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Numéro 6

La Réparation Navale au Havre, Approches économiques

Bref aperçu des origines jusqu’à 1980

par Marius Bastide

Cargo en réparation au Havre dans les années 60

(Cet article sera prolongé par une suite dans notre prochain numéro).

Construction et Réparation Navales sont à l’évidence des activités proches et complémentaires. Au début, au Havre comme dans de nombreux ports, la réparation des navires est assurée dans le cadre de diverses corporations de métiers qui sont engagées selon les besoins dans la construction comme dans l'entretien de la flotte de pêche et des navires marchands.

L’activité de réparation navale ne trouvera vraiment son autonomie qu’à la suite du grand essor du commerce maritime, de l’évolution des techniques et de la constitution de sociétés de construction de navires qui céderont le créneau de la réparation à des services particuliers aux sein de leurs groupes ou à des industriels locaux.

Jean Legoy, spécialiste de l’histoire havraise, précise: “Dans un port, les navires qui ont leurs attaches, comme ceux qui sont en escale, doivent pouvoir être réparés, radoubés, en cas de besoin...” et il note qu’à coté des chantiers qui assurent la construction, “existent des équipements spécialisés”. Il cite entre autres, “la Compagnie des Apparaux qui loue des engins pour la visite et le radoub de navires: grils, pontons, ras, machines à mâter, grues, cabestans...” .

En 1844, Augustin Normand construit un dock en bois qui servira pendant un demi siècle et en 1864, les Ponts et Chaussées inaugurent la première forme sèche. En 1902, il y en aura six. C’est en 1927 que la septième sera mise en service, capable d’accueillir en visite annuelle les plus grands transatlantiques. Le nombre et la dimension croissante de ces investissements nous donnent une idée du volume du marché de la réparation navale havraise civile et militaire.

La Réparation Militaire

Le Havre a été voulu comme un port de guerre, pour abriter la marine royale. Un arsenal sera construit en 1669, qui ne sortira que peu de navires, de faible tonnage, mais assurera une base navale d’entretien des bateaux militaires et des navires de la Compagnie des Indes (compagnie d'Etat), avec ses navires armés, pouvant être engagés dans les conflits.

La réparation navale militaire sera donc une activité importante jusqu’en 1823 date de la fermeture de l’Arsenal. En 1758, un “état” de l’Arsenal nous apprend que 427 salariés du chantier sont rattachés directement à l'Amirauté.

Les services techniques des grandes compagnies maritimes

Le port du Havre sera fortement revendiqué par le monde du commerce, d’abord comme “avant-port de Rouen”. Vont se constituer des grandes sociétés maritimes

avec leurs flottes particulières, leurs services techniques, leurs ateliers de réparation.

C’est le cas de la Compagnie Générale Transatlantique (qui deviendra la CGM) fondée en 1861. Ses ateliers de réparation emploieront 450 ouvriers en 1887, 900 en 1902, 1000 en 1931. En 1965, ce service technique de réparation sera constitué en filiale de la CGM sous le nom de COGER. En 1981 la SNACH (Société Nouvelle des Ateliers et Chantiers du Havre) en deviendra actionnaire majoritaire. La COGER déposera son bilan en 1987.

De même la Compagnie des Chargeurs Réunis, fondée en 1873 s'installe sur les Docks (actuellement rue Bellot, face aux trois cales de l’Eure). En 1902, l'effectif sera de 200 ouvriers. Ce service technique sera repris en 1961 par la Société Caillard, qui installe dans ses locaux, sa Division de Réparation Navale (dite Caillard Usine 2).

La Compagnie Maritime Worms installera, elle aussi des ateliers de réparation pour sa propre flotte, au Quai de Lamandé. En 1959, ce service technique sera cédé aux Chantiers de Normandie qui déménagent de la rue Demidoff pour s’installer quai de Lamandé.

La Société de Remorquage et Secours en Mer, “Les Abeilles” est créée en 1864. Elle installe ses ateliers Quai de l’Ile. A la suite de la destruction de ses bâtiments en 1944, les Abeilles s’installent Quai de Lamandé.

La réparation des navires du port, qui devient Port Autonome, bateaux de servitude, dragues, pontons barges, péniches, etc. seront assurés par des services spécialisés du port, installés Quai de Londres. Mais les travaux importants de modifications et remises en état seront progressivement cédés à des entreprises locales privées.

Ainsi l’évolution de la réparation navale particulière des compagnies maritimes sera la même. Cette activité lourde et onéreuse n’intéressera plus les géants du transport naval qui la céderont à des industriels locaux.

Les entreprises industrielles de la réparation navale.

Comme on peut le constater dans l’ouvrage édité par la Chambre Syndicale de la Métallurgie du Havre, à l’occasion de son centenaire, de nombreuses entreprises ont fait de la réparation navale, parmi d’autres activités.

En particulier, quand de nouvelles techniques sont intervenues dans la construction: coques en fer, traction à hélice, énergie à vapeur, électricité, charbon, fuel, etc. On voit se développer sur le Havre des ateliers divers de mécanique, de tôlerie, de fonderie, etc. Une recherche importante sera porteuse de nombreuses inventions dont les applications à la marine conduiront les fabricants à installer à bord leurs matériels et à en assurer l’entretien: Cabestans, treuils, guindeaux, etc. L’apparition des grands chantiers de réparation va regrouper cette multitude d’intervenants.

Contrairement à la réparation navale de Marseille qui ne s’appuie sur aucun chantier de construction, la tradition havraise fait que les chantiers de construction, la tradition havraise fait que les entreprises de réparation, pour une grande part, sont restées longtemps au sein d’ensembles dits de “chantiers intégrés” (construction et réparation navales réunies).

C’est le cas, en particulier des A.C.H dont l’activité de réparation, implantée rue Jean Jacques Rousseau, est toujours restée au sein de la même société de construction qui s'empressera en 1981, de faire de la Coger une de ses filiales, alors qu’un horsain, les A.F.O, s’implantait au Havre, à la suite des difficultés financières de la société Caillard.

Les Chantiers de Normandie, eux, sont à l’origine, une émanation du Chantier de Construction de Saint-Nazaire-Penhoët. Quand en 1955, le groupe se scinde en deux sociétés, les Chantiers de l’Atlantique et les Chantiers Réunis de Loire-Atlantique, l’activité principale des Chantiers de Normandie reste la construction navale avec le chantier de Grand-Quevilly. En 1963, la société deviendra Dubigeon-Normandie et l’établissement de réparation du Havre restera totalement lié au Chantier de Construction de Rouen.

Les ateliers Caillard dans le quartier de l'Eure

Le cas de Caillard est un peu différent. Au départ, les frères Caillard sont des mécaniciens

qui viendront s’installer en 1883 dans le quartier de l’Eure, au Parc à Huîtres. Il seront alors inventeurs de cabestans, haleurs, etc. Dès 1876, ils produiront des grues à vapeur et en 1892 des grues électriques. L’activité de réparation navale va croître rapidement et prendre son autonomie en 1957, lors de la reprise de la réparation navale des Chantiers Béliard-Crighton qui étaient venus s’installer au Havre en 1918, à la suite de la destruction de leur chantier d’Anvers par les Allemands. En 1924, Béliard avait repris les Ateliers Delhomme de la rue Joseph Périer.

La division Réparation Navale de Caillard reprendra également, en 1961, le service technique des Chargeurs Réunis et s’installera rue Bellot.

En 1981, Caillard est en dépôt de bilan. Il deviendra Caillard-Normandie et fusionnera avec l’établissement havrais des Chantiers de Normandie qui sont entrés dans un groupe à dimension nationale: les Ateliers Français de l’Ouest (A.F.O).

Nous venons d’évoquer les quatre grands chantiers de réparation navale qui vont dominer le marché havrais du XXème siècle jusqu’aux années 1980; la Coger, Caillard, Les Chantiers de Normandie, les A.C.H; mais il ne faut pas oublier que de nombreuses sociétés plus petites ont fait aussi de la réparation de navires. Il faut citer:

Cette liste ne se prétend pas être exhaustive; elle représente une bonne base pour apprécier l’importance de l’activité de la réparation navale au Havre et les divers types des sociétés intervenantes.

Une industrie porteuse d’emplois.

Notre approche économique demanderait d’analyser dans le détail l'évolution de la composition des marchés de réparation: les types de navires, leur pays d’origine, la fréquence des arrêts techniques, les travaux de modification et de transformation, etc.

Aujourd’hui nombre d’entreprises ont disparu et les archives avec elles. Il faut travailler à partir de la mémoire des personnel; nous en connaissons la faiblesse et les marges d’erreur qui en découlent. Il sera sans doute possible de tracer, dans ses grandes lignes, l’évolution des marchés de la réparation havraise dans de prochains travaux.

Comme syndicalistes, nous avons été, et sommes toujours, particulièrement intéressés par le nombre des emplois que générait ce secteur industriel, avant le grand effondrement à partir des années 1976.

Sans insister sur les statistiques, nous évoquerons quelques chiffres sur les effectifs de la Réparation Navale, dans les années 1970 et suivantes.

Un chiffrage de l'ASSEDIC, pour le seul arrondissement du Havre, établit l’effectif de l’industrie navale à 4 908 personnes en 1975, 4056 en 1977, 3661 en 1979. Ceci comprend la construction, la réparation et, sans doute, les activité de carénage.

Une enquête de l’U.I.M.M, sur l’année 1972, parle de 37 148 emplois recensés à la suite des réponses à un questionnaire, pour construction et réparation navales réunies (sans doute hors carénage dont l’activité ne relève pas de l’industrie métallurgique). La Seine-Maritime arrive en 3ème place des régions de programmes, après les Pays-de-Loire et Provence-Cote-d’Azur (les deux régions où sont implantées les grands chantiers de Construction).

Les recherches syndicales permettent d’avancer, pour 1972, les chiffres suivants:

Ces chiffres ne semblent pas intégrer les travaux des sous-traitants.

Pour le Port du Havre, un document travaillé à la commission économique du Syndicat Général des Métaux, donne des chiffres de progressions, sur une période allant de 1966 à 1976, pour les quatre grandes entreprises et trois autres sociétés de réparation (voir tableau ci-dessous).

Il serait intéressant d’étudier maintenant, pour cette tranche d’années fastes de la réparation, quels ont été les problèmes, les revendications et les luttes des travailleurs.

De même il faudra poursuivre l’histoire de la Réparation navale des années 1980 à aujourd’hui sous la bannière des Ateliers français de l’Ouest (AFO) et des Ateliers Réunis du Bord et de l’Ouest (ARNO) et finalement de sa liquidation au plan national comme sur la place du Havre.

(à suivre)

Sources:

- les ouvrages de Jean Legoy, et en particulier ‘Le Peuple du Havre et son Histoire”

-Le livre: “Centenaire de la Chambre Syndicale des Industries Métallurgiques de l’arrondissement du Havre” - 1981

.site de l'IHS CGT 76e