Ecrire au fil rouge

Numéro 9

Histoire sociale d’une entreprise

TOTAL-FINA-ELF Ex-Compagnie Française de Raffinage,

Raffinerie de Normandie à Gonfreville l'Orcher

Par Jean HAMEL

L’histoire sociale n’est pas une affaire de spécialistes. Elle peut être aussi une préoccupation de militants.

C’est le cas de Jean Hamel qui travaille à des articles régulièrement publiés dans le journal du C.E. de la raffinerie de Gonfreville, qui dépend du groupe Total-Fina-Elf. Ces articles intéressent, certes, les salariés de l’usine comme ceux qui y ont travaillé autrefois.

Ils intéressent aussi tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire sociale. C’est pourquoi nous avons accepté de les publier.

Si vous avez connaissance d’initiatives de ce genre, faites-nous le savoir. Nous nous ferons un plaisir de publier les textes dans l’un des prochains numéros du Fil Rouge.

De 1936 à 1945 à la CFR

La première Guerre Mondiale avait laissé les peuples exsangues. La Guerre dans ce conflit mondial avait fait des millions de morts, rendu à l’état de friche des régions industrielles, particulièrement en France où les conflits dureront quatre années.

Cependant cette guerre avait éclairé la grande industrie sur la nécessité de se procurer des matières premières, en raison des progrès de la technologie apparus dans la conduite de la Guerre, notamment le pétrole.

C’est à cette tâche que les gouvernements bourgeois s’attachèrent.

C’est le 23 Septembre 1923 par une déclaration de Poincaré, que la France dit-il s’attache à se libérer de l’importation étrangère et de sa tutelle.

Partant de ces dispositions, une société par actions groupant état et consortium privé, la Compagnie Française des Pétroles, est créée…

Plus tard, la mise en place d’une filiale, la « CFR », Compagnie française de Raffinage, au capital initial de 100 millions à laquelle s’adjoignent pour 300 millions 6 sociétés françaises, viendra assurer la partie raffinage des bruts importés.

Une loi, celle du 16 Mars 1928, couvrira un protectionnisme de façade qui restera en vigueur jusqu’aux années 1990.

C’est dans ce contexte, que s’édifie et s’édifiera une industrie pétrolière française.

Pour les salariés appelés à travailler dans ces entreprises, c’est quelque chose de nouveau, tant dans les techniques que pour leurs conditions de travail.

En effet, et nous aborderons le mode d’existence de ces salariés : c’est le régime de travail en continu, dimanche et jours de fêtes et dans des conditions d’hygiène et de sécurité particulièrement insalubres pour la santé, à tel point que le recrutement du personnel sera difficile dès le départ malgré le chômage de cette période. (4763 chômeurs au Havre et sa banlieue)

A l’inverse des autres industries, métallurgie, bâtiments, textiles etc… il n’existe pas d’organisation syndicale dans l’entreprise et de là, il règne à la Raffinerie un climat paternaliste particulièrement contraire à l’aboutissement de revendications justifiées.

La capacité de traitement se développe : de 250.000 tonnes en 1928, elle passe à 700.000 tonnes en 1935.

Création du syndicat et la grève de 1936.

L’année 1936 sera l’année de la création du Syndicat quelques semaines avant les événements de mai et juin.

Ces événements commencent au Havre par l’occupation de l’usine d’aviation Breguet suite au renvoi de deux travailleurs observant le 1er Mai.

C’est le départ d’une impressionnante montée des grèves qui vont durer deux mois et se terminer par la victoire des travailleurs à travers les accords de Matignon.

A la CFR les méthodes d’intimidation ressemblent étrangement à celles des patrons voisins.

Le 23 Mai 1936, deux ouvriers sont licenciés. C’est le début d’un conflit avec occupation de la Raffinerie. En effet, après consultation des salariés à la Bourse du Travail, le Syndicat décide d’occuper l’usine et de présenter ses revendications. Deux cents grévistes passeront la nuit dans l’usine.

Il n’est pas sans intérêt de noter que les revendications de nos camarades grévistes rejoignent les mêmes arguments défendus après la Seconde Guerre Mondiale.

En effet, la politique du patronat de l’industrie de pétrole a toujours été d’individualiser les salaires de chacun et d’y ajouter des touches d’augmentation au mérite, créant la division.

Ils veulent, ces camardes, une convention collective où chacun se retrouve dans la catégorie pour laquelle ses qualités et ses connaissances soient reconnues.

Un premier accord est signé le 7 Juin entre la Fédération, le Patronat et l’État pour l’industrie pétrolière.

Cependant l’arrêt général des raffineries de la Basse Seine est décidé le 13 Juin. Refus d’accepter les accords de Matignon dans les termes présentés.

Le 16 Juin, à un communiqué du patronat, les grévistes répondent :

« Les délégués n’ont pas déclaré ne pas accepter les accords de Matignon mais au contraire les respecter, mais ils demandent que les salaires de base pris à la date du 23 Mai pour l’application de l’accord soient au préalable fixés.

Ils demandent aujourd’hui que les salaires de chaque catégorie soient arrêtés à un taux uniforme. »

Et déjà, à cette époque les délégués veulent la nationalisation si leurs revendications ne sont pas acceptées intégralement. Au cas où le patronat serait intransigeant, ils demanderaient au gouvernement d’envisager la nationalisation: Quelle manifestation de lucidité !

Après trois jours de négociations avec Ramadier, l’accord est signé le vendredi 19 Juin 1936 et l’évacuation des locaux s’effectuera à 21 H 30, le travail reprendra le 20 Juin à 13 heures.

Les années sombres:

L’année 1938 voit s’amonceler de sombres nuées.

L’indice du coût de la vie des prix de détail passe de 119,76 en août à 124,90 en novembre. Le gouvernement Laval diminue de 10 % les salaires, ce qui n’est pas pour déplaire au patronat.

Le 27 Novembre 1938 une manifestation a lieu à Rouen contre les décrets-lois. Le 30 novembre est déclenchée la grève générale.

Le gouvernement réquisitionne les mines, les chemins de fer et tous les services d’État. Des conseils sont institués pour poursuivre les grévistes et opposants.

Le mercredi 1er décembre, la grève est décidée à la CFR. Elle est totale.

La direction licencie les grévistes le 2 décembre. Elle réembauche le personnel le dimanche 4 et le lundi 5 selon des critères établis pour éliminer le syndicat; mais cela ne leur suffit pas.

Le 6 décembre, trois ouvriers, Messieurs Robillard, Beuriot et Baillobay sont arrêtés pour entrave à la liberté du travail devant l’usine Schneider sise à côté de la raffinerie, et seront condamnés par les tribunaux.

La grève prend fin le 11 décembre 1938 ; 21 camarades sont licenciés, presque tous pères de familles et pour beaucoup de familles nombreuses.

La guerre approche et la signature du Pacte Germano-Soviétique est le prétexte à une véritable chasse aux sorcières. Dès le 25 août 1939 elle se développe, et le 18 septembre, après l’effondrement de la Pologne et l’entrée des troupes soviétiques dans l’Est polonais, la majorité du Bureau confédéral de la CGT prononce l’exclusion de ses membres communistes. A la base les résistances sont nombreuses.

En conséquence, il faudra dissoudre 620 syndicats dirigés par des communistes ou considérés comme tels. Ce sera le cas du syndicat de la CFR.

Dans les minutes des greffes du tribunal de première Instance du Havre et en date du 12 Janvier 1940, on apprend que le syndicat Général des Produits Chimiques du Havre est dissout sous le fallacieux prétexte d’être communiste, ses biens et ses avoirs saisis.

Ceci prélude à ce que quelques mois plus tard, la France vaincue subira pendant quatre longues années d’occupation.

Certains des salariés licenciés réintègreront la raffinerie après la 2ème guerre mondiale, suite à l’amnistie décrétée par le gouvernement issu de la Libération.

En 1947, notre camarade Roger Jean, résistant, élu au conseil des Prud’hommes en 1938, sera, à son retour dans la raffinerie, l’un des artisans de la remise en place du syndicat CGT.

site de l'IHS CGT 76e