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La veille de l’inauguration du Parc des Chartreux

Meeting avec Marcel Cachin,

à Petit-Quevilly, le 28 août 1922

 

Les hasards d’une recherche aux Archives Départementales de Seine-Maritime nous ont fait découvrir ce texte que nous devons au zèle d’un commissaire de police. Il s’agit d’un rapport sur une réunion politique.

Le premier intérêt de ce texte pour l’Histoire Sociale, c’est qu’il nous conduite à nous intéresser au contexte de la création du parc des Chartreux à Petit Quevilly.

Certes, chacun sait qu’il est célèbre pour les fêtes ouvrières et démocratiques qui s’y sont tenues et qui s’y tiennent encore?

Les plus érudits nous diraient qu’il fût un haut lieu de meetings et de rassemblements grévistes, dans la région rouennaise, pendant des décennies.

Le second élément c’est qu’il met en évidence l’intérêt du Maitron pour l’histoire sociale. Sans lui il serait difficile de savoir de qui notre policier parle, à l’exception bien sûr de Marcel Cachin.

Enfin, il met en lumière des conceptions de luttes d’autrefois, aujourd’hui dépassées, dont certains restent nostalgiques, particulièrement dans une région comme la notre fortement marquée par l’anarcho-syndicalisme.

Gilles Pichavant

Préfecture du département de la Seine Inférieure,

Rouen le 28 août 1922.

Le Commissaire spécial de police de Rouen à Monsieur le Préfet de la Seine Inférieure,

Comme suite à mon rapport N° 8534, du 25 courant, j’ai l’honneur de vous rendre compte que le meeting organisé à Petit-Quevilly , par le groupe communiste local, au profit de la “Russie affamée” a eu lieu samedi 26 Août, salle du Casino Rouennais, à 21 heures.

Au bureau avaient pris place:

M.M. Harlet(1), Adjoint au Maire de Petit-Quevilly, président, Bazin(2), Maire, et Lepez(3) secrétaire de la Fédération départementale communiste, membres.

M.Bazin a parlé le premier et a entretenu l’auditoire des travaux et du programme de la municipalité communiste Quevillaise. Il a refait l’historique de l’acquisition par la commune, du Parc des Chartreux et a invité ses administrés à venir nombreux le lendemain dimanche pour assister à son inauguration officielle.

Marcel Cachin(4) a remplacé Bazin à la tribune.

Il a rappelé ses démêlées avec la justice à l’occasion des poursuites dont lui et d’autres militants sont l’objet pour les articles parus dans “Le conscrit”. Il s’est félicité de ces poursuites qui vont donner lieu, d’abord à la Chambre, à un débat sur l’immunité parlementaire et, ensuite à un deuxième procès, qui seront autant de propagande efficace en faveur du communisme.

De plus il espère que les condamnations qui ne manqueront pas de frapper les militants seront un excellent stimulant pour ceux de la classe ouvrière qui ne peuvent sortir de leur torpeur.

Le deuxième point traité par l’orateur a été la situation de l’Allemagne, où les ouvriers et le peuple sont des plus malheureux, n’ayant plus rien à manger et ne pouvant plus s’habiller.

Après une dissertation sur les changes et la chute du mark, il a conclu que les capitalistes allemands et la bourgeoisie voulaient amener le peuple à la révolution afin de pouvoir appeler l’armée française pour la réprimer et rétablir l’empire et la domination de la haute finance.

Enfin, il a terminé par un appel en faveur de la Russie dont il a fait l’éloge du Gouvernement, toujours debout après cinq années de luttes et voyant l’horizon moins sombre. Il a rejeté la responsabilité de l’état lamentable dans lequel s’était trouvé la Russie, sur les alliés qui avaient organisés le blocus de ce pays et qui, maintenant encore, lui refusaient les concours industriels dont il a besoin; il entrevoit le relèvement prochain et complet de la Russie et il a terminé en espérant que l’Allemagne suivie par l’Autriche ne tarderaient pas de l’imiter et que d’autres états ne pourraient plus attendre davantage pour faire leur révolution inévitable pour instaurer le règne du prolétariat.

Cachin a été acclamé à plusieurs reprises par une foule qui lui était acquise.

Sénécal(5), des dockers du Havre, en mission à Rouen, a-t-il dit, pour récolter quelques subsides en faveur des grévistes, a fait l’exposé de la grève du Havre (6).

Il a parlé longuement du retrait des pouvoirs de police au maire, manœuvre a-t-il dit, dirigée contre le maire du Havre par le Préfet qui tenait à se rendre agréable aux yeux du Bloc National; il a estimé que le maire avait eu tort de reprendre les pouvoirs qui lui avaient été enlevés, mais que la classe ouvrière ne voulait à aucun prix rentrer dans ces combinaisons voulues par le gouvernement pour tâcher de donner un caractère politique à une grève purement économique. Il espère que ce mouvement local est le précurseur de celui qu’il espère prochain, et en tous cas inévitable, qui délivrera la classe ouvrière de sa servitude.

L’orateur s’est félicité, aux applaudissements d’une salle en délire, que les troupes avaient fait demi-tour devant l’attitude résolue de la foule et il a ajouté qu’il considérait comme un crime, dans les circonstances pareilles, de faire appel au calme.

Il a terminé en remerciant les Quevillais de leur accueil et de leur aide.

Le soir s’est terminé par le tirage d’une tombola.

Aucun ordre du jour n’a été voté. La séance s’est terminée sans incident à vingt trois heures.

Il était perçu cinquante centimes d’entrée au profit des Russes. Les billets de tombola étaient vendus au bénéfice des grévistes du Havre. Enfin le programme des fêtes du lendemain était vendu au profit du Groupe Communiste.

Les cartes postales “Poincaré La Guerre“ étaient encore mises en vente pour la propagande du journal “le Communiste”

le commissaire Spécial

Blaizac

Notes:

1- HARLET Georges, Arthur

Né le 16 juillet 1883 à Notre-Dame de Gravenchon; mort en 1963 au Petit Quevilly.

Employé de commerce, administrateur et directeur de société coopérative, coopérateur, syndicaliste, socialiste puis communiste.

Issu d’une famille très modeste, Georges Harlet entra âgé de treize ans au service d’une maison de commerce où il resta seize années. A vingt ans il militait activement au Parti socialiste à Petit-Quevilly. En 1912, il fut élu conseiller municipal et réélu en 1919; en 1920 il donna son adhésion au parti communiste et devint adjoint-au-maire puis maire de sa ville.

2- BAZIN Paul, Marcel

Né le 11 juillet 1890 à Petit-Quevilly; mort à Arpajon (Essonne) le 9 avril 1956. Fils d’un maçon. Tourneur sur bois en 1920.

Membre du parti socialiste depuis 1905, Paul Bazin remplit diverses fonctions au sein du groupe d’études sociales de 1908 à 1914, date à laquelle il fut mobilisé. Blessé et pensionné, il fut élu trésorier de la Fédération Socialiste de Seine Inférieure en 1918, lorsque les partisans de la gauche du Parti obtinrent la majorité.

Elu conseiller municipal puis maire de Petit-Quevilly en 1919. Cette même année , il avait été candidat aux élection législatives. Ses sympathies pour Longuet l’empêchèrent d’être élu délégué au congrès de Tours par le congrès fédéral de décembre 1920.

Ami personnel de Marcel Cachin, il dirigea la section locale de l’A.R.A.C. (Association Républicaine des Anciens Combattants) et adhéra au P.C.F au début de 1921.

Au début de l’année 1923 il démissionne de son poste de maire et quitte la région pour la Bretagne où il devient secrétaire interfédéral du

Parti Communiste. En 1924 il est membre du syndicat CGTU des métaux de Rennes.

3- LEPEZ Ernest

Né le 24 novembre 1880 à Déville, mort le 4 juillet 1927 à Fécamp. Avec son frère Albert, il fut Militant socialiste dès le début du siècle, puis communiste dès 1920.

Actif militant communiste en Seine Inférieure, il devint en octobre 1922 secrétaire de l’interfédération communiste du Nord-Ouest.

Délégué au IIème congrès de la CGTU à Bourges en 1923, il dirigea une grande grève des ouvriers métallurgistes de Fécamp, où il créa en 1926, l’Union Locale Unitaire qui regroupa rapidement 2700 adhérents.

4- CACHIN Marcel

Né à Paimpol, membre du Parti Ouvrier Français de Jules Guesde en 1892, il adhère au PSU-SFIO à sa création en 1905.

Député en 1914, il sera directeur du journal “L’Humanité” de 1918 à 1958. Membre du bureau politique du PCF de 1923 à 1958.

5- SENECAL Auguste

Docker, Auguste Sénécal fut élu le 10 décembre 1920 secrétaire adjoint du syndicat des dockers du Havre.

Membre du Comité Syndical Révolutionnaire (CSR) il est élu membre du conseil d’administration de l’Union Départementale CGT passée aux mains des minoritaires au congrès de Dieppe le 3 juillet 1921.

Ayant adhéré au Parti Communiste, il se présenta aux élection législatives de 1924 où il recueillit 21 727 voix sur 217 782 inscrits.

6- Les 111 jours de grève des métallos du Havre

A la suite de l’annonce par les patrons de la métallurgie d’une baisse de salaire de 10%, les métallos du Havre se mettent en grève le 20 juin 1922. En quelques jours il y a plus de quinze mille grévistes.

Chaque jours des meetings et des manifestation se succèdent en divers lieux, mais le patronat refuse obstinément de négocier. A partir du 20 août, la situation devient plus tendue.

Le 26 août pour empêcher l’arrivée des gendarmes à cheval, on arrache des pavés, des arbres et leurs grilles de protection, on renverse des véhicules et on dresse une barricade en un rien de temps sur le “Cours de la République”.

La troupe s’avance le fusil à la main. Les grévistes se défendent avec des pierres. On relèvera quatre morts et une vingtaine de blessés. Le soir, trente cinq militants dont cinq membres du comité de grève sont arrêtés. Franklin est investi par les forces de polices.

Mais la lutte continue. Elle durera jusqu’au 7 octobre.

A lire dans le livre collectif “la CGT en Seine Maritime” p 45 à 50 (Vo éditions). Ce livre, écrit par notamment par plusieurs membres de notre institut, quelques années avant sa création, est toujours disponible auprès de l’Union Départementale C.G.T de Seine Maritime au prix de 70 f (même adresse que notre institut).

***

Les Notes 1,2,3,4,5 ont été réalisées à partir des notices biographiques contenues dans “le Maitron”, Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier (Editions Ouvrières).

Elles montrent bien tout l’intérêt qu’il y a de travailler à poursuivre cette oeuvre irremplaçable, sans laquelle il aurait été impossible de saisir tout le sens de ce texte.

(Editions de l’Atelier/Editions Ouvrières, 12 avenue Sœur-Rosalie 75013 Paris)

site de l'IHS CGT 76e