Ecrire au fil rouge

Numéro 7

Répression anti-syndicale en 1960:

Renault-Cléon, « l’affaire des Diamants »

Serge Laloyer

Alors que l’on parle de « partenaires sociaux », qu’il est de bon ton de pleurer sur la faiblesse des syndicats et du trop faible nombre de syndiqués, la répression anti-syndicale est féroce.

C’est toujours d’actualité en l’an 2000, dans le reste de la France comme dans notre région, où l’on compte des dizaines de procédures de licenciement engagées à l’encontre de jeunes délégués.

Détruire dans l’œuf toute tentative de créer un syndicat CGT, s’en prendre aux hommes et aux femmes qui relèvent la tête et osent lutter pour leurs revendications, c’est une facette des relations patronat-syndicat.

Elle peut aller jusqu’à la machination la plus monstrueuse, mais elle peut aussi se retourner contre leurs promoteurs, comme ce fut le cas chez Renault Cléon en 1960.

 

Ce n’est sûrement pas par hasard si la RNUR a choisi d’installer une usine de fabrication de boites de vitesses et de moteurs dans la plaine de Cléon.

Une des raisons c’est qu’elle se trouve à une centaine de kilomètres des usines de montage de Flins et de Billancourt. Une autre est que la fermeture des usines textiles de la région d’Elbeuf offre une main d’œuvre bon marché et qualifiée.

En septembre 1958, des centaines de travailleurs sont embauchés. Mais les demandes d’embauche sont particulièrement contrôlées. Si un demandeur était connu pour ses activités syndicales à la CGT, ou par un engagement au PCF, la demande était rejetée. Par contre, dès l’ouverture de l’usine, les syndicats FO et CFTC sont implantés et dès 1959, des délégués FO et CFTC sont élus.

Quant à la CGT, à mesure où le nombre de salariés augmente, elle commence difficilement, à s’organiser dans l’usine. Cela se fait lentement, progressivement. Des travailleurs qui avaient cachés leurs sympathies syndicales à l’embauche, se syndiquent à la CGT. Ce ne sont donc pas des militants aguerris qui organisent le syndicat, mais la CGT parvient tout de même à exister dans l‘usine et à y faire sa place.

La direction ne l’ignore pas. Elle tente d’enrayer à tout prix son développement. Elle emploie tous les moyens possible, jusqu’à infiltrer la conseil syndical d’individus à sa solde. L’un d’entre eux, élu du bureau syndical, sera découvert comme étant en relation constante avec le service des renseignement généraux de la police. Repéré par des militants de l’Union Départementale CGT, son activité sera dévoilée. Découvert, il quittera l’usine. Ce sera l’un des premiers échecs pour la RNUR.

Au mois de mai 1960, la CGT présente une liste de candidats aux élections des délégués du personnel. Celle-ci obtient 59% des voix dans le collège ouvrier. Quatre délégués CGT sont élus.

La direction digère mal le résultat des élections, d’autant plus que les nouveaux élus défendent âprement les revendications: amélioration des conditions de travail, augmentation des salaires qui sont inférieurs à ceux de Billancourt, etc.

L’objectif principal et prioritaire de la direction du personnel devient celui de se débarrasser, purement et simplement, des militants de la CGT.

La machination.

Le restaurant d’entreprise est, à l’époque,géré par la direction. Depuis plusieurs semaines, la nourriture se dégrade. Elle est de plus en plus contestée par les salariés. La grogne s’installe. La CGT proteste.

A la demande des consommateurs, André Boucher, délégué CGT, se rend au bureau du chef du personnel avec un plat plus que douteux. Une altercation a lieu, au cours de laquelle André Boucher demande au chef du personnel s’il serait capable d’avaler le contenu de l’assiette. Il est expulsé manu-militari du bureau du chef du personnel. Dès lors, la direction décide d’employer les grands moyens pour discréditer les élus de la CGT auprès de salariés.

Le Lundi 25 juillet 1960, André Boucher, qui est magasinier au magasin d‘outillage du département 42, est informé de la disparition de diamants industriels. Les recherches effectuées ne permettent pas de retrouver les outils en question.

Deux jours plus tard, l’ensemble des magasiniers est convoqué à la direction qui déclare que l’un des deux diamants a été retrouvé dans les

douches. Le personnel du magasin est invité à se prêter à une visite des vestiaires dont l’accès a été interdit dans les heures précédentes, accompagné de responsables de la direction.

Les placards des salariés sont fouillés. Arrivé devant celui d’André Boucher, celui-ci ne peut l’ouvrir avec sa clé. Le cadenas est alors sectionné par le chef gardien, à l‘aide d‘une grande pince coupante, et l‘on retrouve, comme par hasard, le diamant dans le vestiaire. André Boucher proteste et accuse.

On vérifie et il s’avère qu’effectivement le cadenas qui était en place sur le placard n’est pas le sien. C’est pour cette raison que la clé ne correspondait pas.

Quelqu’un a mis le diamant dans son vestiaire, pour qu‘il soit accusé de vol. Comme il a fallu détruire le cadenas pour ouvrir la porte du placard, il a fallu poser un autre cadenas. Oubli du manipulateur: celui-ci ne s’ouvrait pas avec la clé d’André. A l’évidence c’est la CGT que l’on a visé au travers de la personne de l’un de ses délégués. La monstrueuse provocation échoue. Le syndicat se retourner contre la direction de l’usine et accuse.

Le bureau du syndicat CGT se réunit en urgence, et prend des dispositions. Tout d’abord il informe massivement les salariés, et les appelle à réagir et à défendre le délégué. D’autre part, le secrétaire du syndicat, Daniel Teurquety, demande une entrevue au directeur de l’usine pour obtenir que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

Le directeur de l’usine se retrouve contraint d’ouvrir un enquête plus approfondie.

Dès le début d’août, le syndicat est convoqué à la direction. Celle-ci informe que l’enquête a établi la responsabilité du chef du personnel et de celle du responsable de la surveillance. Elle annonce qu’ils sont tous les deux renvoyés de la RNUR. En fait, l’anti-cégétisme du chef gardien avait été plus forte que son intelligence. La monstrueuse provocation avait échouée. L’autorité du syndicat CGT s’en trouvait alors renforcée.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. En fait d’exclusion de la RNUR, il s’agit pour l’un deux au moins d’une mutation assortie d’une promotion. Les militants CGT de Cléon apprenaient incidemment que l’ancien chef du personnel de Cléon était nommé chef du personnel de l’usine Saviem d’Annonay. Ils en informent le syndicat d’Annonay. Ceux-ci informent le personnel de leur usine de l’affaire de Cléon. L’indignation monte. La réprobation est bientôt générale et unanime. Tous les salariés demandent le renvoi de cet individu. Quelque jours après son arrivée, la direction de la RNUR est contrainte de le retirer de l’usine.

L’action continue.

Le syndicat CGT de Cléon n’est pas satisfait des mesures prises par la direction de l’usine. Elle entend poursuivre l’affaire pour obtenir réparation du préjudice causé par l‘affaire des diamants. André Boucher porte plainte pour diffamation. Le syndicat CGT le fait également.

Le procès qui va s’ensuivre, va durer plusieurs mois. Le Tribunal d’instance de Rouen condamnera le chef du personnel à quatre mois de prison ferme et le responsable de la surveillance à trois mois de la même peine. De plus, chacun d’eux devra verser 50 000 frs de « dommages et intérêts » à la victime et 50 000 frs d’amende. Le syndicat CGT obtenait le franc symbolique.

Pendant ce temps, l’action syndicale continuait au sien de l’usine de Cléon, contre la guerre d’Algérie, pour la satisfaction des revendications, pour la réduction des cadences de travail sur les chaînes de montage, pour une 4ème semaine de congés payés.

En 1963, la CGT recueillait 64% des suffrages exprimés dans le collège ouvrier, lors de sélections des délégués du personnel et pour la première fois elle présentait des candidats dans le collège ITC, montrant par là qu’elle poursuivait son implantation dans l’usine.

La démonstration était faite qu’il était possible de déjouer les manœuvres de la direction de la RNUR, même les plus basses, et l’audience de la CGT en sortira renforcée.

 

Article réalisé à partir du témoignage de Daniel Teurquety,, ancien secrétaire du syndicat CGT.

Sources:

Archives de l’Union Départementale CGT,

Archives de l’Union Syndicale des Travailleurs de la Métallurgie CGT,

Archives du syndicat CGT de Renault-Cléon.

Presse locale et départementale (journal d’Elbeuf, Paris Normandie, l’Avenir de Seine Maritime, etc.)

 

 

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