Guerre de Vendée : « Il n’est pas possible de parler de ‘génocide' »

Dans un ouvrage consacré aux guerres de Vendée, Patrick Buisson relance la thèse du « génocide vendéen ». Interview de l’historien Jean-Clément Martin.

Par François Sionneau; Publié le 26 novembre 2017 à 09h57

Patrick Buisson, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et directeur de la chaîne Histoire, publie « La grande histoire des guerres de Vendée » (Ed. Perrin). Dans cet ouvrage préfacé par Philippe de Villiers, Patrick Buisson rouvre un débat historique, en qualifiant notamment de « génocide » les massacres perpétrés en Vendée en 1793.

Jean-Clément Martin, historien spécialiste de la Révolution française et de la guerre de Vendée, explique son « total désaccord » avec les thèses de Patrick Buisson.

FS – Patrick Buisson publie un livre intitulé « La Grande histoire des guerres de Vendée ». Un choix étonnant ?

JCM – Non. Que Patrick Buisson, dont on connaît les orientations politiques, s’intéresse à la guerre de Vendée n’a rien d’étonnant. Cela s’inscrit dans une logique personnelle et collective ainsi que, pour dire les choses clairement, dans une logique politique nationale.

Il se trouve que ce livre aborde un sujet sur lequel je travaille depuis plus de 30 ans. Et la guerre de Vendée est certainement l’un des sujets les plus sensibles de notre histoire nationale. Elle représente un traumatisme historique dont nous n’avons pas fait notre deuil. Bref, le débat n’est pas clos. Et tant qu’il ne sera pas réglé de manière consensuelle, il reviendra sans cesse nous interpeller. La communauté des historiens et des intellectuels n’a pas encore fait le travail nécessaire pour envisager ce sujet hors du politique.

FS – Patrick Buisson rouvre un débat historique en employant le mot « génocide » pour qualifier les massacres en Vendée. Quel est votre point de vue d’historien sur l’utilisation de ce « mot » ?

JCM – Je ne dirais rien sur l’emploi du mot étant hostile à toute idée de censure et à toute forme d’histoire officielle. Cela étant dit, je suis en total désaccord avec ce qu’écrit Patrick Buisson. Cela fait 31 ans que Philippe de Villiers et son entourage parlent de « génocide » et 31 ans que je dis qu’il n’est pas possible de parler de « génocide » en Vendée. Et je maintiens encore aujourd’hui, en 2017, qu’il y pas eu de lois dans le courant de la révolution qui permettent de fonder un tel jugement. Aucune loi n’a été prise visant à exterminer une population désignée comme « vendéenne ». Jamais.

FS – Mais il y a tout de même d’ignobles massacres

JCM – … que l’on peut rattacher aux décrets pris contre les « brigands de la Vendée » qu’il fallait exterminer. Mais outre que la formule, qui vient de la monarchie (le brigand étant celui qui se met hors-la-loi et qui peut donc être exécuté sans autre forme de procès), est reprise par la Révolution contre tous les contre-révolutionnaires, de toutes les régions (annonce qui n’a pas été suivie), la même Révolution crée une caisse de secours pour les « réfugiés de la Vendée », notamment femmes et enfants, se félicite que les républicains de Vendée approuvent la constitution de 1793 et veille à protéger leurs biens en ne les confondant pas avec ceux des contre-révolutionnaires dont la confiscation est décidée. La population de la Vendée (département ou région imprécise) n’est pas vouée à la destruction en tant que telle par la Convention.

Ne nous voilons pas la face pour autant : l’Etat, miné par des divisions internes, a laissé de véritables massacres se commettre par des troupes et des chefs laissés sans contrôle. Si bien qu’il y eut des crimes de guerre, ce qu’il faut établir. On peut estimer que cette guerre civile a entraîné autour de 200.000 morts. De là à dire que l’Etat a organisé un génocide, c’est autre chose.

FS – Comment expliquez-vous alors ces oublis historiographiques de la part de Patrick Buisson ?

JCM – Patrick Buisson fait des choix qui donnent une signification purement idéologique à cette guerre, pour condamner toute la Révolution en bloc. Si c’est la réponse à une école historiographique qui préfère insister sur la grandeur de la Révolution, disons qu’on n’équilibre pas une erreur par une autre erreur. La dévastation de la Vendée, connue et débattue depuis 1794, n’a pas cessé d’être un objet de discussion dans l’historiographie nationale et un thème pour de nombreux tableaux et romans ! Il convient de la comprendre sans la lire au travers de filtres idéologiques (contre le totalitarisme par exemple).

En outre de manière générale, juger les événements hi

storiques uniquement par des bilans humains conduit à une course aux victimes simpliste et régulièrement myope. Il convient de se demander pourquoi on oublie d’évoquer les atrocités inouïes commises au même moment à Saint-Domingue, et notamment les 20.000 morts lors de l’incendie de la ville de Cap Français en juillet 1793, où les millions de morts des guerres napoléoniennes.

Derrière ce débat autour des guerres de Vendée, il y a un débat plus large autour de la Révolution qui semble resurgir aujourd’hui…

Oui, il y a manifestement un regain d’intérêt pour la Révolution. Cela se voit par exemple dans le nombre d’ouvrages consacrés à Robespierre. Si ce renouveau peut permettre de sortir des « légendes » autour de la Révolution, contrairement à ce que fait Patrick Buisson, tant mieux.

Propos recueillis par François Sionneau de L’Obs