate" La répression allait très vite s'abattre sur ceux qui mettaient en cause le monopole de l'État sur la diffusion radiophonique et occupaient illégalement les longueurs d'ondes F.M.

En Seine-Maritime, les dirigeants de l'UD étaient convoqués par la police le 21 novembre 1979 pour être entendus pour :

La riposte de la CGT ne se fera pas attendre. Une manifestation sera organisée pour accompagner les dirigeants de l'Union Départementale jusqu'au siège de la Police Judiciaire.

Par la suite, ils seront convoqués par un juge d'instruction de Caen, sans doute pour échapper à la pression des travailleurs. C'était sous-estimer la combativité des militants de la CGT. Plus de 200 d’entre eux accompagnèrent les responsables de l’Union Départementale au Palais de Justice de Caen.

Mais là, les forces de police chargent les manifestants, ce qui amène les responsables syndicaux à refuser de rencontrer le juge d'instruction. Le procès n'aura jamais lieu.

Quelques mois plus tard, avait lieu la campagne pour les élections prud'homales. C'était la première fois que les salariés allaient pouvoir voter pendant leur temps de travail et les patrons avaient obligation d'inscrire tous les salariés sur les listes électorales.

L'Union Départementale CGT saisit cette occasion pour remettre en place un nouvel émetteur-radio, installé cette fois à Canteleu dans une maison appartenant à la mairie, avec le soutien du maire communiste, Marcel Letessier qui avait été, de nombreuses années, secrétaire de l'UD. Cette nouvelle expérience radiophonique durera une semaine,

Le 10 mai 1981, la victoire de la gauche à l'élection présidentielle avec François Mitterrand, les radios locales furent légalisées. La lutte de la CGT pour libérer l'information n'est pas étrangère à cette victoire. Les journalistes, qui avaient participé à cet initiative comme ce fut le cas à Rouen comme à Longwy, seront intégrés, dans le service public.

Toutes ces initiatives pour démocratiser l'information vont contribuer au bouleversement de l’audiovisuel, et permettre l'existence de radios F.M. indépendantes. Toutefois, si pendant une courte période, des radios véritablement libres ont vu le jour, les grands groupes capitalistes se sont emparés du secteur.

Le droit à l’information reste un combat d’actualité pour l’organisation syndicale et le monde du travail.

site de l'IHS CGT 76e