Ecrire au fil rouge

Numéro 6 (1999)

Mai 68: Rétablir la vérité historique !

Le 21 juillet 1998, nous avons fait parvenir au rédacteur en chef de la revue Études Normandes, une demande de droit de réponse à l’article de jean-Pierre Chaline, paru dans le n°2 de 1998.

La manière dont celui-ci évoquait Mai 68 dans la région justifie à lui seul la création de notre institut CGT et notre volonté de nous occuper, nous-même, d’histoire sociale.

Depuis nous n’avons eu aucune nouvelle de cette lettre.

C’est pourquoi le conseil d’administration a décidé d’utiliser notre revue, le fil rouge, pour faire connaître cette démarche à nos adhérents et amis.

“à Monsieur le Président de l’Association Études normandes, I.R.E.D, 7 rue Thomas Becket, 76130 Mont-Saint-Aignan,

Mont-Saint-Aignan le 21 juillet 1998.

Monsieur le Président,

Si le jugement porté sur un événement ou sur une période appartiennent à son auteur, il est naturellement soumis à la critique de ses lecteurs. L’historiographie montre à quels dangers on s’expose si le jugement n’a pas été établi, après un exposé des faits aussi objectif que possible, et justifié, étayé, soutenu par des références auxquelles on pourra se reporter.

C’est parce qu’il n’en est pas ainsi que nous vous exprimons notre stupéfaction à la lecture de l’article de Jean-Pierre Chaline: Les événements vu de la ville, Etude Normandes, n°2 de 1998. Revue éditée avec le concours des publications de l’université de Rouen et donc financée au moins en partie, avec l’aide de fonds publics.

Nous vous demandons un droit d’insertion de notre réponse dans votre prochain numéro.

Les causes du mouvement social de Mai 1968 ne sont en aucune façon exposées dans l’article en cause; on y cherche vainement les griefs qui animèrent des dizaines, voire de centaines de milliers de salariés de notre région: hommes et femmes, syndiqués ou pas, de toutes les branches d’industrie ou de services publics.

S’agissait-il vraiment “d’une sorte d’insatisfaction diffuse, aspiration à autre chose (Page 12) d’une population ouvrière, volontiers revendicative”(page 12) ? Ou bien de “conditions météorologiques” (page 16). Ou encore “ des plaisirs de la chasse aux lapins dans les sablières de Cléon” (page 18), ou de la joie de revenir très émoustillé de la participation “à une chouette manif avec tous les prolos” (page 16) ?

Nous avons relevé des inexactitudes ou des affirmations non justifiées. Par exemple celles-ci:

Le 15 mai, Renault Cléon ouvre la série, CGT et CFDT y donnant un mot d’ordre de grève avec occupation des locaux “ (page 14). Cela est inexact: Le mouvement parti de la fonderie avec une heure de grève s’est poursuivi l’après-midi puis continué par l’équipe de nuit, sans qu’il y ait eu un appel des syndicats à la grève générale.

Les accords de Grenelle” (page 18). Alors qu’il n’y eut aucune signature, mais un simple constat des discussions et de propositions.

"...à Cléon où la CGT regarde avec méfiance ces “fils de bourgeois manoeuvrés par des gauchistes qui viennent donner des leçons aux travailleurs” (page 18). Le lecteur serait heureux de connaître la source de cette citation.

Sur tous ces faits, l’Institut d’Histoire de la CGT ne prétend pas avoir le monopole de l’interprétation, pas plus qu’il n’appartient à quiconque. Ceci dit nous avons des analyses, un point de vue et même des archives consultables. On peut s’étonner qu’un historien n’aille pas y voir.

De même, on cherche vainement dans l’article en cause un exposé des conséquences dans les trois décennies qui ont suivi.

Quel contraste avec les articles qu’un Antoine Prost, Professeur à Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) a consacrés à la même période ! (l’Histoire, n°110, avril 1988 et l’Histoire, numéro spécial, mai 1998).

Concrètement, les salaires, la course au rendement, la pression sur les acquis sociaux issus de la Libération, les conditions de travail, ne seraient-ils pour rien dans les causes - qui lui sont antérieures de plusieurs années - de la grève générale qui paralysa la France trois semaines durant ? Et le sentiment d’être exclus de la croissance, et les relations avec la hiérarchie ?

Dès lors qu’on aborde les choses petitement, il n’est pas étonnant qu’on ne puisse expliquer comment c’est la poudre accumulée depuis longtemps qui s’est embrasée par l’étincelle que fut me répression des étudiants. Ni expliquer l’écho de l'événement trente ans plus tard.

Le professeur Chaline, à l’image des bourgeois de Rouen au XIXe siècle, peut penser ce qu’il veut des organisations ouvrières, syndicales ou politiques : “ni Marx“ (on s’en doutait), “ni Flaubert”, qui savait, lui, percer le pourquoi du regard des bourgeois rouennais sur les ouvriers. Nous sommes fondés de notre côté à avoir une opinion sur la valeur de son analyse historique et sur son objectivité dans cet article.

Celui-ci n’était pas digne d’être publié en l’état, dans une revue qui se réclame de Clio.

Décidément, l’histoire de mai 1968 reste à faire par les historiens.

signé: Jacques PENE

Président de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de la Seine-Maritime

site de l'IHS CGT 76e