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Arbre Généalogique

Liste Plozévet 1723

Liste Crozon 1723

 UN OURAGAN SUR LA POINTE DU RAZ

le 11 août 1723

 

Texte de Gilles Pichavant

Relevés effectués aux Archives Départementales du Finistère (Série B, Amirauté cote B4335)

 

Un trafic maritime important:

En cet été 1723, ils sont au moins sept bateaux à ses trouver dans les parages de la pointe du Raz ce 11 août au matin.

Le "Bienheureux St Jean", de Morlaix, vient de doubler la Pointe du Raz en direction du sud, et s'approche de Penmarc'h. Il est parti de Morlaix avec une cargaison très diverse pour une croisière de cabotage qui doit le conduire à Bilbao, en passant par La Rochelle et Oléron.

La "Catherine Elizabeth" de Dieppe, un navire de 45 tonneaux chargé de sel, est parti de Brouage en Charente depuis 15 jours. Il se rend à Caen. Il est passé devant Penmarch dans la nuit et s'approche du Raz de Sein.

Une Galiote, "la Fortune" de Calais, est en route pour son port d'attache chargée de vin de Bordeaux. Elle se prépare à passer le Raz de sein.

le "Petit Achille" de Boulogne, chargé de vin de Bordeaux, suit la même route que le précédent, accompagné "la Marie" elle aussi de Boulogne, en direction de leur port d'attache. Ils viennent de passer la pointe de Penmarch.

La "Marie Jeanne" de l'Aber Benoît est, elle, en route vers Noirmoutier.

Quant à La "Catherine" d'Argenton elle vient de passer le Raz de Sein au petit matin. Chargée d'Ardoises et de Coton qu'elle a embarqué à Nantes, elle fait route en direction de Rouen.

Une tempête violente et soudaine

La tempête est si soudaine que tous ces bateaux viennent à la côte, au même moment, ce 11 août 1723 dans la matinée.

La tempête est d'une rare violence, qui n'est pas sans rappeler celle du 15 au 16 octobre 1987.

Elle s'annonce tout d'abord par un calme plat la veille. Les bateaux n'avancent plus, ils ne sont plus manœuvrant. Nous sommes, ne l'oublions pas en plein été, et les fortes chaleurs accompagnées de calmes plats ne sont pas rares. Puis, dans la soirée, le vent se lève progressivement du suroît, s'enfle et devient énorme vers le matin.

La mer grossit. Les vagues sont énormes. Les voiles se déchirent et les bateaux deviennent incontrôlables. Tous viennent à la côte et s'échouent inexorablement.

Interrogé après le naufrage par l'officier de l'Amirauté, Jean Le Coeur, Maître de la barque "la Marie Jeanne" de l'Aber Benoît qui s'échoue à Primelin, est précis: "Mardy environ les dix heures du matin et estant dans la baye d'Audierne, c'est à dire entre la pointe du Raz et celle de Painmarch, il trouva un calme ce quy dura quelques temps.

A six heures du soir duquel temps ayant mis le cap au surouest pour tascher de gagner le large, environ dix heures du soir, le vent estant su, grand vent, il fust obligé de prendre des ris et de mettre à la cappe avec sa grand voille, en restant ainsy jusqu'à l'aube du jour. Mais le vent s'estant rangé au su su ouest, tourmente manifeste, la grand voile fust emportée, le vent et la mer s'estant soulevé, qu'il fust obligé de faire tout arrière, pour éviter les coups de mer.

Il y eust un coup de mer quy luy rompit son mat de misaine, son mat de hune du grand mat, et le mesme coup de mer emporta l'un de l'équipage quy estait un garçon nommé Jean Girault."

Les navires s'échouent inexorablement

Louis MILBEO, capitaine de "Bienheureux St Jean" de Morlaix, qui s'échoue à Plozévet, raconte qu' "il fust surpris par une tempête impétueuse le mercredy matin et qu'il jeta son bâtiment à cette coste de Plozevet, baye d'Audierne, par un vent forcé de ouest-surouest ".

Ses matelots confirment la déclaration de leur capitaine. Yves PRAT et Guillaume LE GALL racontent que "le mercredi matin ils furent attaqués par une tempête montante à la hauteur de Peinmarch et furent jettés à la cote de Plozevet.

Louis Le Roux matelot à bord de la "Catherine Elisabeth" qui transportait du sel de Brouage à destination de Caen, et seul rescapé du naufrage, raconte que le "Mercredy dernier onziesme de cedit mois, il fut attaqué et surpris par une tempête d'une rare violence entre la pointe du Raz et Painmarc, à ne pouvoir porter aucune voile, et environ les huit à neuf heures du matin la mer les mangeait de toutes parts sans pouvoir porter de voiles, en mesme sans vue par l'épaisseur de la brume, son père se vit obligé de prendre le parti de laisser et abandonner son navire à la coste, où il donna à la coste de Primelin, sous le village du Castel ou la mer se tenait si grosse à la coste qu'il n'y a que luy qui s'est sauvé de l'équipage quy comptait en six hommes luy compris, savoir

Louis Le Roux, son père, maistre,

Thomas Le Roux,

Jean Joly,

Mathieu Bourgeois,

Pierre Goiteau."

Au même endroit, une barque d'Argenton, de dix tonneaux, chargée de sel, se brise et coule. Un homme d'équipage se noie.

A une demie lieue, "la Fortune" de Calais, sombre devant Plogoff, presque au même moment en vue des sauveteurs de Primelin qui s'occupent déjà de deux bateaux.

Jean CORRIC, Maître de la barque de 50 tonneaux "la Catherine" d'Argenton, raconte que son "Navire par la tempeste qui se fist mercredy dernier, et le soir précédent, dont il fust attaqué dans la baye d'Audierne, eust le malheur d'estre jeté par vent de suroist sur cette coste de Dynan, paroisse de Crauzon, après avoir voulu donner dans le large et avoir esté au Ras, où il eschoua, le dit jour mercredy dernier environ les onze heures du matin".

Les dossiers de l'Amirauté, ont un intérêt certain pour l'étude scientifique des échanges économiques, à conditions qu'ils aient été conservés, comme ceux de l'Amirauté de Cornouaille.

Ils sont aussi d'un grand intérêt les Généalogistes. Non seulement ils mettent en mouvement les personnages que sont les marins et aventuriers de l'époque, mais ils fournissent une quantité d'informations très diverses.

Rôle et cargaison du "Bienheureux St Jean" de Morlaix

Nous avons connaissance de l'identité des membres de l'équipage, qui contient des informations complémentaires, concernant l'âge, la taille et la couleur des cheveux.

Louis MILBEO, capitaine du navire, dont il est propriétaire, a 35 ans. Il est de moyenne sature, et a les cheveux et la barbe noires. Comme tout son équipage, il est originaire d'Argenton.

Yves PRAT, originaire de Larret près d'Argenton, est âgé de 23 ans. il est de taille moyenne et ses cheveux sont châtains. On sait même qu'il était vêtu d'une veste et d'une culotte de toile.

Guillaume LE GALL, demeurant à Porspoder (29), âgé de 25 ans est de moyenne stature.

Gabriel Le GALL, d'Argenton, se noie dans le naufrage.

Au départ de Morlaix, le "Bienheureux St Jean" est chargé de diverses marchandises. Le capitaine a reçu de François BARBIER, marchand à Morlaix, cinq barils de beurre qu'il doit déposer à La Rochelle. De François GUILLOTOU de K/ener il a reçu 90 barriques et demi de vin rouge de bordeaux, qu'il doit déposer chez François SEDREZ à Oléron.

Il a reçu de Monsieur PHITIBEE, marchand à Morlaix, 30 ballots de papier bâtard fin soit 300 rames, 15 ballots de papier dit "commun" soit 180 rames, 15 ballots de papier "gemme" fin soit 224 rames, un ballot de papier fin, huit caisses de chandelles et deux barriques de graisse à remettre à Monsieur Pierre LE HORY à Bilbao.

De Pierre GALES, marchand à Morlaix, 384 rames de papier à remettre à Monsieur VENDUBLE à Bilbao, ainsi que 608 rames de papier du sieur LESSOBRE.

Il transporte aussi d'autres marchandises pour le compte de Loreste HOISNARD négociant à Morlaix.

De cette cargaison, on ne sauvera que 55 barriques de vin rouge, 88 ballots de papier, et 12 barriques vides.

Les Archives de l'Amirauté nous apprennent que le navire appartenait à Nicolas BECHEC. Il transporte cent onze mille ardoises carrées, pour le compte de Monsieur GUERARD, marchand couvreur à Paris. Il transporte en plus, vingt balles de coton.

Rôle d'équipage de "la Catherine" d'Argenton.

Le rôle de l'équipage nous fournit des renseignements précieux:

Jean CORRIC, le capitaine, originaire de Porspoder, est âgé de 37 ans, de haute stature, les cheveux et la barbe grises. Il habite Créac'h Guen en Porspoder. Il est noté fils de Thomas.

L'équipage est composé de François CORRIC, de Porpoder, fils d'Ollivier, 47 ans;

Jean Tanguy LEZET, de Porspoder, fils de Jean, 38 ans, de moyenne stature et a les cheveux et une barbe châtains;

Barthélémy JOURDAIN, de Larrest, fils de Françoise, 32 ans, décédé dans le naufrage;

Barthélémy LE HIR, de Porspoder, fils de Paul, 21 ans, de petite taille, les cheveux et barbe châtains;

Yves COROLLEUR, de Porspoder, fils de François, 29 ans, décédé dans le naufrage;

François GUILLEMIN (ou Guillaulin), de Larrest, fils de Jean, 12 ans.

Yves COROLLER et Yves JOURDAIN se sont noyé lors du naufrage, alors qu'ils étaient grimpé dans la chaloupe avec tout l'équipage. Celle ci s'est retournée. Leurs corps ont été retrouvés sur la côte de Dynan, paroisse de Crozon, où l'on trouvera leur sépulture.

Le navire transportait un passager qui s'appelait LEROY Sieur de Beaupré. C'est un marchand de profession, âgé de 45 ans, originaire de BRUS en Flandre. Il était venu à Nantes. interrogé par l'officier de l'Amirauté, il déclare qu'il "était venu à Nantes avec sa famille dans le dessein d'aller à Saint Domingue où il devait s'établir, mais qu'ayant risqué ses fonds et ayant eu le malheur de les perdre, il a renvoyé sa femme et une fille, qui est le seul enfant qu'il a, par la route, luy ayant embarqué à Penboeuff dans la barque de Jean Corric, pour se rendre à Rouen où il devait rejoindre sa femme et son enfant" (...) "Il porte pour nom Jean et surnom Leroy et que Beaupré n'est que sa seigneurie".

Mais ce qui est peut-être plus intéressant encore, ce sont les relations des sauvetages par les officiers de l'Amirauté, et surtout les listes des riverains qui y ont participé aux travaux.

En effet, en vertu de l'ordonnance de Louis XIV en date de 1681, intitulée "les naufrages bris et échouements", qui règle les conséquences juridiques des naufrages et les principes de la réglementation des sauvetages, le moindre travail est rémunéré. L'aubergiste qui accueille l'équipage, le temps de la procédure, l' "exprès" qui rallie Quimper pour annoncer la nouvelle, les gardiens qui protègent l'épave du pillage, les paysans dont on a mobilisé les charrettes, les riverains qui ont participé aux opérations de manutention, le noble qui héberge le lieutenant de l'amirauté, tous, du haut en bas de l'échelle, tirent profit du drame.

Ce qui fait que l'on trouve dans les dossiers des listes de participants au sauvetage, avec souvent la mention du village où ils habitent.

Une liste des participants est établie chaque jour, pour permettre l'établissement d'un état récapitulatif sur lequel sera mentionné le prix de l'indemnité versée à chacun.

Nous les avons reprises pour Plozévet et pour Crozon.

Gilles.Pichavant@Wanadoo.fr

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