La succession de plans de licenciements chez Alcatel-Lucent : les effets durables de la privatisation de France Telecom !

Alcatel-Lucent; Évolution du Cours de l’Action et les licenciements

Lu sur le site de l’UL CGT de Dieppe :

Annoncés en juillet dernier, les 5000 licenciements d’Alcatel-Lucent se sont finalement transformés en 5490 suppressions de postes. Et comme redouté par les syndicats, la France va particulièrement souffrir, avec 1430 départs prévus, soit 15 % de son effectif total, et 27 % de tous les licenciements.

Et « quid » de l’avenir de l’usine de la Ville d’Eu et de ses emplois ?

Un peu d’histoire:

Alcatel était initialement une entreprise Alsacienne qui fut intégrée en 1970 par la Compagnie Générale d’Électricité (CGE) alors propriétaire de la Compagnie industrielle des téléphones (CIT), entraînant la création de la société CIT-Alcatel.

C’était la grande époque du développement du téléphone. La CIT-Alcatel installe des centraux téléphoniques électromécaniques CP400 dans tous le pays, puis la série des centraux électroniques (numériques) E10, dont l’un des premiers exemplaires expérimentaux sera installé à Neuchatel-en-Bray en 1971.

La CIT-Alcatel est le fournisseur essentiel, fabriquant tout le matériel de télécommunication nécessaire aux PTT, des plus gros centraux téléphoniques aux plus petits, jusqu’aux terminaux téléphoniques (le S63, puis le PE1), les matériels de transmission, les faisceaux hertziens, etc.

Il y a à l’époque deux usines du groupe dans le nord de la Seine-Maritime, l’une à Eu, l’autre à Saint-Nicolas-d’Aliermont. Elles emploieront chacune plus de 2000 personnes.

Dans l’administration d’Etat que sont les PTT (la Direction Générale des Télécoms-DGT-, qui deviendra France Telecom au tournant des années 80/90), on embauche des milliers de techniciens, d’ouvriers des lignes, de concepteurs et dessinateurs, d’agents de gestions, etc.: c’est le plein emploi partout !

 La CIT-Alcatel  est nationalisée en 1982, dans le plan de nationalisation du gouvernement Mauroy.

C’est le grand développement  de la numérisation du réseau, avec le remplacement de tous les centraux électromécaniques par les centraux électroniques. C’est l’époque du Minitel, et des « plans câbles » (raccordement de la télévision par câble).

La CGE, dont fait partie la CIT-Alcatel, est privatisée en 1987, sous le gouvernement Chirac.

En 1991 la CGE pour des raisons « d’image », prend le nom d’Alacatel-Alsthom. En fait il s’agit de faire oublier l’Histoire de la CGE, grand groupe capitaliste nationalisé en 1982.

En 1998, l’entreprise simplifie son nom et devient Alcatel. Cette entreprise possède alors plusieurs filiales : ‘Alcatel-CIT’, ‘Alcatel-Optronics’, ‘Alcatel-Cables’ etc…

L’effet sur Alcatel de l’ouverture du marché des télécoms et de la privation de France Telecom.

Tout va pour le mieux jusqu’au milieu des années 1990, c’est à dire jusqu’à l’ouverture du marché des télécoms, et de la privatisation de France Telecom (1998). Jusqu’à cette époque Alcatel est toujours le principal fournisseur de France Telecom, avec laquelle elle bénéficie d’une situation de quasi monopole.

Mais là, tout change ! L’ouverture du marché des télécoms conduit France Telecom à ne plus fournir gratuitement les terminaux téléphoniques à ses abonnés. L’achat de millions de postes par les PTT c’est fini. L’usine de Saint-Nicolas-d’Aliermont, dont c’était la spécialité, subit de plein fouet les conséquences cette décision et multiplie les plans de licenciements. Elle devient Telic. Elle est vendue puis revendue par appartements, puis revendue encore et encore. Avec à chaque fois de nouvelles suppressions d’emplois. Aujourd’hui il ne survit qu’une PME issue de cette grande usine.

Quant à l’usine de Eu, elle connaît aussi des vagues de suppressions d’emplois, mais moins brutaux qu’à Saint-Nicolas-d’Aliermont, car elle produit des matériels de haute technologie (Eléments de centraux électroniques, puis du réseau mobile).

L’euphorie,… puis la crise de la pseudo « bulle Internet »

A l’époque personne ne prête attention à ces usines et à ces salariés. L’heure est à Internet ! Un marché « colossal » s’ouvre; la « richesse » est au bout de cette révolution… c’est du moins ce que l’on prétend.

France Telecom et Alcatel se lancent dans une vague effrénées d’acquisitions d’entreprises dans le monde entier (comme le font d’ailleurs toutes les autres entreprises: EDF, les banques, etc.). Le monde est à vendre !

La valeur des actions France Telecom et Alcatel explose; elle multiple par 10, et plus encore ! « La richesse est là ! » disent les dirigeant des entreprises et les commentateurs de l’économie: « achetez des actions » ! Aux salariés qui réclament des augmentations de salaires, les directions répondent: « les augmentations de salaire c’est ringard: achetez des actions, privilégiez l’intéressement; vous y gagnerez plus » !

La multiplication de la valeur des actions France Telecom entraîne mécaniquement la multiplication de la valeur de l’entreprise, qui, en conséquence, peut obtenir des prêts de plus en plus élevés des banques, et acheter de plus en plus d’entreprises. Alcatel accompagne France Telecom qui lui passe des marchés pour moderniser ses filiales et développer ses réseaux. La valeur de l’action Alcatel grimpe parallèlement.

Mais c’est bientôt la crise en Argentine, les actions s’y effondrent; c’est le début de l’effet domino. Les entreprises achetées n’y valent plus rien, et il faut commencer à rembourser les emprunts faits. Les actions France Telecom commencent à chuter, tout comme celles d’Alcatel. Et les valeurs de France Telecom et d’Alcatel baissent en conséquence. Les banques prêtent moins, plus cher, ou ne prêtent plus. On emprunte pour rembourser les emprunts. Les investissements ralentissent et s’arrêtent. La machine infernale est lancée, et cela ne s’arrête plus.

En fin 2001 c’est le crack boursier, le pseudo « éclatement de la bulle internet« .

En fait, c’est la fin d’un monde !

Depuis cette époque, rien n’est plus comme avant dans le monde des télécommunications. La valeur des actions ne s’en relèvera pas. Mais comme le seul objectif que leur donnent les actionnaires est de remonter la valeur de l’action, les solutions trouvées sont toujours les mêmes: Plans de licenciements, cessions d’activités, fermetures d’entreprises, puis, de nouveau licenciements…

On restructure, on coupe, on vend, on fait des plans sociaux… en fait on perd compétences et savoir-faire; ce sont les ressorts de la productivité réelle qui sont atteints. C’est un énorme gâchis.

A France Telecom la direction supprime parallèlement 60 000 emplois en 10 ans!

Alcatel fusionne avec Lucent Technologies au mois de décembre 2006 pour devenir Alcatel-Lucent. 2006, 2007, 2008, 2012: successions de plans de licenciements.

En 2005, Alcatel était présent dans plus de 130 pays, avec un chiffre d’affaires de 13,1 milliards d’euros.

Alcatel s’offre donc son rival américain pour la somme de 13,4 milliards de dollars, espérant ainsi étendre ses parts de marché et son « catalogue produits ». La répartition actionnariale étant de 60 % pour Alcatel, et de 40 % pour Lucent.

A l’époque Alcatel est le leader mondial du marché des équipements d’accès DSL et dans les réseaux optiques. C’est aussi un des leaders mondiaux dans la fourniture de commutateurs téléphoniques, des routeurs ATM et IP, des câbles de transmission sous-marins, de l’infrastructure mobile (GSM, GPRS, UMTS), des applications de réseaux intelligents, des applications de Centre d’Appel, des applications vidéo (fixe et mobile) ainsi que des satellites et des charges embarquées.

Alcatel fournit aussi des services à tous ses clients depuis la conception de réseaux jusqu’à l’exploitation de ceux-ci en passant par la fabrication des équipements, le déploiement, l’intégration et l’installation.

En 2007, le groupe est secoué par un conflit social majeur suite à l’annonce d’un énorme plan  de suppressions d’emplois. La société perd 12 500 emplois sur les 79 000.

Devant les mauvais résultats du groupe, et une fusion qualifiée d’échec, Serge Tchuruk et Patricia Russo annoncent leur départ de la tête du groupe le 29 juillet 2008, tous deux percevant un parachute doré pour l’exercice de leurs fonctions.

En octobre 2009, elle se sépare à nouveau de 1000 salariés sur les 10 500 français.

Et en 2012, cela recommence, car la valeur de l’action est tombée au dessous de 1€. Le nouveau plan de licenciements est décidé malgré une hausse du chiffre d’affaires de l’entreprise au 1er trimestre de 10,6% par rapport au trimestre précédent. 

Les équipementiers Français vont-il passer à côté du marché de la montée en débit numérique?

 Mais, alors que des grands pays comme le Japon sont cablés en fibre optique depuis 10/15 ans (et la majorité des abonnés y bénéficient aujourd’hui de débits de l’ordre de 200 Mbits), en France on s’est amusé pendant ce temps là, à libéraliser, privatiser, jouer en bourse, et développer la concurrence, plutôt que d’investir et de construire. Depuis 2004, près de 30 milliards de dividendes ont été reversés aux actionnaires (rien que pour France Telecom), alors que 21 milliards auraient suffi pour implanter partout la fibre optique, le réseau de demain !

On voit les effets qu’une telle politique a produit sur les emplois en France ! Mais aussi sur la satisfaction des besoins. Dans notre région dieppoise, 50% des abonnés n’ont pas encore l’ADSL. Ils sont encore nombreux les secteurs où l’on est contraint d’utiliser le modem 56kbits/s pour accéder à Internet (exemple: Hautot sur mer).

Pire, le « truc » qui est à l’étude pour financer la montée en débit du réseau, et raccorder les abonnés en fibre optique FTTH), c’est de faire payer le contribuable ! 50% serait financé par les collectivités locales (communes et région), le reste réparti entre les opérateurs et le fonds pour la société numérique (FSN) de Sarkozy. Évidemment, on ne touche surtout pas aux dividendes ! Gare à la hausse des impôts locaux !

Ailleurs ? La Chine est en passe de dépasser le Japon et de devenir le 1er pays en termes de taux de raccordement d’abonnés en fibre optique (FTTH), c’est dire !

La France n’est plus aujourd’hui qu’au 25e rang mondial, et au 17e rang européen.

Ah, elle est loin l’époque des années 80, où elle était au 1er rang mondial, la première à être entièrement numérisée !

En fait, tout montre aujourd’hui qu’on ne peut pas à la fois moderniser  et privatiser . Dans l’affaire la France y a perdu sa prééminence technologique et ses emplois.

Huawei, le concurrent chinois qui monte !

La croissance exponentielle de la Chine depuis le début des années 1990, et donc parallèlement des télécoms, a produit des groupes de télécommunications dont la taille dépasse celle de leurs concurrents occidentaux.

Huawei, dont le nom a défrayé la chronique il y a quelques semaines (soupçons, ou intox de ses concurrents, sur l’installation de logiciels espions dans ses routeurs), est l’une de ces énormes entreprises dont les opérateurs français achètent aujourd’hui le matériel au détriment du constructeur historique français Alcatel (notamment les DSLAM qui permettent de raccorder les abonnés à l’ADSL, et les routeurs), et de ses emplois.

En 2010, Huawei est devenu le deuxième fournisseur mondial en réseaux télécommunications, derrière Ericsson et devant Nokia Siemens Networks, Alcatel-Lucent, Cisco Systems et ZTE. Ceux-ci ont vu leurs parts de marché en Asie s’effriter et ont assisté à la montée en puissance du groupe chinois sur les marchés européens, et notamment en France.

Huawei, entreprise privée dont le capital est détenu par ses salariés (et par conséquent n’est pas cotée en bourse). C’est un fournisseur dominant en Chine, qui s’est lancé à la conquête des marchés internationaux en adoptant notamment une politique de prix très compétitive, et en raflant la mise pour l’équipement des opérateurs notamment français.

En 1974, pendant la grande grève des PTT contre un projet de privatisation des télécoms (déjà) de Giscard d’Estaing, les grévistes scandaient : « ITT, Thomsom, n’auront pas les Télécoms ». En 2012 faudra-t-il scander « Huawei, China Telecom n’auront pas les Télécoms » ?

Que fait le ministre du redressement productif ? Quelles sont les propositions du gouvernement ?

Pour la CGT la solution passe par la réappropriation publique du secteur des télécoms !

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